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L’éternel débat des notes à l’école

Groupe d'élèves du secondaire passant un examen dans une salle de classe
L’évaluation des compétences ne se réduit pas à la notation. Shutterstock

Après des années de travaux sur l’évaluation des élèves et de si nombreuses recherches en « docimologie », on aurait pu croire la cause entendue : les notes attribuées au sein de l’institution scolaire ne sont ni une mesure objective des performances des élèves ni le moyen incontournable d’exprimer un jugement sur les niveaux atteints. Elles n’ont rien de scientifique. Et l’on pourrait, voire on devrait, s’en passer.

Mais la publication des résultats 2022 de l’enquête internationale PISA et la décision prise, dans la foulée, par le ministre Gabriel Attal, de décréter la fin du collège « uniforme » pour rendre le système éducatif français « plus exigeant », sont venues remettre la question des notes au cœur du débat éducatif.

Alors même que de nombreuses études dénoncent la pression excessive qu’elles exercent sur les élèves, l’ambition assumée d’une plus grande exigence va-t-elle leur redonner une place centrale dans l’institution scolaire ?

Culture de la performance scolaire et bienveillance éducative

Depuis plus d’une décennie, le système scolaire semble être agité par deux mouvements pendulaires concomitants. Le premier axe de balancement concerne ce que l’on pourrait appeler sa philosophie dominante, qui oscille entre la proclamation de l’exigence, pour une recherche de l’excellence, et la volonté d’un accueil bienveillant de tous, dans un souci de réelle démocratisation.

Le second axe, qui recoupe le premier, concerne spécifiquement l’évaluation. Celle-ci est touchée par des poussées de fièvre périodiques dans le sens d’une pratique expansive et exacerbée de la notation, que l’on pense être au service de l’excellence, auxquelles succèdent des périodes d’accalmie, dans le sens d’une pratique moins invasive et plus apaisée – que l’on pense plus apte à contribuer à la démocratisation du système.


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Ainsi, après que des voix, dénonçant une culture de la performance, et une obsession du classement, se soient élevées pour mettre fin à « la tyrannie de la note », le ministre Luc Chatel décide en novembre 2010 de maintenir la notation dans le système scolaire français. Car, déclare-t-il, la note est utile pour « avoir des repères ».

Puis, bien qu’un sondage IFOP ait révélé en 2012 que 80 % des Français étaient opposés à la suppression des notes à l’école, on est tenté, en 2014, sur proposition du Conseil Supérieur des Programmes, de supprimer carrément notes et moyennes. Toutefois, en 2015, Le Monde titrera « La fin des notes n’est pas vraiment pour demain ». Une étude du CNRS montrera pourtant en 2016 que la suppression des notes en classe permet de réduire les inégalités de réussite liées à l’origine sociale.

Brevet des collèges : les élèves planchent sur les épreuves écrites (France 3 Nouvelle-Aquitaine, 2022).

La question du brevet des collèges est symptomatique des débats accompagnant ce double mouvement. Depuis 2006, le brevet, qui vérifie la maîtrise des programmes, coexiste avec le Livret personnel de compétences, qui valide la maîtrise du « socle commun » de connaissances, de compétences et de culture. En 2014, le ministre Benoît Hamon envisage sa suppression, ou tout au moins, déjà, sa réforme. Doit-on conserver deux modalités d’examen ? Et quelle doit être la part d’une évaluation progressive, et celle d’une validation terminale ?

Le brevet a été maintenu jusqu’à aujourd’hui, avec une part de contrôle continu s’élevant à 50 %. Mais Attal a fait part de son souhait de le réformer profondément, pour en faire un diplôme obligatoire pour entrer au lycée, et qui ne prendra en compte que des notes données par des correcteurs, sans validation collective de compétences. Au risque de réduire les taux de réussite.

Évaluer pour accompagner ou pour classer ?

Le ministre de l’Éducation a donc décidé de rendre le système éducatif « plus exigeant ». Mais l’exigence (élitiste ?) exige-t-elle la notation, et la bienveillance (démocratisante ?) sa suppression ? Pour traiter sérieusement de la place et de l’avenir de la notation dans le système scolaire, il faut prendre acte du double fait que l’évaluation ne se réduit pas à la notation, et que la présence (ou l’absence) de la notation n’est pas, en soi, un signe d’excellence, pas plus que de médiocrité.

