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L’avortement, un sujet majeur pour les artistes d’aujourd’hui

Une image de l'Evénement, film d'Audrey Diwan qui a remporté le Lion d'or à la Mostra de Venise en 2021. Allociné

Si l’adaptation de L’Événement au cinéma par Audrey Diwan a obtenu le Lion d’or à la Mostra de Venise, cela n’aura apparemment pas suffi pour que la ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno, ou la première dame, Brigitte Macron, se rendent à la projection organisée le 21 septembre dernier à l’Assemblée nationale. Elles y avaient pourtant été conviées.

Ce n’est pas la première fois que les arts s’emparent de la question de l’avortement en ce début de XXIe siècle, loin s’en faut. Le roman d’Annie Ernaux porté à l’écran avait paru en 2000 ; le film roumain et belge 4 mois, 3 semaines, 2 jours, réalisé par Cristian Mungiu, était sorti en 2007 et avait reçu la Palme d’or au 60e festival de Cannes, pour ne citer qu’eux. Pour autant, les œuvres – littéraires et cinématographiques notamment – qui traitent de l’interruption volontaire de grossesse se sont multipliées ces deux dernières années dans les pays occidentaux, témoignant ainsi de l’acuité de cette question, que certains auraient souhaité circonscrire au Mouvement de libération des femmes et à son ancrage dans les années 1970.

Bien au contraire, on assiste à une forte repolitisation de cet enjeu crucial pour les droits reproductifs. Si le droit à l’avortement vient parfois occulter d’autres questions ayant partie liée à la justice reproductive (accès à la contraception, stérilisation, avortements contraints, etc.), la question demeure un bon étalon de l’égalité entre les femmes et les hommes et de leur liberté à disposer de leur propre corps. Il n’est donc pas anodin que la culture mainstream s’en empare.

Une question instrumentalisée aux États-Unis

Aux États-Unis, le droit à l’avortement fait l’objet d’une véritable instrumentalisation lors des campagnes présidentielles, et l’on a pu noter que Donald Trump – qui n’y était absolument pas opposé dans les années 1980-90 – a bien perçu que le clivage autour de l’interruption volontaire de grossesse pouvait être transformé en atout électoral, ce qui n’a pas été étranger à sa victoire en 2016.

Les trois nominations qu’il a effectuées à la Cour suprême des États-Unis, celle de Neil Gorsuch en 2017, celle de Brett Kavanaugh en 2018 puis celle d’Amy Coney Barrett suite au décès de Ruth Bader Ginsburgh à l’automne dernier y sont également liées. Ces nominations sont en effet au cœur du refus de la Cour d’examiner la loi extrêmement restrictive adoptée par l’État du Texas, qui interdit l’avortement après six semaines de grossesse, y compris en cas de viol ou d’inceste.

C’est dans ce contexte que deux autrices américaines à succès, Jodi Picoult et Joyce Carol Oates, ont publié respectivement Une étincelle de vie (2018) et Un livre de martyrs américains (2020). Le premier aborde le sujet par le biais d’une prise d’otage dans une clinique pratiquant l’avortement ; le second utilise le fil rouge de l’avortement pour mieux donner à voir les divisions et les inégalités qui agitent l’Amérique contemporaine.

Au cinéma, c’est Never Rarely Sometimes Always, film américano-britannique réalisé par Eliza Hittman, acclamé au festival de Sundance et Prix du jury à la Berlinale, qui s’y attaque. Le film, sorti en catimini en 2020, en pleine crise Covid, place habilement les spectateurs et spectatrices face aux disparités territoriales que subissent les Américaines et au parcours de la combattante qui attend celles qui souhaitent mettre un terme à une grossesse, en particulier si elles font face à des contraintes matérielles et financières.

Les droits des femmes en danger

Les difficultés que rencontrent les adolescentes du film ne sont pas sans rappeler celles auxquelles se confrontent les Polonaises qui sont contraintes à l’exil abortif par l’interdiction d’avorter qui sévit dans leur pays. Nombre d’Irlandaises et de Nord-Irlandaises continuent également de les endurer malgré la récente légalisation de l’avortement jusqu’à 12 semaines en République d’Irlande (2018) puis en Irlande du Nord (2020), en raison des résistances à la mise en œuvre de ces dispositions.


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À l’image de ces évolutions à rebours des droits des femmes, la journée mondiale du droit à l’avortement le 28 septembre dernier n’a pas fait grand bruit. Néanmoins, le tabou qui entoure l’avortement semble bel et bien en train de s’effriter peu à peu. La parole se libère, portée par la vague #MeToo, dont c’est le quatrième anniversaire, et par la publicité entourant la mise au jour des violences gynécologiques et obstétricales.

Activisme artistique

En témoignent la bande dessinée Mon vagin, mon gynéco et moi de Rachel Lev (2021), mais aussi Il fallait que je vous le dise (2019), d’Aude Mermilliod, qui a précisément pour but de rompre le silence entourant les interruptions de grossesse, et la chanson Chair (2020), de Barbara Pravi, qui mène ce combat sur la scène musicale. L’icône de la culture populaire – qui a représenté la France à l’Eurovision cette année et bénéficie ainsi d’une grande renommée – et la dessinatrice remettent la dignité au centre de cette expérience vécue par une femme sur trois environ dans les pays occidentaux, moyenne qui masque de grandes disparités au niveau mondial.

Ces artistes font œuvre d’activisme et leurs productions sont loin d’aborder le sujet de l’avortement par inadvertance. Ces dernières sont éminemment politiques et visent à ouvrir les yeux et les oreilles du grand public en se proposant comme lieu de la confrontation à ces questions. Si leur public n’était pas averti, il est ainsi amené à comprendre la réalité vécue par les femmes au sujet desquelles on légifère. Ces lectures, ces visionnages visent à marquer l’opinion publique et à l’aider à faire des choix politiques dans les urnes. Ces œuvres engagées ne se contentent pas d’être produites dans un contexte particulier : elles y sont une réaction, une contre-attaque.

La BD boucle la boucle avec Le Manifeste des 343 (2020), d’Adeline Lafitte, Hélène Strag et Hervé Duphot, qui revient sur la parution dudit Manifeste dans Le Nouvel Observateur il y a 50 ans. Aude Mermilliod poursuit elle aussi sa collaboration avec Martin Winckler en adaptant pour la BD (2021) son roman Le Chœur des femmes (2009), preuve s’il en était que son œuvre-témoignage n’était pas accidentelle. Pour les lectrices et lecteurs, il ne reste plus qu’à espérer que la boucle soit aussi bouclée par les parlementaires, en France, qui tergiversent depuis plus d’un an quant à autoriser l’allongement du délai légal à 14 semaines.

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