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Une femme tient entre ses mains un nouveau-né dont on ne voit que le haut de la tête.
La technique du « bébé-médicament », débattue lors de l’examen du projet révisant la loi de bioéthique de 2011, a finalement été maintenue dans la nouvelle loi de bioéthique du 2 août 2021. Inara Prusakova/Shutterstock

La technique du « bébé-médicament » : quel cadre juridique, quels enjeux éthiques ?

Dans le film My Sister’s Keeper, en français Ma vie pour la tienne, tiré du Roman de Jodi Picoult et adapté au cinéma par Nick Cassavetes en 2009, la vie de Sara et Brian est bouleversée lorsqu’ils apprennent que leur petite fille Kate, âgée de deux ans, est atteinte d’une leucémie.

Sur les conseils de leur médecin, ils décident d’avoir recours à la technique dite du « bébé-médicament » pour concevoir un autre enfant dans le but de guérir leur petite fille. C’est ainsi qu’est née Anna.

« Bébé-médicament »,« bébé du double espoir » ou « bébé-docteur », de quoi s’agit-il ?

Mise au point aux États-Unis, la pratique du « bébé-médicament », connue sous le nom de « DPI-HLA » (pour « diagnostic préimplantatoire associé au typage HLA ») dans la communauté scientifique, est également désignée sous les appellations de « bébé du double espoir » ou « bébé-docteur » dans le langage courant. Cette technique de procréation médicalement assistée permet la conception d’un enfant dans l’espoir de soigner de façon décisive un frère ou une sœur aîné(e) atteint(e) d’une maladie génétique grave.

Pour cela, des embryons sont obtenus par une fécondation in vitro (FIV) qui est suivie d’un double diagnostic préimplantatoire afin de sélectionner un embryon à la fois indemne de la maladie dont souffre l’aîné et immunologiquement compatible avec ce dernier. L’embryon sera ensuite implanté dans l’utérus de la mère.

À la naissance de l’enfant, des cellules souches du sang de cordon ombilical sont prélevées dans le but de les utiliser pour tenter de guérir son aîné. En cas d’échec, plus tard, une ponction des cellules de sa moelle osseuse peut être envisagée pour une greffe sur l’aîné malade.

Adam Nash, le premier « bébé-médicament », est né en août 2000 dans le Colorado, aux États-Unis. D’autres naissances de « bébés du double espoir » ou « bébés-docteurs » ont suivi ailleurs dans le monde entier, notamment en Belgique (en 2005), en Espagne (en 2008), au Royaume-Uni (en 2010) en France (en 2011) et en Inde (en 2018).

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Quel est le cadre juridique en France ?

En France, le législateur a ouvert la voie à la technique du « bébé-médicament » par la loi de bioéthique du 6 août 2004 (article 23-6), suivie de son décret d’application en décembre 2006, dans des conditions strictes et après accord de l’Agence de la biomédecine.

Autorisée à titre expérimental, la loi exigeait, notamment, que le premier enfant soit « atteint d’une maladie génétique entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic » et que son pronostic vital soit « amélioré, de façon décisive » grâce à cette technique.

C’est dans ce contexte qu’est né Umut-Talha, le premier « bébé médicament » français, le 26 janvier 2011, conçu afin de guérir sa sœur atteinte de bêta-thalassémie, une maladie génétique due à une anomalie de l’hémoglobine du sang.

Par la suite, la loi de bioéthique de 2011 a renouvelé la légalité de cette pratique, sous réserve du respect de certaines conditions bien définies. Cependant, dans les faits, elle n’était plus pratiquée depuis 2014, comme l’explique le Pr René Frydman dans le quotidien Le Figaro. Les progrès significatifs dans la collecte, le stockage et la disponibilité du sang du cordon ombilical ont joué un rôle déterminant dans l’abandon de son utilisation en pratique.

Vivement débattue lors de l’examen du projet révisant la loi de bioéthique de 2011, la pratique du « bébé-médicament » a pourtant été maintenue dans la nouvelle loi de bioéthique du 2 août 2021. Mais elle reste encadrée.

La loi exige toujours que le premier enfant soit « atteint d’une maladie génétique entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic » et que son pronostic vital soit « amélioré, de façon décisive » grâce à cette technique (article L 1231-4 du Code de la Santé Publique).