La note n’est qu’un système commode pour exprimer le jugement que l’on a pu porter sur la façon dont celui qui l’obtient satisfait à des attentes le concernant (en termes, par exemple, de construction de connaissances). Il existe d’autres façons, sans doute beaucoup plus informatrices, pour exprimer, et affiner, ce jugement – dont des outils de diagnostic personnalisé, telles les échelles descriptives.

La présence de la notation n’a pas de signification univoque. Une note ne signifie pas rigueur, pas plus que son absence ne signifie laxisme ou faiblesse méthodologique. La rigueur tient dans le respect d’une démarche aujourd’hui clairement identifiée. Et la note n’est pas responsable de l’usage que l’on en fait !

Le style de notation varie selon les systèmes scolaires (Karambolage/Arte).

Évaluer, c’est dire la valeur, en jugeant de l’acceptabilité d’une réalité par rapport à des attentes qui la concernent. Mais cela peut se faire dans deux grandes perspectives différentes : une perspective d’information et une perspective de filtrage. Dans le premier cas, l’objectif est de permettre à des individus de savoir, chacun, où ils en sont, dans le cadre d’un projet de progression individuelle. L’évaluation, alors informatrice, situe : elle répond à la question : où en suis-je ?

Dans le second cas, l’objectif est de dire la place d’un individu dans un ensemble où les places n’ont pas toutes la même valeur, dans le cadre d’un projet de progression sociale. Elle répond à la question : suis-je bien placé (voire : le mieux placé)… pour monter dans l’« ascenseur social » ? L’évaluation, alors « classante », statue : elle permet de trier/filtrer ceux qui seront les mieux placés, parce que les mieux classés. Elle désigne les meilleurs, en leur attribuant, de fait, une plus grande valeur « académique » ; et, par là même, une plus grande valeur sociale.

S’entendre sur les objectifs du système scolaire

Dans le second des cas évoqués, l’évaluation est conduite à privilégier le « couple infernal » classement/sélection, dans une logique, finalement, de concours. Dans le premier cas, elle tend à privilégier ce qui serait un « couple vertueux » : le diptyque diagnostic/accompagnement. On formule un diagnostic pour mieux accompagner chacun dans une progression individuelle. Il est clair que cette voie est préférable dans un contexte éducatif, quand il s’agit d’aider des élèves à apprendre. Et que la deuxième voie peut-être, non préférable, mais acceptable, si – et seulement si – le système scolaire reçoit pour mission légitime de réguler des flux en identifiant progressivement une élite.

Plutôt, donc, que de vouloir peser sur le mouvement de balancier pour donner une place plus ou moins importante à la notation, le mieux à faire serait de veiller à l’adéquation de la notation avec un objectif clairement défini. Mais après avoir pesé la légitimité de cet objectif, et en veillant à ne pas faire comme s’il n’y avait qu’un seul objectif, effaçant tous les autres.


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Ainsi, il ne faut pas faire comme si l’évaluation ne pouvait être, par exemple, que « formative », en oubliant qu’elle doit avoir, aussi, pour fonction de certifier, en attribuant finalement des diplômes qui auront valeur de visa pour accéder à des positions socialement valorisées. Ou bien, comme si elle ne pouvait être que sélective, oubliant la nécessité, surtout à l’intérieur d’un système éducatif, de contribuer à la réussite de tous, en mettant en œuvre une évaluation formatrice.

Finalement, la place de l’évaluation (et pas simplement de la notation), dépend de l’importance et de la légitimité de l’objectif au service duquel elle est mise. On peut gager que, tant que le système scolaire aura pour fonction importante, voire, hélas, dominante, de filtrer une élite, l’évaluation par notation a un bel avenir devant elle. Car il faut bien nourrir l’ogre algorithmique (exemple : Parcoursup), qui a besoin d’informations classantes, aux points de passage clés du système scolaire, c’est-à-dire à chaque moment où une orientation décisive peut s’opérer. Mais il ne faudrait pas que l’évaluation ne soit réduite à ce seul service.

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