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Marché du cognac : des « insights »… au marketing d’influence ou la stratégie du caméléon derrière les réseaux sociaux

De nouvelles façons de consommer le cognac : comment jouer sur les envies des nouveaux consommateurs ? Katy :Pang/Visual Hunt , CC BY-NC-SA

Les insights, que nous traduirons sommairement par des « perceptions intuitives », se détectent au sein de réseaux de clients traditionnels ou sur le web. Ils font émerger des dilemmes, des paradoxes, des signes que le marketing doit pouvoir identifier, capter, comprendre et s’approprier. Il s’agit ensuite pour les marketers de chercher à influencer les attitudes envers les produits ainsi que les comportements d’achats.

Une rapide mise en perspective

Cette contribution vise à explorer des démarches complémentaires au processus marketing classique qui repose sur trois étapes usuelles – étude de marché, élaboration de stratégie et mise en marché – et que certains travaux incitent parfois à « désapprendre ». Ces démarches reposent d’abord sur la recherche et l’identification délibérément organisée d’insights sur des clients potentiels. Elles s’appuient ensuite sur la captation d’individus ayant une capacité à influencer le marché. Et elles finissent par une véritable mise en scène de produits, adaptés aux attentes exprimées ou latentes. Il paraît donc intéressant de décrypter ces mécanismes sur lesquels s’appuie le marketing d’influence et qui souvent sont issus de nouvelles pratiques d’écoute et d’analyse de « consommateurs-clés ».

Nous illustrerons ces mécanismes en investiguant le cas emblématique des cognacs. En effet, leurs ventes explosent actuellement sur les marchés étrangers. Ce succès repose en partie sur une gamme de spiritueux d’entrée de gamme – Very Special (VS) – qui satisfait les jeunes, notamment américains et asiatiques, qui n’hésitent pas à le couper avec des sodas ou du thé vert !

La spectaculaire renaissance du Cognac

Les ventes de cognacs jeunes et d’entrée de gamme (VS) n’ont jamais été aussi fortes dans le monde. Elles pèsent plus d’1 milliard d’euros. La première destination des exportations françaises reste les États-Unis. Dans le même temps, dans la zone Asie-Pacifique, la Chine représente toujours un marché robuste et bien portant pour les grandes maisons de Cognac. Et d’autres marchés tels que le Vietnam, la Malaisie, la Thaïlande ou encore la Birmanie, montrent un potentiel tout à fait important qu’il ne faut aucunement négliger.

Blue cheese. City Foodsters/VisualHunt, CC BY

À titre d’illustration, le leader des exportations françaises, Hennessy, a anticipé depuis quelques années déjà que le développement des ventes en Chine ne se ferait pas exclusivement grâce aux classes supérieures. Il avait prévu qu’il passerait aussi par la classe moyenne. Encore fallait-il comprendre les (nouvelles) motivations d’achat et de consommation de ces (nouveaux) clients. En effet, les African Americans consomment le cognac avec du jus de canneberge, les jeunes Chinois le mélangent avec du thé vert glacé, les jeunes européens raffolent de cognac et soda ou autres cocktails révolution

Ces cocktails à la fois innovants et iconoclastes constituent bien évidemment de belles opportunités pour les producteurs de cognacs mais ces respectables maisons doivent cependant se réinventer pour être adoptés par les nouvelles générations de clients. Il faut en effet accepter l’idée que chaque consommateur puisse déguster le cognac à sa manière. Il faut aussi admettre la transgression de certains des rituels érigés en best practices de la dégustation.

Les protocoles marketing d’étude de marché s’en trouvent bouleversés !

Des insights clients…

Une première étape, celle d’une recherche d’insights clients, repose sur une longue immersion dans les pays cibles afin de s’imprégner de la culture locale et du tissu social. Tel un caméléon avec un œil capable de surveiller le sol pendant que l’autre regarde en l’air, les marketers de Hennessy ont ainsi patiemment observé les attitudes de publics visés dans leur écosystème de prédilection. Les comportements et attitudes des jeunes notamment sont scrutés en profondeur au sein de leurs réseaux sociaux, sur Internet certes, mais aussi à leurs points de « connexions », à commencer par les bars, discothèques, clubs de sport ou de loisirs, plages, galeries commerciales ou autres lieux de déambulation.

En effet, la recherche d’insights clients n’est pas un traditionnel [test de marché comme l’expérimentent tous les professionnels du marketing dans la mesure où il n’y a pas d’idée produit préconçue. Il ne s’agit pas non plus d’une classique observation passive de consommateurs sur leurs lieux de vie ou d’achats, même si l’observation est complétée par des questionnements qui permettent de comprendre la justification des comportements.

