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Mobiliser les émotions pour mieux vendre : les leçons de la K-pop

Les sept membres de BTS, ici à Las Vegas en 2019, ont été recruté pour que le groupe affiche sept personnalités bien différentes. Dispatch / Wikimedia Commons

Les émotions constitueraient-elles l’ultime élément différenciateur entre l’homme et la machine ? Les dispositifs numériques se substituent peu à peu à l’humain et les individus s’habituent à cette interface virtuelle très rationnelle. Les entreprises devraient-elles alors mobiliser les émotions pour mieux vendre ? Devraient-elles en faire l’élément central d’un business model les permettant de se différencier ?

Et si des éléments de réponses éclairants nous provenaient du phénomène en vogue de la K-pop et de groupes comme Black Pink, Kiss of Life ou BTS ? Ce dernier affolait les compteurs avant de se mettre en pause pour laisser à chacun de ses membres le loisir de mener des projets en solo mais aussi pour effectuer leur service militaire. En moins de treize mois, les sept artistes du boys band ont placé six de leurs titres au sommet du Billboard Hot 100. Les derniers à avoir réalisé cette performance en si peu de temps n’avaient été autres que les Beatles.

À la racine du succès, on retrouve également l’apparition de dispositifs commerciaux novateurs pilotés par le label Big Hit Entertainment et la société de production Hybe. Chaque membre a, par exemple, été sélectionné et formé pour développer des personnalités spécifiques, une esthétique soignée et des performances spectaculaires lors des concerts. Associé à ce groupe, le développement de toute une « fandom », une communauté de fans qui a pris le nom de « BTS Army », incarne le phénomène « Hallyu » qui a émergé de Corée du Sud. Outre la musique, cette « vague puissante » (traduction française du terme) s’est répandue à travers le monde grâce à d’autres produits de la culture populaire coréenne, tels que des films et séries.

Des fans mobilisés

Si une grande partie de l’interaction avec le public passe par les réseaux numériques, des rassemblements sont également organisés, créant des pics émotionnels et mémoriels. Les concerts de deux heures sont des prouesses humaines et techniques associant pyrotechnie, chorégraphies et interactions digitales sur écrans géants. 70 000 spectateurs se sont rassemblés deux soirs de suite au Stade de France en juin 2019, 98 000 à deux reprises également au MetLife Stadium à New York en 2019. L’originalité est à la hauteur de la performance et de l’efficacité : les genres se mélangent et touchent différentes sensibilités musicales du hip-hop à l’électro en passant par la pop, le rock ou le rap. Quatre chanteurs et trois rappeurs combinent au sein d’un même morceau le coréen, l’anglais et l’espagnol procurant un ressenti d’ouverture aux autres cultures.

En réponse à ces interactions, les contenus émotionnels des messages des fans sur les réseaux sociaux sont sans équivoque :

« ils ne nous donnent que de l’amour »

Le dispositif BTS Army est par ailleurs reconnu pour son engagement envers des causes sociales et son impact sur la culture populaire. Les fans proclament que les membres du groupe sud-coréen de K-pop BTS leur « envoient le message qu’ils méritent tous de vivre, de se battre et de survivre ». C’est ce que relatent les chercheurs Woongjo Chang et Shin-Eui Park dans leur travail ethnographique sur le sujet.

Grâce à leur engagement avec le fandom Hallyu, les femmes du Moyen-Orient seraient en mesure de négocier un plus grand degré d’autonomie sociale conduisant à un engagement qui permet d’aller au-delà des peurs, en minimisant le risque d’être seules. La relation entre le groupe BTS et sa communauté des Armys transforme ainsi les goûts et les désirs de leurs fans en expression culturelle, politique et économique.