Toutefois, certaines conditions ont été assouplies. En effet, la nouvelle loi de bioéthique ne prévoit plus que tous les embryons sains conservés soient implantés avant d’envisager une nouvelle tentative de FIV (article L 1231-4 du Code de la Santé Publique).

Que dit la loi ailleurs ? Les exemples belges et britanniques

D’autres pays autorisent également la technique du « bébé médicament » dans des conditions spécifiques.

En Belgique, la loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes du 6 juillet 2007 précise de manière explicite dans son article 68 que le recours à cette technique est autorisé dans l’intérêt thérapeutique d’un enfant déjà né des auteurs du projet parental, à condition que ledit projet n’ait pas pour seul objectif la réalisation de cet intérêt thérapeutique.

Au Royaume-Uni, la loi permet d’avoir recours à une telle pratique lorsque l’aîné souffre d’une maladie « sérieuse ». Toutefois, la gravité de la maladie n’est pas précisée comme c’est le cas en France. De plus, contrairement à ce qui se pratique en France où seules les cellules souches du sang de cordon ombilical ou de la moelle osseuse peuvent être prélevées pour une greffe sur l’aîné malade, la Human Fertilisation and Embryology Act de 2008 étend le prélèvement de ces sources thérapeutiques à d’« autres tissus » à l’exclusion d’un organe dans son entier (Schedule 2 Embryo testing 1ZA,4).

Des enjeux éthiques d’importance

L’étude que nous avons menée sur cette technique biomédicale met en exergue les principaux enjeux éthiques qu’elle suscite, notamment le risque d’instrumentalisation de l’enfant à naître et de dérive eugénique.

Elle questionne également le devenir des embryons surnuméraires ne faisant plus l’objet de projet parental : seront-ils détruits, donnés à la recherche ou feront-ils l’objet d’un don à une autre personne ou à un autre couple ?

Notre étude soulève aussi les risques psychologiques concernant l’enfant conçu dans le cadre de cette pratique.

Comment lui expliquer sa naissance ultérieurement ?

Quid en cas d’échec de la greffe sur son aîné malade et comment éviter de ne pas faire peser sur lui le poids émotionnel de cet échec thérapeutique ?

Quid également en cas d’erreur de diagnostic concernant la compatibilité de l’enfant à naître avec son aîné malade d’un point de vue immunologique ? Les parents pourront-ils, par la suite, demander une indemnisation pour avoir donné naissance à un enfant bien portant mais incompatible avec leur aîné malade ?

C’est en tout cas ce qui s’est produit en 2021 lorsque la justice belge a indemnisé un couple pour avoir donné naissance à des jumeaux en bonne santé, conçus par cette technique, mais immunologiquement incompatibles avec leur aîné malade à la suite d’une erreur médicale.

La mère et le père ont respectivement été dédommagés de 27 000 euros et de 11 000 euros pour leur préjudice moral. Le couple a également obtenu une compensation matérielle de 25 000 euros, « au motif du “choc” subi quand il a appris que les jumeaux ne pourraient servir de donneurs et “de la peur et des risques” générés par une nouvelle grossesse », rapporte le quotidien Le Monde.

Certaines critiques ont fait valoir qu’avec une telle décision « la médecine aurait une obligation absolue de résultats et non de moyens ».

Enfin, la question de la dette morale de l’enfant guéri envers son cadet ayant contribué à sa guérison se pose également.

Les banques de sang de cordon ombilical, une alternative ?

Face à la maladie génétique de l’enfant, les banques de sang de cordon ombilical pourraient offrir une alternative à la technique du bébé médicament en permettant aux familles de faire appel au don des unités de sang de cordon stockées dans ces banques.

D’où l’importance d’une part, de développer des banques de sang de cordon ombilical publiques, comme c’est le cas en France, où les unités de sang de cordon ombilical stockées sont destinées à un usage collectif, maximisant ainsi l’accès du public (et de fait, des enfants malades) aux greffes de sang de cordon ombilical et d’autre part, d’encourager les familles à faire don du sang de cordon ombilical de leur enfant pour un usage solidaire.

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