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Les diversités de colorations, une stratégie d’adaptation pour les escargots des dunes

Grappe de Theba pisana, Sud de la France. Pr. Köhler, Fourni par l'auteur

Lors d’une balade en été à travers les dunes de Biville en Normandie mais aussi ailleurs, n’importe où dans les dunes côtières du bassin méditerranéen jusqu’au îles Canaries et à la frontière écossaise, on peut observer des escargots suspendus aux plantes, piquets de clôture et autres supports verticaux et ceci parfois en grappes assez importantes. Il s’agit pour la plupart d’escargot des dunes, aussi appelés la Caragouille rosée ou Theba pisana en latin. Est-ce bien la même espèce ? !

Majoritairement oui, mais pas nécessairement. On trouve parmi les Theba d’autres espèces telles que la Caragouille globuleuse, Cernuella virgata et, dans le su sud de la France, l’Hélicelle des Balkans, Xeropicta derbentina qui peuvent ressembler à l’escargot des dunes. Toutefois, toutes ces espèces varient, d’individus blancs à des individus ornementés de stries et taches brunes-noires très divers. Pourquoi cette variabilité peut-elle être présente à la fois chez des individus très clairs et des individus bien foncés dans une seule et même espèce ? Et pourquoi les animaux s’agrippent aux herbes s’exposant totalement au soleil brûlant ?

À cette dernière question, nous pouvons répondre facilement. Pendant la nuit, quand il fait frais, les escargots sont actifs au sol. Cependant, en plein jour, en été la température au sol peut dépasser 50 °C dans les espaces ouverts. Sur les plantes balancées par le vent, la température est bien plus agréable. Et si les conditions sèches et chaudes deviennent extrêmes et persistantes, les escargots rentrent alors en dormance, c’est-à-dire dans un arrêt métabolique prolongé qui se nomme estivation.

Des escargots blancs ou noirs

Mais quel est le rôle de la variation phénotypique, c’est-à-dire la variation des caractères apparents et observables de la coquille dans ce contexte ? Plusieurs hypothèses sont possibles : Les stries peuvent aider à dissimuler les escargots dans la végétation et ainsi les protègent des prédateurs, notamment des oiseaux. Dans ce cas, les différentes couleurs seraient liées à la végétation environnante. Cependant, la coloration peut aussi protéger de la chaleur. Il est bien connu qu’un objet sombre absorbe davantage le rayonnement solaire. Par contre, un objet blanc reflète plus le soleil et possède de ce fait un pouvoir réfléchissant plus élevé.

Les escargots des dunes peuvent être blancs ou pigmentés. Andreas Thomas Knigge, Fourni par l'auteur

Cela étant, la mélanine, pigment brun-noir contenu dans les stries pourrait fournir une protection contre les rayonnements solaires, notamment les ultraviolets. De plus, il a été démontré que les T. pisana fortement pigmentés refroidissent aussi plus rapidement que les escargots de couleur plus claire. Finalement, les expériences ont prouvé que les individus clairs performent mieux dans les habitats fortement ensoleillés, tandis que la mortalité chez les spécimens foncés y est plus haute. Ce constat favorise donc l’hypothèse qu’une coquille de couleur claire protège contre le rayonnement solaire et la chaleur. La couleur semble donc être soumise à une pression sélective en fonction de l’ensoleillement et des températures résultantes. Par conséquent, on devrait trouver plus d’animaux avec des coquilles claires dans les régions chaudes au sud et plus d’escargots de couleur foncée dans les régions plus clémentes, dans l’aire de répartition septentrionale. Si cela s’avère vrai, le changement climatique ferait certainement évoluer la pression sélective en favorisant les escargots clairs aussi au nord de l’aire de répartition. Par conséquent, il est attendu que le réchauffement climatique diminuera également la variation phénotypique dans le bassin méditerranéen et modifiera l’aire de répartition de cette espèce.

