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Juges de proximité : donner gain de cause aux victimes d’incivilités

Le Premier ministre Jean Castex et le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti visitent le palais de justice de Bobigny, le 8 juillet 2020. Charles Platiau/Pool/AFP

C’est, semble-t-il, à la surprise quasi générale que, Jean Castex, à la fin de sa déclaration de politique générale devant les députés, a annoncé, pour 2021, la création « dans les territoires, des juges de proximité affectés à la répression de ces incivilités du quotidien ».

Cette déclaration a suscité étonnement et interrogations portant à la fois sur la parenté entre ce juge de proximité annoncé et celui supprimé en 2017 mais aussi avec les juridictions de proximité qui l’ont remplacé.

Les quelques exemples évoqués par le Premier ministre tels les tags ou les nuisances sonores et le but assigné à ce juge de proximité laissent la part belle à l’imagination pour tracer les contours de cette « innovation ».

Le juge de proximité supprimé en 2017

Le juge de proximité créé par la loi du 9 septembre 2002 dite d’orientation et de programmation de la justice s’était déjà vu assigner comme objectif de « répondre aux besoins d’une justice plus accessible, plus simple et capable de résoudre plus efficacement les litiges de la vie quotidienne ».

Étaient visés à la fois les litiges civils (par exemple entre bailleurs et locataires ou les litiges liés au droit de la consommation) d’un « faible » montant (jusqu’à 4 000 €) mais aussi, au pénal, les contraventions des 4 premières classes c’est-à-dire d’une peine inférieure à 750 euros.

Ces juges de proximité, issus de la société civile, (ancien magistrat, notaire, avocat, huissier, commissaire de police, etc.) nommés sur dossier étaient tenus à un stage probatoire.

Le futur juge de proximité n’aura que des attributions pénales même si le Garde des Sceaux, Eric Dupont Moretti, ne semble pas exclure la proximité dans d’autres matières comme les conflits relevant du Conseil des prud’hommes.

Qui pourrait être le futur juge de proximité ?

Malgré l’identité des termes employés, la volonté gouvernementale n’est pas de ressusciter le juge de proximité tel que créé en 2002 et encore moins le juge de paix qui a été supprimé en 1958.

Le juge de proximité de 2021 n’exercera pas une nouvelle fonction juridictionnelle. L’objectif poursuivi est essentiellement pénal. Les juges du Tribunal de police ou du Tribunal correctionnel actuellement en poste, dont l’effectif pourrait être complété par des magistrats honoraires volontaires et certains professionnels du droit, appliqueront de nouveaux types de procédures.

Les objectifs du gouvernement sont de faire juger plus de faits plus rapidement et les effectifs actuels restent insuffisants.

Pour autant, il semble inopportun de revenir à un juge de proximité issu de la société civile. En effet, afin de remplir au mieux ses objectifs tant envers la victime qu’envers l’auteur présumé des faits il est nécessaire que la juridiction de proximité fasse preuve de la plus grande rigueur juridique et soit assortie de la solennité judiciaire (juge en robe, présence du parquet représentant la société, etc.).

Quelles proximités ?

Le terme juge de « proximité » évoque tout de suite la notion de proximité géographique. Ainsi, pour ce qui est des contraventions il conviendrait de conserver le ressort du tribunal de police, mais avec des audiences dites foraines qui pourraient se tenir, par exemple, au chef-lieu de canton voire dans le chef-lieu de l’intercommunalité, dans un lieu permettant de retrouver la solennité d’une salle d’audience.

Mais les objectifs assignés par le Premier ministre et repris par le Garde des Sceaux amènent également à la mise en place d’une proximité temporelle entre l’infraction et le jugement.

Justice rapide, mais pas expéditive

Un temps court entre la commission de l’acte, le jugement et l’application de l’éventuelle sanction est propice à la bonne compréhension de la peine par l’auteur, à l’absence de sentiment d’impunité de la victime qui constate une réaction étatique immédiate, mais aussi des auteurs de ces faits « qui se sont développés au point de gâcher la vie quotidienne des gens » selon les propos du Premier ministre.

Pour autant, il ne faudrait pas confondre justice rapide et justice expéditive. Les exigences d’un procès équitable se doivent d’être respectées.

