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« Justice climatique »

Des centaines de manifestants kenyans défilent à Nairobi, le 14 novembre 2015, pour exhorter les dirigeants africains à agir en faveur de la justice climatique. Simon Maina/AFP

Dès l’élaboration de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) en 1992 et le début de la négociation climatique internationale, l’équité est apparue comme la clé de voûte d’un régime international du climat ambitieux. Il est en effet indéniable que l’enjeu climatique est un enjeu de justice. C’est d’autant plus vrai si l’on considère la planète et le climat comme des biens communs, car l’ensemble des États doit disposer des mêmes droits à l’espace écologique.

Selon cette approche, ainsi que l’a rappelé le Pape François dans son encyclique « Laudato si » du 18 juin 2015, il existe bien une dette écologique du Nord envers le Sud, en raison d’une utilisation disproportionnée des ressources naturelles qui a été pratiquée par certains pays, et de l’existence de déséquilibres commerciaux et des conséquences qui en découlent dans le domaine écologique.

Afin de parvenir à élaborer un régime climatique juste et équitable, la négociation climatique est « prisonnière » du principe des responsabilités communes mais différenciées, posé dans la Déclaration de Rio de 1992, et systématiquement mis en avant par les pays en développement (PED) et les grands pays émergents. En effet, selon le principe 7 de la Déclaration de Rio :

« Étant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l’environnement mondial, les États ont des responsabilités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l’effort international en matière de développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l’environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent. »

Il est par conséquent logique que le succès des négociations climatiques dépendent du montant des transferts financiers que les PED estiment devoir recevoir de la part des pays industrialisés.

Responsabilités communes mais différenciées

La CCNUCC et le Protocole de Kyoto portent la marque de l’équité et de la justice climatique, car ils opèrent une distinction capitale entre les pays développés et les PED. Non seulement le principe des responsabilités communes mais différenciées est inscrit à l’article 3 de la Convention de 1992 – baptisé « article de l’équité » – mais, tant la Convention que le Protocole posent des obligations et des charges différentes pour les deux catégories de pays, plus lourdes bien entendu pour les pays développés.

Ils reconnaissent ce que l’on dénomme – sans qu’aucune définition précise n’existe – la « responsabilité historique » des pays développés dans le réchauffement climatique. À l’évidence, la responsabilité des États est commune et chacun a un degré de responsabilité différent, en fonction de son niveau de développement. C’est pourquoi le Protocole de Kyoto est souvent qualifié d’« inégalitaire », car il instaure une inégalité « compensatrice », selon les termes d’Alexandre Ch. Kiss. Ce principe du droit international de l’environnement reflète des oppositions idéologiques entre les pays en développement, qui prétendent avoir le droit de se développer en raison du lien existant entre dégradation de l’environnement et pauvreté, et les pays développés, qui font de la protection de l’environnement une cause commune, à laquelle l’ensemble des États de la planète doit œuvrer.

Une vidéo en time-lapse de la Nasa montrant les émanations de CO2 sur la planète pour une année complète (2006).

Le caractère binaire du principe des responsabilités communes mais différenciées devrait en principe évoluer, car les grands pays émergents, Chine en tête, se classent parmi les plus importants émetteurs de CO2. Il devient donc difficile de ne prendre en compte que le passé pour établir des accords climatiques par lequels les États de la planète s’engagent pour dix, vingt ans ou plus. L’Accord de Copenhague de 2009 a d’ailleurs enfoncé un coin dans l’appréhension binaire du principe, car les États-Unis comme les grands émergents ont accepté des actions nationales de réduction à caractère volontaire (Nationnaly Appropriate Mitigation Actions, NAMA).

Ils ont également déposé une contribution nationale (CPDN ou INDCs), le total des contributions s’élevant à 154 à la date du 16 novembre 2015. L’Appel de Lima de 2014 poursuit dans la même direction, en précisant que l’accord ambitieux qui doit être adopté doit refléter « le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, compte tenu des différences existant dans la situation de chaque pays », ce qui atténue quelque peu le caractère binaire du principe.

Solidarité et financements

Selon le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, la question du financement est « la clé d’un accord sur le climat ». Elle est d’autant plus cruciale qu’elle est également un vecteur de la solidarité internationale, la solidarité étant une valeur fondamentale devant sous-tendre les relations internationales du XXIe siècle comme l’a affirmé la Déclaration du Millénaire adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 2000. L’issue positive des négociations climatiques est en effet en partie liée au niveau de financement qui obtenu, afin d’aider les pays les plus pauvres à mettre en œuvre leurs engagements en matière d’atténuation et à relever les défis de l’adaptation.

L’Accord de Copenhague s’est attelé à cette question et a mis sur pied des institutions chargées d’organiser cette solidarité internationale : Fonds vert pour le climat, Mécanisme technologique, ou mécanisme REDD + pour réduire les émissions résultant du déboisement et de la dégradation des forêts. Il a également prévu une montée en puissance des financements : partant d’un niveau de 30 milliards de dollars en 2010-2012, ils doivent atteindre 100 milliards de dollars par an en 2020, toutes sources de financement confondues (publiques, privées, bilatérales, multilatérales ou encore fast start).

La Conférence de Varsovie de 2013 a permis un autre progrès avec la création du Mécanisme sur les pertes et préjudices (loss and damage), afin de faire face aux conséquences désastreuses du dérèglement climatique, les pays du Sud voyant dans son établissement la concrétisation d’une certaine justice climatique. Le draft agreement du 23 octobre 2015, qui a servi de base de négociation lors de la COP21, comporte un article sur cette question, ainsi qu’un autre sur le financement et un troisième sur les transferts de technologies.

Finalement, la recherche d’un droit commun du climat apparaît à bien des égards comme la conciliation entre un droit des « riches » soucieux de leur avenir, et un droit des « pauvres » désireux de rattraper avant tout leur retard économique. Les différentes solutions retenues restent sans doute insuffisantes et c’est pourquoi de plus en plus d’économistes, dont le prix Nobel d’économie 2014 Jean Tirole, recommandent d’instaurer un régime de tarification du carbone mondial et harmonisé, afin de mettre à profit les effets redistributifs d’un prix mondial du carbone, ce que recommande d’ailleurs le GIEC.

Cependant, selon certains économistes, à l’image d’Olivier Godard, il n’est pas sûr que la fixation d’un tel prix, éventuellement assorti d’un système de « bonus-malus », soit compatible avec l’instrument des contributions nationales et la justice climatique.

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