Une analyse de 20 000 individus

Mais quelle est précisément la fréquence des morphes, c’est-à-dire des regroupements phénotypiques clairs et foncés de T. pisana par rapport à leur aire de répartition ? Par ailleurs, quelle capacité morphologique possède cette espèce afin de s’adapter au réchauffement climatique ? Pour répondre à ces questions, nous avons mobilisé des chercheurs de différents pays, d’Israël, de Grèce, d’Italie, d’Espagne, de France, des Pays de Galle, d’Angleterre et des Pays-Bas. Les scientifiques ont collecté près de 20 000 individus de T. pisana provenant de plus de 170 sites et les ont envoyés au laboratoire d’Écologie et physiologie animale de l’Université de Tübingen, en Allemagne pour analyse morphométrique, c’est-à-dire de leur taille, leur forme et de leur intensité de pigmentation.

Les données morphométriques ont été modélisées en fonction de paramètres bioclimatiques, dont notamment la température et la pluviométrie, ainsi que la densité de la couverture végétale. De plus, l’aire de répartition historique entre le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, et l’Europe du Nord-Ouest a été reconstituée à partir des données publiées dans les revues scientifiques. La future distribution de T. pisana du bassin méditerranéen à l’Europe Nord-ouest ainsi que la fréquence future des morphes plus ou moins pigmentés est prédite sur la base des différents modèles de changement climatique. Ces derniers travaux sont en cours et n’ont pas encore été publiés.

Les résultats indiquent une distribution actuelle des morphes clairs et sombres de T. pisana qui correspond à la répartition nord-sud de l’espèce. En effet, les escargots fortement pigmentés semblent être plus fréquents aux Pays de Galle et Pays-Bas, pourtant les escargots plus clairs se trouvent plus nombreux dans les parties sud de l’aire de répartition. Même si la végétation change également du nord au sud, mais aussi d’ouest à l’est, les analyses suggèrent fortement que les facteurs climatiques, dont la température et l’ensoleillement, déterminent majoritairement la distribution des morphes clairs et des morphes sombres par rapport à d’autres facteurs. La végétation impacte plus localement les différentes distributions des morphes clairs et foncés.

Il se dessine également que la zone propice à la colonisation par T. pisana va s’étendre plus vers l’Europe centrale et l’Europe du Nord. À l’avenir, nous devons également nous attendre à la présence de populations de cet escargot en Allemagne continentale ainsi qu’au Danemark, en Écosse et dans le sud de la Suède. Effectivement, T. pisana est déjà présente à Helgoland, petite île dans la baie allemande depuis 2014. Par contre, T. pisana pourrait disparaitre ponctuellement des habitats extrêmement chauds et secs, comme certaines parties de la côte nord de l’Afrique ou de l’intérieur de l’Espagne. L’espèce profitera donc généralement d’une extension de son aire de réparation qui compensera probablement la disparition dans d’autres régions. En contrepartie, dans l’aire de répartition méridionale, l’espèce pourrait être confrontée à une perte de diversité intraspécifique concernant la pigmentation et les motifs de la coquille dans ces régions pour lesquelles la durée et l’intensité d’ensoleillement ainsi que la température moyenne annuelle dépassent un niveau seuil, au-delà duquel des mécanismes évolutifs sont enclenchés afin d’induire la modification des aspects morphologiques. Effectivement, les modèles prédisent que dans le sud de la France, les populations seraient pour la plupart de couleur claire. En contrepartie, ces populations pourraient être appauvries en diversité génétique, ce qui peut avoir pour corollaire une perte de capacité d’adaptation à des conditions environnementales variables autres que l’ensoleillement et la température.

En résumé, nous pouvons constater que T. pisana est une espèce qui pourrait s’adapter au changement climatique lui permettant de persister dans la plupart des régions qui subissent un ensoleillement plus fort et une augmentation des températures. En même temps, l’espèce pourrait dans le futur coloniser de nouvelles régions pourvu que les habitats restent hors du gel, comme l’Écosse et la Scandinavie. C’est notamment cette condition qui limite la propagation vers le nord.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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