Il s’agit plutôt d’un couplage subtil d’une démarche active, facilitée par l’usage des technologies, qui apparaissent dès lors comme l’un de facteurs clés de succès du protocole d’étude de marché mis en œuvre.

Concrètement, cette démarche se structure autour de trois composantes principales :

  • le repérage d’attentes dominantes exprimées ou latentes

  • la participation au partage de ces idées qui émergent, au sein de réseaux via des points ou des plateformes d’interconnexions et enfin,

  • la transformation de ces tendances innovantes en offres de produits intégrant une valeur d’usage attendue.

Selon les travaux de Patrick Gabriel, la valeur attendue en marketing est produite par l’utilisateur, en fonction de ses motivations, de ses ressources cognitives/affectives, de ses compétences et du contexte particulier d’utilisation.

L’entreprise ne peut dès lors faire que des promesses de valeur mais elle peut aussi tenter d’influencer le marché pour que ces promesses soient perçues comme accessibles.

Cognac sur glace. pixabay

… au marketing d’influence

La deuxième étape d’une stratégie de caméléon consiste pour une entreprise à repérer et attirer à elle des « influenceurs » qui pourraient promouvoir la marque. Telle la langue du caméléon qui jaillit comme un ressort pour capturer les insectes à distance, une stratégie d’influence s’élabore au travers, voire avec ces individus. Hennessy a par exemple réussi à attirer des artistes, reconnus au niveau mondial et leaders d’opinion culturels en raison de leur manière naturelle de promouvoir un certain art de vivre.

Cette collaboration avec le monde de l’art, que ce soit dans la peinture, la musique ou autre, est particulièrement intéressante. En effet, elle permet à la marque de s’inscrire non seulement dans le contexte culturel local mais également dans les communautés et dans la contemporanéité. L’artiste est invité à rentrer dans la marque, à la comprendre, la sentir, la restituer.

Deux exemples peuvent opportunément illustrer ces propos. Le tatoueur américain Scott Campbell a été choisi pour créer l’étiquette d’une bouteille d’exception. De même, « Henny » (Hennessy en argot) est devenue l’une des marques les plus citée dans les titres de rap américain renouvelant ainsi une longue et improbable histoire d’amour. Toutefois, la marque reste le héros et non les artistes. Le marketing opérationnel déployé, notamment des packagings spécifiques et des éditions limitées, renforcent l’image de la marque leader sans la dénaturer.

Au-delà d’une simple pratique de communication, les enjeux du marketing d’influence sont néanmoins orientés vers la performance de la stratégie commerciale, qui peut et doit être mesurée par des indicateurs.. Parmi les indicateurs principaux qui permettent d’évaluer la performance d’une stratégie de marketing d’influence nous pouvons citer 1) la notoriété acquise en fonction de la visibilité de la marque et/ou de l’entreprise sur Internet, 2) l’engagement des internautes au travers de leur interaction avec les plateformes et 3) la conversion en achats. Mais il y en a d’autres et le champ de recherche reste largement ouvert face aux bouleversements et impacts de la plateformisation en cours.

… et à la transformation en achats

Enfin, dans une troisième étape, le caméléon tout en s’appuyant sur ses pattes qui lui servent de pinces et de sa queue comme cinquième main, déploie sa proverbiale faculté de changer de couleur pour s’adapter à son biotope. Dans cette logique, Hennessy s’appuie plus que jamais sur ses avantages concurrentiels historiques, notamment une appellation d’origine certifiant la qualité, une large gamme de cognacs de tradition et une capacité d’innovation. Hennessy a ainsi lancé il y a six ans la gamme Classivm spécifiquement conçue pour le marché chinois et les marchés asiatiques connexes. Comme le note le site de la Cognathèque, « Classivm is a cognac “with a new style” destined for the Chinese market ». Et tel un caméléon qui s’adapte, cette grande maison de spiritueux accepte que chaque consommateur déguste le cognac à sa guise, la couleur et la robe du breuvage devant pouvoir changer au gré des mélanges effectués.

Ainsi, les insights clients constituent avant tout des clés d’interprétation d’attentes repérées mais qui demeurent peu ou pas satisfaites par les produits existants sur le marché. Encore faut-il transformer l’essai en adaptant son discours et son offre via des influenceurs qui donneront à l’offreur le maximum de chance d’être accepté par le consommateur. Cette stratégie du marketer caméléon aura d’autant plus de chance de réussir que l’offreur sera discret, attentif, patient et adaptable !

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