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Londres est-elle la véritable héroïne du dernier « Mary Poppins » ?

Mary Poppins dans un décor typiquement londonien. Disney

Le retour de Mary Poppins (Marshall, 2018), 50 ans après la création cinématographique du personnage, est un événement pour Disney et pour les fans de la célèbre nounou britannique. Le cerf-volant rafistolé grâce au Times crée un véritable trait d’union entre les deux films et, étant donné son rôle narratif dans le second opus, il devient un symbole fort : symbole de la famille mais aussi symbole endogène à l’univers de Mary Poppins. Au-delà de cette insertion publicitaire unique en son genre, nous nous intéressons ici aux inscriptions filmiques de la ville de Londres. Dans les deux longs-métrages, il est explicité que l’histoire se déroule au cœur de la capitale anglaise. Mais quelle place la ville de Londres occupe-t-elle réellement dans le récit ? Entre le Londres de 1910 dans Mary Poppins en 1964 (Stevenson) comparé au Londres de 1930 dans Le retour de Mary Poppins en 2018, dans quelle mesure la monstration du territoire a-t-elle évolué ?

Ces questions s’inscrivent dans les réflexions sur les enjeux en termes d’image et de construction de l’identité territoriale par le placement de produit filmique tel que nous les avions développés dans un précédent article.


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En 1964, une évocation de Londres en peinture et en musique

Première image du film Mary Poppins version 1964 : la tour de l’horloge du Palais de Westminster renfermant Big Ben. Dans la brume, le monument domine Londres et situe immédiatement l’action filmique dans la capitale anglaise. Les peintures sur Londres se succèdent pendant le générique au début du film. Londres apparaît donc avant l’héroïne. Lorsque Mary Poppins descend de son nuage pour rejoindre la maison des Banks, elle ne manque pas de passer à côté de la tour. Pareillement, à la fin du film, elle s’envole à proximité du monument particulièrement représentatif de Londres.

Mary Poppins vole au-dessus de Londres.

Au-delà de Big Ben et de la tour de l’horloge, d’autres insertions territoriales nous rappellent ponctuellement le contexte géographique de l’histoire.

Pour endormir les enfants, Mary Poppins leur chante une berceuse « Feed the birds » qui raconte l’histoire de la dame aux pigeons. Dans ce passage, la nurse évoque le parvis de la cathédrale Saint-Paul au cœur de Londres dès les premiers mots du complet : « Early each day to the steps of Saint Paul’s/The little old bird woman comes ». Jane et Michael écoutent attentivement et regardent émerveillés la boule à neige que leur montre la nurse. Sous le verre, la cathédrale Saint-Paul et des oiseaux qui remplacent les traditionnels flocons. La mise en scène nous transporte ensuite sur les marches du monument où nous découvrons la scène telle qu’elle est chantée par Mary Poppins. Le lendemain, Jane et Michael, accompagnés de leur père passeront également devant la cathédrale.

Dans une autre scène, Bert dessine des illustrations sur les pavés à l’entrée du parc. Parmi celles-ci, une vue de la Tamise « Balade sur la Tamise ». Le personnage propose alors aux enfants de s’y rendre. Malgré les talents d’imitateur de Bert, ils sont déçus de ne pas se téléporter sur place.

Le dessin à la craie de Bert.

Les insertions territoriales pour la ville de Londres sont manifestes mais ce sont des représentations dessinées, peintes ou modelées. Mary Poppins a été tourné dans les studios Twickenham de Londres ; les décors du film sont des panneaux peints ou constitués de maquettes réalisées à la main. En conséquence, si les insertions londoniennes sont explicites, elles ne sont pas réalistes. Big Ben, la cathédrale Saint-Paul, le centre-ville de Londres ou encore les toits de la ville apparaissent telle une rêverie.

En 2018, un placement pour Londres assumé et revendiqué

Dans Le retour de Mary Poppins, la ville prend la forme d’un placement de produit avec des objectifs touristiques tangibles. La visée stratégique de la démarche ne peut échapper aux spectateurs, véritables visiteurs de la capitale au fil des scènes qui se succèdent. Contrairement au premier opus, les scènes dans la ville sont tournées directement dans les rues de Londres. Les lieux, bien que mis en valeur par la cinégénie du film, figurent donc plus réalistes que dans le film de 1964.

Comme son aîné, le film nous fait voyager au cœur de la cité londonienne. Nous retrouvons les lieux emblématiques de Mary Poppins : Big Ben, Buckingham Palace, en passant par le parvis de la cathédrale Saint-Paul. C’est également le bâtiment du Royal Exchange – première bourse de commerce de la Cité de Londres et actuellement Centre commercial de boutiques de luxe – qui sert de décor à la banque dans laquelle Michael travaille (le même établissement qui employait son père dans le premier film). Plus encore, Le retour de Mary Poppins met en lumière d’autres quartiers de Londres. Jack allume les réverbères vintage de la rue Queen Anne’s Gate et Jane distribue des tracts dans la Cowley Street SW1, à Westminster

Le Royal Exchange à Londres.

