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Photo d’un membre de l’association Aides lors d’une manifestation organisée en mai 2019.
La « démocratie en santé » a émergé dans le sillage des luttes menées par les malades du Sida pour faire entendre leurs voix, notamment via des associations telle qu’AIDES, fondée en 1984. AFP

La démocratie en santé fête ses 20 ans : le temps de la refondation ?

La loi dite de « démocratie sanitaire » du 4 mars 2002 a 20 ans. Si le préambule de la Constitution du 17 octobre 1946 précise que la nation garantit « la protection de la santé », ce texte de loi affirme que « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne ». Il s’agit d’une évolution significative, qui traduit une politisation des enjeux de santé, de la protection à la reconnaissance de droits fondamentaux.

En cette date anniversaire, dans ce moment politique si particulier que nous nous partageons, l’occasion nous est donnée de réfléchir à la place de la démocratie en santé.

Alors que s’impose le concept global « One Heath » - qui donne à comprendre la santé du point de vue des interrelations entre l’homme, la nature et son environnement - et dans un contexte international exposé au cumul de tensions, de dérégulations et de crise des légitimités, la démocratie en santé pourrait proposer un nouveau modèle de gouvernance.

Au-delà des considérations de santé publique, cette démarche démocratique responsable et participative se réfère en effet aux valeurs de dignité, de respect, de loyauté, de justice, de bienveillance et de solidarité dont nous éprouvons l’urgent besoin.

Qu’est-ce que la démocratie en santé ?

C’est dans la dynamique des « années sida » qu’a émergé le concept de démocratie sanitaire institué et formalisé dans le cadre de la loi du 4 mars 2002. L’irruption sur la scène publique de la parole des personnes malades a en effet politisé le champ de la santé publique compris en termes de revendications démocratiques. Les États généraux du sida, en 1990, suivis quelques années plus tard par les États généraux de la santé, en 1998, ont permis aux personnes malades de témoigner publiquement de l’indignité et de l’irrespect de leur condition, et de revendiquer la reconnaissance de leurs droits.

Ainsi, dans son article 3, la loi affirmera : « Aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins ».

La loi « démocratie sanitaire » de 2002 propose une nouvelle philosophie du soin, dans le cadre d’un partenariat attentif à la personne malade reconnue dans son expérience, son expertise et sa capacité de discernement dans l’arbitrage des décisions qui la concernent.

Le « paternalisme médical » souvent assimilé au pouvoir discrétionnaire de celui « qui sait », est confronté à la contre-culture de « l’autonomie » de la personne malade. Car il s’agit bien d’intégrer aux pratiques des principes inconditionnels tels que le respect du consentement, la loyauté dans l’information, la protection de la personne contre tout risque indu, ou encore la limitation des souffrances dans le cadre d’une intervention compétente et justifiée.

Appliquée à l’exercice médical et à la relation soignante, il convient d’observer que cette loi transpose certains des critères formulés en août 1947 dans le Code de Nuremberg, rédigé pour fonder une éthique de la recherche médicale à la suite des exactions commises pas des scientifiques dans les camps de concentration nazis.

55 ans après la rédaction du premier Code de déontologie médicale, en juin 1947, une loi de la République conférait à la personne malade des droits inédits, assortis de responsabilités jamais caractérisées en des termes d’une telle portée : « Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort ». Ne s’agit-il pas aussi d’une socialisation des questions de santé dont ont constatait d’autres expressions dès juillet 1994 avec le vote des premières lois relatives à la bioéthique ?


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La pandémie a souligné la nécessité d’une refondation de la démocratie en santé

Depuis le début de la pandémie du SARS-CoV-2, la société civile n’a pas été associée au processus décisionnel, instruit au sein de dispositifs de gouvernance peu attentifs aux règles de la démocratie en santé et à la consultation de ses instances représentatives que sont la Conférence nationale de santé, les Conférences régionales de la santé et de l’autonomie, ou la Commission des usagers.

Il convient dès lors de constater que les droits relatifs à la démocratie en santé justifieraient l’analyse de leur effectivité, que ce soit du point de vue des conditions de respect du consentement et de la confidentialité (ne serait-ce que dans le cadre de la stratégie de vaccination), des droits des personnes vulnérables en établissement ou à domicile, des priorisations en réanimation, des déprogrammations, d’interdiction de la présence des familles y compris en fin de vie, des conditions d’obsèques, ou encore de la souffrance des soignants, etc. À moins que l’on ne considère ces droits comme inapplicables dans un contexte d’urgence sanitaire…

Dans la perspective d’une refondation nécessaire et donc d’une révision de la loi du 4 mars 2002, différentes pistes de réflexion pourraient être éclairées par des travaux parlementaires, dès la prochaine législature.

