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Gendarmerie : comment les femmes ont-elles gagné leurs galons ?

Femme gendarme faisant fasse à une manifestante habillée en "Marianne".
Manifestation sur les Champs-Élysées à Paris contre la hausse du coût de la vie, le 15 décembre 2018. Valery Hache / AFP

Il y a 40 ans, deux décrets autorisaient les femmes à passer les concours pour devenir sous-officières ou officières de gendarmerie.

Cet anniversaire est d’autant plus important pour cette institution militaire que pendant longtemps « les termes de « gendarme » et de « femme » ont été antithétiques ». Dès lors, comment ont-elles gagné leurs galons ?

C’est au cours des premières années d’existence de la gendarmerie nationale qu’émerge le premier visage féminin, celui de Marie Charpentier. Née le 3 septembre 1751, elle intègre en 1794 le dépôt de la 35e division de gendarmerie, auréolée de la médaille des « vainqueurs de la Bastille ». La carrière de cette première femme en gendarmerie est cependant de courte durée, car, « vu son sexe, [elle] n’est point propre au service de guerre comme soldat et comme gendarme ». Il est vrai qu’Olympe de Gouges ne fait guère recette alors au sein du monde militaire.

La seule femme dont la présence est tolérée dans les brigades est en réalité l’épouse du gendarme, et ce en grande partie jusque dans les années 1970.

Madame le gendarme

Si, au XIXe siècle,« le mariage conforte la condition sociale du gendarme autant qu’il en profite », comme le montre Cyril Cartayrade, il est scruté de près par un commandement attentif à préserver l’état de militaire de toutes alliances inconvenantes. Les unions sont donc soumises à une enquête et une autorisation hiérarchique à partir de 1808, comme pour l’ensemble des armées d’ailleurs. Ces contraintes persistent jusqu’en 1978, date à laquelle l’autorisation préalable au mariage est abolie en gendarmerie.

À ces enquêtes viennent s’ajouter les conditions de vie en caserne, le poids de la promiscuité et le regard intrusif d’un commandement soucieux de préserver l’image du gendarme. C’est sans doute ainsi que va se créer progressivement et de façon pérenne ce que la sociologue Sylvie Clément nomme le « mythe de la “femme tolérée” ».

La vague féministe qui submerge les années 1960 constitue une rupture en offrant une opportunité pour les femmes de s’exprimer librement. C’est le cas pour les femmes de gendarmes dont le silence est rompu le 24 juin 1970 à la faveur d’un reportage intitulé « La Fiancée du gendarme Lamour ». Trois épouses de gendarmes acceptent alors de décrire au grand jour l’impression qu’elles ont d’avoir épousé un homme, mais également une institution. Leur malaise est réaffirmé avec encore plus d’acuité lors de mouvements de contestation interne en 1989 et 2000-2001.

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Une féminisation tardive et au compte-gouttes

Non contente d’être une année de la libération de la parole pour les femmes de gendarmes, 1970 est aussi l’année où le statut militaire s’ouvre à la gent féminine avec la possibilité qui leur est offerte d’effectuer un service national volontaire. Elles n’étaient pourtant pas totalement absentes des armées et de la gendarmerie.

En effet, leur présence dans le milieu militaire évolue à la faveur des deux conflits mondiaux. Les femmes forment alors des auxiliaires administratives précieuses, en particulier pour une gendarmerie qui se modernise à partir de 1918. Elles occupent des postes de dactylographes, téléphonistes ou secrétaires, comme le montrent les archives de la direction de la gendarmerie. Leur situation, étroitement liée au conflit, est précaire : ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’un véritable statut civil est instauré.

En 1972, la loi sur le statut général des militaires pose quant à elle la première pierre d’un statut militaire pour les femmes. Bien qu’elle prévoit une égalité de droits et de devoirs pour les hommes et les femmes, la réalité est fort différente pour ces dernières. Non seulement leur accès est limité par une politique de quotas, mais elles sont cantonnées encore à des emplois administratifs, et ne peuvent prétendre ni au corps des officiers ni à celui des sous-officiers de carrière. En gendarmerie, elles servent en qualité de gendarme auxiliaire féminin.