Un schéma en trois dimensions

Une analyse approfondie reposant notamment sur les observations de Chang et Park nous a permis d’identifier le schéma à l’œuvre et le rôle rempli par les émotions en entrepreneuriat afin d’en tirer leçon. Mobiliser les émotions pour améliorer le modèle d’affaire et augmenter la création de valeur associée nécessite de prendre en compte trois dimensions qui apportent un éclairage nouveau : l’intimité numérique, une socialité singulière et la satisfaction émotionnelle des besoins.

Savoir numériser l’intimité constitue donc la première dimension. Si les rassemblements de fans créent des pics émotionnels, renforçant la connexion entre eux, les producteurs savent les prolonger sur les plates-formes. En « numérisant l’intimité », la portée spatiale des relations entre individus est étendue au sein des communautés, facilitant ainsi la construction d’intimités lointaines et de socialisations inédites. Les frontières traditionnelles entre la sphère publique et celle privée de l’individu sont ainsi transcendées. L’action économique des individus prend racine dans ce nouveau registre émotionnel.

De cette numérisation naît une communauté, au sens anthropologique du terme. Les membres partagent une passion commune et une conviction forte en tant que moteur de leur collectif. On y retrouve quelque chose de presque néotribaliste. Les fans refusent de s’identifier à quelque projet politique que ce soit. Les relations sont parfois incohérentes, souvent ambiguës de sens : peu importe car la raison d’être de la communauté est une préoccupation pour le présent collectif. Or, cette socialité n’est pas un phénomène expliqué par le social (l’institution), mais par des facteurs émotionnels tels que la passion, le goût et l’intimité personnelle. Les flux émotionnels combinés conduisent à l’engagement et créent une émotion collective. Plus l’individu s’identifie au groupe, plus il en partage les émotions et s’engage.

Au sein de cette communauté enfin, les membres y trouvent des satisfactions émotionnelles, incluant la sécurité, l’appartenance, l’estime et l’autoréalisation au cœur de la pyramide des besoins conceptualisée à partir des années 1940 par le psychologue Abraham Maslow. Le fandom BTS Army offre un espace où les membres peuvent trouver du réconfort, une appartenance réelle, une meilleure estime de soi, et une voie vers l’autoréalisation, conduisant à créer une démarche marketing enrichie de l’aspect émotionnel.

Un apprentissage à effectuer pour les entrepreneurs

Numériser des émotions et s’en servir pour construire une communauté large dans laquelle les individus puisent des satisfactions, tel est le mécanisme qu’ont su mettre en place avec succès les promoteurs du groupe BTS. Comment les entrepreneurs peuvent-ils à leur échelle intégrer ces trois dimensions ? Tout un apprentissage semble parfois nécessaire.

Cela consiste à connaitre les causes et les conséquences des émotions, notamment celles des clients/utilisateurs, à maîtriser le vocabulaire du langage émotionnel et à développer la capacité à gérer des situations émotionnelles. Un premier niveau est celui de la perception émotionnelle : être conscient de ses émotions et les exprimer correctement aux autres. Le second niveau est celui de l’assimilation : faire la distinction entre les différentes émotions ressenties et reconnaître celles qui influent sur les processus de pensée. Le troisième niveau est celui de la capacité à comprendre des émotions complexes (éprouver deux émotions distinctes en même temps) et à identifier le passage d’une émotion à une autre. Enfin, le quatrième niveau est celui de la gestion des émotions.

Optimiser l’utilisation des émotions pour mieux vendre signifie alors non seulement augmenter potentiellement les chiffres de vente, mais aussi améliorer la qualité des transactions. Une attention particulière doit également être portée sur le fait que les entrepreneurs vivent et subissent les événements positifs et négatifs de leur entreprise comme des reflets d’eux-mêmes. Une intelligence émotionnelle augmentée dévoile à l’entrepreneur un angle de vue nouveau qui transforme sa posture. L’empathie l’oblige mais facilite en même temps l’alignement de ses émotions ressenties avec une conception partagée de l’environnement, en pleine conscience de ce qu’il est, de ce qu’il voudrait être et de ce qu’il propose à travers son modèle d’affaires.

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