Il importe en particulier de renforcer l’effectivité de la reconnaissance des droits de la personne malade, de permettre l’appropriation de ces droits dans un contexte de fragilisation du système de santé. Une meilleure information et une capacité d’alerte plus efficace renforceraient le respect de ces droits inconditionnels.

Il est nécessaire également d’envisager l’adaptation et l’application de la loi à un contexte socioculturel, biomédical et technologique qui diffère profondément de celui des « années sida ». À cet effet, il faut intégrer de nouveaux enjeux :

  • Une source d’informations publiques fiables et accessibles s’impose. En effet, à la complexité du parcours dans le champ de la santé s’ajoute l’accès paradoxal à des sources d’informations diversifiées et parfois contradictoires, dont la légitimité peut s’avérer discutable (telles que les réseaux sociaux), ainsi que la critique de l’expertise médico-scientifique à l’origine de défiances ;

  • Les innovations thérapeutiques, la prédictivité et les possibilités d’anticipations (avec entre autres enjeux le coût discriminatoire des traitements innovants) bouleversent notre rapport à la prévention et peuvent affecter la justice dans l’accès aux traitements. En conséquence, selon quels critères et en associant quelles expertises, arbitrer des choix et des priorités justifiés, loyaux et transparents ? ;

  • La numérisation des dispositifs de santé a un impact tant dans la relation de soin (espace de santé numérisé, algorithmes décisionnels) que du point de vue des enjeux éthiques relatifs, par exemple, au respect de la confidentialité dans le traitement des données de masse. Cela transforme notre rapport au savoir médical et aux pratiques biomédicales. Comment assurer une approche démocratique des mutations technologiques, les accompagner, les rendre accessibles, les contrôler afin de prévenir les discriminations et les stigmatisations ? ;

  • Les expertises et les savoirs expérientiels partagés, l’émergence de la figure du « patient expert » et le développement de « l’éducation thérapeutique du patient » modifient les facultés d’autonomisation de la personne dans le suivi de sa santé. Les organes représentatifs de la démocratie en santé doivent bénéficier d’une reconnaissance qui leur permette de passer du témoignage et du plaidoyer au statut d’instances associées à la décision et au suivi de sa mise en œuvre ;

  • Vivre la maladie au quotidien et en société n’est possible qu’avec des politiques de santé favorisant une meilleure prise en compte d’un parcours dans sa durée, son évolutivité et ses contraintes. La personne malade doit pouvoir bénéficier d’un environnement favorable à son autonomie sociale (y compris dans la continuité de sa vie socioprofessionnelle) ;

  • Les vulnérabilités (qu’elles soient visibles ou non), les situations de limitation de l’autonomie, de dépendance, le grand âge, la vie dans la cité ou en établissement de personnes fragilisées par le handicap (qu’il soit mental ou physique), la maladie et la vieillesse, justifient une nouvelle approche en matière de démocratie en santé. Il importe de développer des innovations marquées par le souci de bienveillance et la mobilisation de compétences adaptées, notamment du point de vue de la sensibilisation de la société aux enjeux de la démocratie en santé et de la formation des acteurs professionnels et associatifs ;


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  • Certaines évolutions sociétales des plus sensibles pourraient être discutées dans le cadre d’une refondation de la loi « démocratie en santé ». Ce serait notamment le cas en ce qui concerne le parcours des personnes adultes et des enfants en fin de vie. Certaines évolutions seraient-elles de nature à surmonter des dilemmes relevant d’expériences et de considérations personnelles ? De tels enjeux ne devraient plus relever d’une loi spécifique aux droits des malades en fin de vie.

Reconquérir un espace de démocratie

Depuis 20 ans les avancées de la « démocratie en santé » ont contribué à des évolutions dans l’éthique du soin, dans cette reconnaissance de la personne malade au « cœur du soin ». Il n’est pas certain que cette exigence partagée avec les professionnels engagés au quotidien pour défendre les valeurs humanistes auxquels ils témoignent tant d’attachement, soit compatible avec des choix politiques et institutionnels privilégiant d’autres rationnels dans leurs arbitrages.

L’individualisme du consumérisme médical est en rupture avec la dynamique de responsabilisation pour soi comme au regard de nos solidarités inspirées par les « années sida ». Il nous faut donc reconquérir cet espace de démocratie, le refonder dans le cadre d’une concertation qui concerne le renouveau de la vie démocratique, une nouvelle pensée du bien commun. Repenser les valeurs de la démocratie, notre attachement au dit bien commun, au souci de l’autre dans un projet de refondation de la démocratie en santé relève d’une exigence politique et éthique qui nous concerne tous, au plan national comme dans une visée universelle.

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