En 1979, une nouvelle marche est franchie avec la création d’une spécialité « emploi administratif et d’état-major » de la gendarmerie. Mais ce sont bien les deux décrets du 10 février 1983 portant statut particulier des officiers et sous-officiers de gendarmerie qui constituent un tournant pour les femmes en gendarmerie, même si leur nombre est encore limité par un quota de recrutement annuel de 5 % et que les unités ouvertes sont limitées. Les portes de la gendarmerie s’ouvrent donc, mais au compte-gouttes, y compris après 1998, année de l’abandon de la politique des quotas de recrutement suite à l’annonce de la professionnalisation des armées.


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Le processus d’intégration prend fin en 2016 avec l’ouverture de la gendarmerie mobile aux sous-officiers féminins. Le nombre de femmes gendarmes passe ainsi progressivement de 1 % en 1983 à 17 % en 2015 pour atteindre 22 % aujourd’hui.

Depuis la nomination en 2013 de la première femme officier général, Isabelle Guillon de Méritens, cinq femmes l’ont rejointe au sommet de la pyramide des grades, dont la générale Florence Guillaume, plus jeune générale de gendarmerie promue et première gendarme à occuper les fonctions de déléguée interministérielle à la sécurité routière.

Un vecteur de promotion

L’ouverture des rangs de la gendarmerie aux femmes semble répondre autant à une évolution de la place des femmes dans la société française qu’à des raisons conjoncturelles propres à l’héritière de la Maréchaussée. Cette dernière est en effet confrontée, dans le début des années 1980, à l’addition des difficultés de recrutement et des directives internationales et européennes imposant l’égalité hommes-femmes (en 1988, la France a été condamnée pour « discrimination sexuelle dans l’accès aux emplois publics »). Mais c’est l’impulsion politique du ministre de la Défense, Charles Hernu, fils de gendarme, qui va être déterminante pour la féminisation de la gendarmerie.

Cette union tardive, diversement accueillie dans les rangs, comme dans les autres armées, laisse place aujourd’hui à une politique institutionnelle d’égalité professionnelle et de diversité innovante, relayée par la communication institutionnelle.

Après la nomination, en 2012, d’une référente égalité professionnelle et diversité au sein de son administration centrale, l’institution publie un premier plan d’action sur ce sujet et lance une plate-forme de signalement, « Stop Discri », en 2014.

En 2021, la gendarmerie met les bouchées doubles : un second plan d’action est mis en place et un observatoire pour l’égalité et contre les discriminations est créé pour évaluer l’évolution sur ces questions. Parallèlement, un réseau local de référents et de coordonnateurs égalité professionnelle et diversité, issus des rangs et tous volontaires, se constitue. Cette politique volontariste est récompensée par une double labellisation « égalité professionnelle » et « diversité » attribuée à la gendarmerie par l’Association Française de Normalisation (AFNOR), en 2018, renouvelée en 2022, et l’obtention du grand prix de l’inclusion et de la diversité le 8 novembre 2022.

Gage de modernité pour une institution souvent caricaturée, « les femmes constituent un puissant vecteur de communication », comme le souligne Yann Galéra. L’institution a compris l’intérêt de cette valorisation pour sa propre image. La nomination de femmes comme porte-parole de la gendarmerie depuis 2016 en est un exemple.

La présence des femmes dans les rangs de la gendarmerie ne fait plus débat aujourd’hui, néanmoins, selon la générale Anne Fougerat, « il est nécessaire de poursuivre les efforts et entretenir la dynamique ». En dépit de réelles avancées en matière de gestion de ses ressources humaines, saluées par le haut comité d’évaluation de la condition militaire dans son rapport de juin 2013, la gendarmerie reste toujours confrontée à un problème majeur : la difficile conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle de ses personnels féminins.

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