Au-delà, les acteurs et la production revendiquent la nécessité de tourner le film à Londres. Lors de la promotion du film, Emily Blunt précise son lien de familiarité avec les lieux : Le retour de Mary Poppins est une lettre d’amour adressée à Londres : « Le film retranscrit magnifiquement la beauté de cette ville dont je suis originaire », dit-elle. Elle n’hésite donc pas à faire l’éloge de la ville devant les médias.

Sur les réseaux sociaux, de nombreuses photos du tournage sont également partagées. Nous y découvrons les acteurs du film en costume, parfois le dispositif technique et toujours Londres, dans l’image et dans les commentaires. Quant à lui, le producteur du film John DeLuca explique la place primordiale de Londres dans sa réalisation : « Il était important pour nous de tourner dans la capitale britannique afin de transporter les spectateurs au cœur même de la ville ».

L’acteur Lin-Manuel Miranda sur le tournage du film.

Nous voyons que le placement territorial est légitimé par l’équipe du film, soutenu par les médias et le public. Ce placement territorial est omniprésent, montré, exprimé, chanté et pourtant il est encensé. Là où le placement de produit doit se faire discret et s’intégrer parfaitement dans l’histoire pour être accepté, ici il bénéficie d’une aura d’acceptabilité unanime. Précisons que, dans le cas présent, le film est une adaptation littéraire des histoires de P.L. Travers, auteur australienne de naissance mais londonnienne d’adoption et de cœur. Ses récits sur Mary Poppins livraient déjà un mode de vie typiquement british.

Quand un lieu emblématique cimente un film

« Ces décors sont devenus des personnages à part entière du film » a déclaré John DeLuca. Cette phrase du producteur est loin d’être anodine. L’analyse du film nous permet d’établir que Big Ben endosse le rôle d’opposant puis celui d’adjuvant dans le récit.

Rappelons le point de départ de l’histoire : Michael, ruiné, a contracté un prêt qui hypothèque la maison familiale. Les huissiers lui donnent jusqu’à vendredi, avant minuit pour rembourser l’intégralité de la somme. La seule issue pour les Banks est d’apporter à la banque le certificat d’actions égaré. Le compte à rebours commence. La thématique du temps s’affirme centrale dans le film.

Leur voisin, l’Amiral Boom, a pour habitude (déjà dans la première histoire), de tirer un coup de canon à chaque heure qui passe. Au début du film de Rob Marshall, il s’étonne que Big Ben soit 5 minutes en avance sur l’heure exacte. Anecdotique ? Pas tant que ça ! Michael retrouve finalement le document, se tourne vers Big Ben : trop tard, il ne pourra arriver sur place en moins d’une minute. Mais c’est sans compter sur Mary Poppins pour qui « rien n’est impossible même l’impossible ».

Avec l’aide de ses amis allumeurs de réverbères, ils décident de remonter le temps. Un montage alterné montre alors Jack en train d’escalader Big Ben et William Weatherall Wilkins, Directeur de la banque, assis à son bureau guettant chaque minute qui passe. Derrière lui, majestueuse et toute en lumière dans la nuit, la tour de l’horloge. Elle est le garant du temps qui passe. Jack parvient au sommet de la tour, Mary Poppins peut reculer la grande aiguille de 5 minutes. Elle remonte littéralement le temps pour que Michael puisse honorer le pacte. L’Amiral Boom fait alors remarquer que les choses sont rentrées dans l’ordre et que Big Ben est de nouveau à l’heure. Le temps qui s’égrenait inéluctablement jouait contre les Banks jusqu’à ce que Mary Poppins s’en mêle et qu’il passe du statut d’ennemi à celui d’ami. Big Ben offre finalement le laps de temps nécessaire à la résolution narrative du film. Métaphoriquement, Mary Poppins est hors du temps ; 1964, 2018, peu importe, elle ne change pas, c’est une icône intemporelle.

Jack au sommet de la Tour de l’horloge.

Avec les moyens techniques de leur époque respective_, les films de _Mary Poppins dépeignent un tableau londonien merveilleux empreint de tradition et de féérie. D’une version de Londres poétique, nous passons avec Le retour de Mary Poppins à un Londres réaliste mais tout aussi enchanteur. Un Londres qui contextualise toujours l’histoire mais qui devient un personnage à part entière et un nœud dramatique majeur dans le récit.

Un placement de produit inédit et hautement symbolique du Times ; un placement territorial idéal pour Londres… Les insertions publicitaires ne deviendraient-elles pas un peu magiques grâce à Mary Poppins ?

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