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Illustruation de diversité
Selon la théorie de la neurodiversité, les différences peuvent être utilisées comme une force pour les entreprises. Wikimedia commons/MissLunaRose12, CC BY-SA

La puissance inexplorée des cerveaux atypiques, un défi pour repenser l’entreprise

Selon l’analyse de Brigitte Chamak, sociologue française, l’essence du concept de neurodiversité s’ancre dans la croyance que « le fonctionnement cérébral est essentiel pour saisir l’essence de l’être humain ». Ce concept cherche à déplacer le regard médical des « troubles mentaux », pour plutôt « valoriser la variété des processus de pensée ».

En France, on estime que les troubles de l’apprentissage touchent 6 à 8 % des écoliers et 4 % des adultes. Ces troubles sérieux et durables correspondent notamment à des déficits en lecture ou du calcul, la dyslexie en étant la forme la plus répandue. Un grand nombre d’individus ont donc dû apprendre à vivre avec leur trouble (dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, etc.) dès leur plus jeune âge, développant ainsi des compétences adaptatives uniques.

De même, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) estime ainsi que quelque 700 000 personnes en France sont autistes, dont 100 000 ont moins de 20 ans. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un enfant sur 100 dans le monde est atteint d’autisme.

Cependant, ces personnes restent marginalisées voire exclues du marché du travail. Cette exclusion se fonde notamment sur une méconnaissance des avantages potentiels que ces individus peuvent apporter et une focalisation excessive sur leurs difficultés apparentes.

Compétences distinctives

Selon la théorie de la neurodiversité, et en lien avec nos travaux récents sur le management de la distinction atypique, ces différences peuvent en effet être utilisées comme une force pour les entreprises, en apportant d’autres perspectives et de nouveaux talents.

Olivier Meier : la richesse des cerveaux atypiques dans l’entreprise (Xerfi canal, 2023).

Les employés autistes peuvent par exemple détenir des compétences distinctives reconnues telles que la logique, l’attention aux détails (notamment la détection précise d’erreurs de codage), la concentration sur une tâche, la mémoire à long terme et l’analyse de données. De manière similaire, la dyslexie est souvent liée à des aptitudes comme la visualisation, l’imagination et le raisonnement.


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Prenons le cas de Richard Branson, fondateur de Virgin Group et dyslexique notoire, qui a toujours vu sa dyslexie non pas comme un obstacle, mais comme une source d’innovation et de développement d’une communication claire et percutante.

Photot du fondateur de Virgin Group, Richard Branson
Le fondateur de Virgin Group, Richard Branson, considère sa dyslexie non pas comme un obstacle comme une source d’innovation. Jarle Naustvik/Flickr, CC BY-SA

On peut également citer le cas de Satoshi Tajiri, autiste et créateur de la franchise Pokémon, qui a réussi à transformer son handicap en une passion obsessionnelle pour la collecte et la création d’univers de jeu complexes et riches et attirer des millions de joueurs à travers le monde.

Enrichir la culture d’entreprise

Des solutions proactives et innovantes émergent dans le monde du travail pour promouvoir l’épanouissement et l’intégration des individus neuro-atypiques dans le milieu professionnel. Voici quelques pistes déjà pratiquées par de grandes entreprises telles que SAP, Microsoft ou Ubisoft :

  • Aménagement de l’espace de Travail : il est crucial d’adapter les espaces de travail aux besoins des employés neuro-atypiques. Cela peut se traduire par l’installation d’éclairage réglable ou tamisé, afin de réduire la fatigue visuelle et l’inconfort sensoriel, ainsi que la création de zones calmes pour diminuer la stimulation sonore. Offrir des options de travail flexibles, comme des horaires aménagés, peut également répondre aux différents besoins en matière de gestion du temps et de l’énergie.

  • Technologies d’assistance : l’adoption de technologies adaptées est aussi cruciale. Par exemple, des logiciels de lecture à voix haute pour les dyslexiques, des correcteurs orthographiques avancés, ou des programmes de dictée vocale pour ceux qui ont des difficultés à écrire. Ces outils peuvent être intégrés dans l’environnement de travail standard pour une accessibilité accrue.

  • Formation du personnel : il convient de sensibiliser et de former l’ensemble des employés. Des ateliers et formations réguliers peuvent être organisés pour déconstruire les mythes et stéréotypes, et pour enseigner des stratégies de communication et d’interactions efficaces avec les collègues neuro-atypiques.

  • Innovation dans le recrutement : les méthodes de recrutement doivent ici évoluer. Remplacer les entretiens conventionnels par des sessions interactives ou des évaluations basées sur les compétences réelles permet d’apprécier les talents des candidats neuro-atypiques de manière plus équitable. Des simulations de tâches réelles ou des projets d’essai peuvent remplacer les entretiens traditionnels, offrant ainsi une meilleure évaluation des compétences pratiques.

  • Mentorat et soutien : mettre en place des programmes de mentorat où les employés neuro-atypiques sont jumelés avec des collègues expérimentés peut grandement faciliter leur intégration. Ces mentors peuvent offrir un soutien quotidien, aider à naviguer dans l’environnement de travail et à surmonter les défis spécifiques.

Ces initiatives pratiques, lorsqu’elles sont correctement mises en œuvre, peuvent non seulement améliorer l’intégration des employés neuro-atypiques mais aussi enrichir la culture d’entreprise et favoriser un milieu de travail plus inclusif et productif.

Un besoin de travaux transdisciplinaires

L’adaptation du système éducatif à la diversité, de la créativité à la neurodiversité, est essentielle pour une éducation équitable. Les apprenants neurodivergents sont en droit d’avoir des méthodes flexibles, un soutien individualisé et une sensibilisation pour assurer leur bien-être émotionnel et social. Aujourd’hui, des initiatives privées s’inscrivent déjà dans ce sens, comme l’École Walt fondée en 2020 ou NeuroTalent Works aux États-Unis qui accueillent des enfants neuro-atypiques en adaptant la pédagogie et en sensibilisant la société civile à la neurodiversité.

Le centre thérapeutique de l’école Walt : un lieu unique pour aider les enfants neuroatypiques (Région Île-de-France, 2023).

Un défi de taille, à l’heure où les accompagnants d’élèves en situation d’handicap revendiquent de meilleures conditions de travail, une reconnaissance accrue et des formations appropriées dans l’enseignement public. En écho à l’appel du neuropsychologue Hervé Glasel pour la co-construction de solutions innovantes face à cet enjeu de santé publique et d’éducation, en tant que chercheurs en sciences de gestion, nous sommes convaincus que des travaux transdisciplinaires mobilisant les sciences de l’organisation, de l’éducation, technologies éducatives et neurosciences contribueront à résoudre ces défis et favoriser une société plus inclusive au XXIe siècle.

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