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La religion du sport

Kaka, la star du foot, parlant de sa foi avant la coupe du monde de 2014. Scott Webb / Flickr, CC BY-NC-SA

« Le Tour [de France], c’est sacré ! » : qui n’a jamais entendu cette phrase de la bouche d’un vacancier juilletiste ? Quoique non superposables, sport et religion ont, depuis l’Antiquité, une histoire et des ressorts communs. Au sens étymologique du mot « religion » (« religare » en latin), le sport relie les individus, dans les stades comme dans les tribunes, et parfois dans la rue après une victoire importante. Il a gardé cette vocation à créer une communauté, au niveau local et national.

Par ailleurs, le spectacle sportif comporte des règles, une hiérarchie, une liturgie officielle (les hymnes, les drapeaux) ou culturelle (le haka en rugby, la tenue blanche au tournoi de tennis de Wimbledon). En Grèce, les Jeux olympiques ne se déroulaient-ils pas dans un espace destiné à honorer les dieux, selon une cérémonie immuable ? Pour l’occasion, une trêve sacrée n’était-elle pas décrétée ?

La flamme à Olympie. Xinhua Syogoc, Wu Wei/Flickr, CC BY-NC

Cet esprit a perduré. Dans les stades, on chante en chœur et on reste silencieux lors des tirs de pénalités. Et comme Roland Barthes l’a décrit dans « Le tour de France comme épopée », les sportifs sont des héros, des surhommes qui rêvent d’un statut de déité en bravant les éléments… Les « Dieux du stade » désignent désormais un célèbre calendrier de photographies érotiques, mais cette appellation ne vient pas de nulle part.

Les sociologues du sport issus du courant critique parlent d’opium du peuple, au sens marxiste du terme : comme la religion, le sport capitaliste aliénerait les individus en canalisant leurs émotions et leurs colères, pour éviter qu’ils ne se révoltent. Une soumission qui serait acceptée, intériorisée, entretenue. Un plaisir masochiste, en somme !

Faut-il s’étonner, alors, de voir s’exprimer des pratiques ou plutôt des appartenances religieuses dans l’arène sportive ? Certes, les propagandes politiques, militantes et religieuses sont censées être bannies des compétitions internationales. Il n’empêche que les expressions religieuses sont présentes, mais certaines choquent tandis que d’autres, habituelles, ne se remarquent plus.

Religion ou superstition ? Personne ne s’offusque que, devant des centaines de millions de téléspectateurs, Usain Bolt fasse un signe de croix et regarde vers le ciel avant de se mettre dans les starting blocks. Quelques instants après la victoire du Brésil à la coupe du monde de 2002, le footballeur Kaka a dévoilé un T shit avec le slogan « I belong to Jesus » avant de se mettre à prier. Cependant, si un joueur de football arbore une barbe d’une taille jugée un peu trop longue, le soupçon d’islamisme n’est pas loin. C’est ce qui est arrivé à Gaël Givet, lorsqu’il a été recruté par le club d’Evian-Thonon-Gaillard.

Ce sont bien sûr surtout le voile et les tenues de sportives musulmanes qui sont dans le viseur. Certains avancent que les organisations sportives internationales se plieraient aux exigences des pays du Golfe, gros financeurs du sport européen. On pourrait aussi arguer qu’avec la mondialisation, les stades s’ouvrent à des personnes qui en étaient jusque-là privées.

Joueuses de l’équipe de football du Qatar. Doha Stadium Plus Qatar/Flickr, CC BY

Les désaccords sont vifs entre ceux qui souhaitent étendre à l’arène sportive l’obligation de neutralité religieuse (mais il faudrait alors interdire aussi les signes de croix et les T-shirts glorifiant le Christ) et ceux qui craignent que les athlètes féminines de certains pays ne puissent plus accéder aux compétitions. Où est la liberté, où est la tolérance ? Le débat reste ouvert et les termes en sont fort complexes. Ce qui est sûr, c’est que, décidément, la place et la légitimité des femmes dans l’espace public font elles aussi du sport un sujet politique. Pierre de Coubertin ne disait-il pas lui-même que le héros olympique est un mâle et que les femmes sont destinées à couronner les vainqueurs ?

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