Dès lors, malgré le fort potentiel médiatique de la formule du nouveau Garde des Sceaux, il est peu souhaitable que lorsqu’un « gamin se fait prendre en train de taguer, le lendemain il est au commissariat en train de repeindre les murs ».

Pour remplir l’objectif de réactivité assigné au juge de proximité, une procédure accélérée est nécessaire, mais cette dernière doit permettre le respect de certains délais tel qu’un temps suffisant pour préparer sa défense en amont de l’audience et un délai permettant de contester la décision en aval afin de respecter le principe du double degré de juridiction.

Utiliser les mesures déjà en place

À ce titre, la convocation par l’officier de police judiciaire (OPJ), prévue par l’article 390-1 du Code de procédure pénale présente nombre de qualités. À l’issue d’une garde à vue ou à l’occasion d’une convocation au commissariat, l’officier (ou agent) de Police judiciaire délivre en mains propres une convocation à l’audience de jugement. Cette convocation pourrait se faire, avec l’accord de l’intéressé et de son avocat, à court terme (entre 3 jours et trois semaines).

En tout état de cause, l’audience devrait intervenir dans un délai n’excédant pas trois ou quatre mois ce qui pourrait être facilité en réduisant le délai de prescription des infractions considérées, actuellement d’un an pour les contraventions et de six ans pour les délits.

Il faut également veiller à la rapidité de fonctionnement de l’exécution de la peine afin de s’assurer que la sanction prononcée pourra être exécutée dans un délai de quelques semaines.

Quelles infractions jugées par le juge de proximité ?

Évoquant le rôle du futur juge de proximité, le Premier ministre a employé le terme d’incivilités. La définition renvoie à des manquements à la courtoisie, la politesse ou le bien vivre ensemble, tels par exemple les nuisances sonores, les dégradations de locaux communs ou le fait de jeter des déchets sur la voie publique.

L’incivilité constitue un trouble à la tranquillité publique, mais n’est pas nécessairement une infraction à la loi pénale. Le pénaliste ne peut fonder son raisonnement sur le concept d’incivilité beaucoup trop imprécis et subjectif. Le juge pénal condamne ou relaxe des personnes selon qu’elles ont ou non commis une infraction à la loi pénale. C’est le principe de la légalité des délits et des peines.

Viser les actes plutôt que les peines

Contrairement à ce qui était prévu pour le juge de proximité de « première génération » ce ne sont pas les peines encourues, mais les actes visés qui doivent déterminer les contours de la compétence. Il conviendra d’établir une liste précise et évolutive d’infractions qui seront de la compétence du juge de proximité.

Le juge de proximité en matière pénale, comment ça marche ?

Loin de prétendre à l’exhaustivité, on peut évoquer un certain nombre d’infractions de nature contraventionnelle telles que :

De la contravention au délit

En établissant la liste de ces comportements de nature à troubler la tranquillité publique, on s’aperçoit que certains d’entre eux peuvent facilement passer de la contravention au délit (par exemple la dégradation de bien).

D’autre part, on constate aussi que certains comportements évoqués par le Premier ministre, comme les « petits trafics » ou les « tags » sont des délits et que bon nombre d’infractions entrant dans cette nébuleuse des incivilités, non évoquées, sont également des délits, par exemple, l’occupation des halls d’immeuble.

tag Paris
Délit mural et poétique ? Affichage sauvage, Fred le Chevalier, Paris. Pikist, CC BY

Dès lors, il serait logique d’inclure dans la liste des délits comme la cession de stupéfiants pour usage personnel, les violences entraînant plus de 8 jours d’I.T.T,etc.

Mettre en place une réaction sociale plus systématique

Sans répondre à toutes les interrogations (le juge de proximité sera-t-il compétent pour juger les mineurs ? Quelles peines devraient être privilégiées ?), les développements qui précèdent tendent à montrer qu’il sera possible, avec quelques moyens supplémentaires, sans créer de nouvelles infractions ou de nouvelles juridictions, de mettre en place une réaction sociale plus systématique à l’encontre des comportements infractionnels. Ces comportements portent atteinte à la tranquillité publique qui est un objectif prioritaire, car c’est un des éléments fondamentaux de la vie en société. Cette réaction sociale pourrait utilement consister en une peine de réparation ou d’indemnisation de la victime.


Cet article a été rédigé avec le concours de M. Georges Cacheux, magistrat honoraire.

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