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Industrilles

Innovation industrielle : la France progresse

Cette année encore la French Tech sera très présente au CES de Las Vegas (ici en janvier 2015). ROBYN BECK / AFP

On a longtemps vitupéré l’incapacité française à transformer une recherche publique de bon niveau en innovation et en valeur ajoutée industrielle. Ce cliché n’est-il pas dépassé ?

Longtemps les industriels français investissaient moins dans la R&D que leurs concurrents. On mettait notamment en cause une recherche publique moins ouverte qu’ailleurs au dialogue avec les entreprises et la frilosité de ces dernières. Divers mécanismes d’incitation tels qu’un crédit d’impôt recherche généreux, des pôles de compétitivité, les programmes d’investissement d’avenir étaient jugés coûteux ou décevants.

Plusieurs rapports récents montrent cependant des résultats encourageants, à la fois sur les performances des entreprises et sur la pertinence des politiques publiques destinées à les aider.

Les entreprises françaises investissent dans l’innovation

La dépense de recherche des entreprises sur le territoire français est en forte progression. Elle représente aujourd’hui 31 milliards d’euros, soit 1,46 % du PIB national. Elle est environ deux fois plus élevée que la dépense publique (organismes publics de recherche et établissements d’enseignement supérieur), malheureusement en partie parce que cette dernière a diminué (0,8 % du PIB aujourd’hui).

L’intensité de R&D dans l’industrie (pourcentage du chiffre d’affaires consacré à la R&D) est de 7 %. C’est moins que dans les pays scandinaves, mais plus qu’en Allemagne (6,5 %). Les effectifs de chercheurs dans le privé sont passés de 68 000 à 128 000 en 20 ans, tandis qu’ils n’augmentaient dans le public que de 75 000 à 100 000 (en équivalent temps plein, les enseignants-chercheurs étant comptés comme chercheurs à mi-temps).

Le nombre d’implantations de centres de R&D étrangers en France s’accroît fortement, en partie grâce à l’attractivité du crédit d’impôt recherche. Leur nombre oscillait entre 16 et 29 par an dans la période 2001-2008. Il fluctue entre 40 et 72 depuis.

Ces chiffres agrégés ne prennent pas en compte la spécialisation industrielle défavorable de la France. En effet, certains secteurs comme la pharmacie font traditionnellement des efforts de R&D plus importants que d’autres comme l’agro-alimentaire. Or la France a quelques fleurons de haute technologie, mais beaucoup d’entreprises dans des secteurs peu technologiques. Si l’on corrige ces effets, on constate que dans un secteur donné, la France investit plutôt plus que ses voisines.

La France détient de belles positions dans des secteurs porteurs comme l’aéronautique, l’électronique embarquée et communicante. Cela se traduit par quelques grosses entreprises emblématiques comme Airbus, Safran, Thales ou Dassault Systems, mais aussi par de nombreuses start-up comme Criteo, Blablacar, Parrot, Withings ou Carmat. La French Tech fait particulièrement bonne figure au Consumer Electronic Show de Las Vegas dans le domaine des objets connectés.

La France commence à tenir une place honnête dans les classements internationaux. Deux des cinquante entreprises jugées les plus innovantes dans le « BCG Top 50 innovators » sont françaises (Axa et Renault) et 87 parmi le « Technology fast 500 EMEA » de Deloitte (moins significatif, car il privilégie le taux de croissance mais prend en compte de très petites sociétés).

Des politiques publiques patientes et pertinentes

Même si le mérite de ces performances revient d’abord aux entreprises qui sont de plus en plus nombreuses à oser l’innovation et à en maîtriser les processus, des politiques publiques leur ont facilité la tâche.

Ces politiques sont d’autant plus efficaces qu’elles sont menées avec persévérance et avec le souci de règles du jeu stables. Ce n’est pas toujours facile, car les attentes sont fortes et les évaluateurs très impatients, tandis que ces politiques n’ont des effets qu’à moyen et long terme.

On se félicite notamment de ce que le Crédit d’impôt recherche est resté stable depuis 2008 (avec un enrichissement récent de son assiette pour prendre en compte certaines dépenses d’innovation des PME). Les voix n’ont pas manqué pour dénoncer ce « cadeau aux entreprises » de 5,5 milliards d’euros par an. Or si les effets d’aubaine ont dominé les toutes premières années (l’augmentation de l’argent donné aux entreprises dépassait le supplément de dépenses de R&D qu’elles engageaient), ce n’est de loin plus le cas depuis 2011 (l’effet de levier était supérieur à 1,6 en 2013). Et quand bien même l’effet ne serait pas très élevé, ne serait-il pas judicieux, pour faire évoluer favorablement la spécialisation industrielle de la France, de favoriser les entreprises qui investissent dans la R&D ?

On a beaucoup dit que le CIR était accaparé par les grandes entreprises, au détriment des PME et des ETI. Il est exact que les grands groupes font une grande partie de la recherche industrielle (61 %) et reçoivent donc beaucoup (46 % du CIR, soit 2,3 milliards), mais le CIR finance 32,5 % de la recherche des PME, 21,2 % de celles des ETI et 13,7 % de celle des grandes entreprises.

Il est beaucoup trop tôt pour évaluer sérieusement les effets des pôles de compétitivité et des investissements d’avenir, mais tout laisse penser qu’ils seront très positifs, malgré les détournements d’une partie des sommes consacrées aux seconds (la Cour des comptes note qu’une partie de l’enveloppe a servi à débudgétiser des dépenses récurrentes ou déjà prévues de l’État et une partie des sommes distribuées par l’ANR au titre des grands défis sociétaux sert en fait à pallier la stagnation ou la régression des budgets de certains organismes publics).

Il faut se résigner à la complexité de ces politiques : le soutien aux filières, à la diffusion des technologies génériques, à la R&D, à l’investissement industriel, au renforcement des synergies territoriales sont autant d’instruments complémentaires qui se renforcent mutuellement. Il faut comprendre que leurs effets sont visibles à long terme et encourager les pouvoirs publics à la patience et à la persévérance.

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