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Diplo-focus : politiques étrangères

Obama et Hollande aux Nations unies, la confirmation d’un front renversé

Lors de la commémoration du 70e anniversaire du Débarquement, en juin 2014. Ambassade de France aux États-Unis/Flickr, CC BY-NC

Pour la dernière fois de la présidence de Barack Obama et du mandat de François Hollande, les deux hommes intervenaient devant l’Assemblée générale des Nations Unies. Après cinq années de relations politiques et de coopération, c’était le temps des bilans : bilan des politiques étrangères, des visions, de la relation. Les discours ont été conformes à ce que les dernières années avaient laissé pressentir. Le président américain développe une vision, mais il lui est reproché d’intellectualiser les problèmes sur le temps long, plutôt que de répondre aux situations présentes. La France s’inquiète parfois, à l’inverse, de ne plus avoir de vision stratégique et de dériver vers une posture sécuritaire de court terme. Mais comment ne pas prendre acte des impasses actuelles, bien réelles ?

Un monde de vents contraires

On connaît le contexte international difficile qui préside à ces fins de mandats. Les relations internationales ont vu la réaffirmation politique de deux puissances en mesure de concurrencer les États-Unis (ou « peer competitors »). La Chine, tout d’abord, prend ses marques en Asie – de revendications territoriales (en Mer de Chine du Sud) en construction de bases militaires sur des îles artificielles. La Russie, ensuite, inquiète l’Europe occidentale avec son action en Crimée et dans l’est ukrainien depuis 2014.

Les Alliés sont ainsi confrontés à une double résurgence : celle des sphères d’influence et celle des puissances révisionnistes. En insistant sur leur primauté historique dans une région donnée, Pékin et Moscou contestent l’idée d’un village global régi par des règles universelles. En imposant le changement des frontières (Crimée), en refusant les arbitrages juridiques internationaux sur celles-ci (comme la Chine à propos de son litige territorial avec les Philippines), les deux capitales sortent du consensus international. Cela complique la gestion collective des conflits en cours, à commencer par le drame syrien, où l’irruption russe semble souligner l’impuissance occidentale, et consacrer la politique de la force.

L’autre trait marquant des dernières années est le maintien de la menace terroriste. Daech a pris le relais d’Al-Qaida, a conquis des territoires ou y a installé des combattants, tout en fomentant des attentats dans le monde et notamment en France, comme on le sait. Quelques années après les États-Unis, la France est devenue la cible privilégiée des terroristes. Dans le débat public, l’intervention néoconservatrice de 2003 en Irak, mais également les frappes alliées sur la Libye en 2011, sont parfois considérées comme déclencheurs du chaos proche-oriental et sahélien. En d’autres termes, les mouvements radicaux violents sont loin d’avoir disparu, et cela sonne comme un échec franco-américain.

Enfin, les défis globaux ont été pris à bras le corps, mais leur gestion demeure entravée par les rapports de force politique. Le climat est devenu un enjeu fort à Washington (revenu dans la négociation environnementale après des années Bush à bien des égards irresponsables) comme à Paris, converti à la diplomatie sectorielle pour une COP21 devenue moment de gloire de la diplomatie française. Les inégalités sont désormais reconnues comme des facteurs de conflit potentiels.

Objectifs communs, agendas divergents

Tout n’oppose pas les deux visions présentées à New York en cette fin de mois de septembre 2016. L’urgence climatique, le développement et la sécurité humaine, la pauvreté, le populisme, le terrorisme et bien d’autres points constituent des préoccupations communes. La France et les États-Unis continuent de poursuivre les mêmes objectifs et de partager une vision du monde, à bien des égards multilatérale et libérale : Barack Obama loue la gouvernance, la démocratie et le marché, François Hollande, les Nations Unies et l’agenda 2030 sur le développement.

Les deux pays convergent aussi pour dénoncer l’attitude russe. Explicitement chez Obama : « Si la Russie continue d’interférer dans les affaires de ses voisins… ». À mots feutrés pour Hollande : « Le régime [syrien] est responsable de son échec […] Et je dis à ses soutiens étrangers que chacun connaît ici, qu’ils doivent forcer la paix, sinon ils porteront avec le régime la responsabilité de la partition et du chaos en Syrie ».

Obama à la tribune de l’ONU en 2009. Nations unies/Flickr, CC BY-NC-ND

Mais le premier insiste sur le système et ses évolutions historiques (la fin de la Guerre froide, la fin du colonialisme, la globalisation…), le second sur les acteurs et leur comportement immédiat. Le premier sur les principes (dignité, non-discrimination, libre-échange, défense des biens communs…), le second sur leur application. Le président américain rappelle ce qui a été fait, notamment par la première puissance mondiale sous sa direction, le second souligne ce qui ne l’a pas été, et fustige l’inaction, l’impuissance (« Ça suffit ! »).

Ces différences sont conformes aux reproches mutuels exprimés en privé, qui ont affecté la confiance entre Paris et Washington depuis le renoncement américain à frapper le régime de Damas en 2013. A Paris, on ressasse la « trahison » d’Obama, qui aurait perdu la confiance de ses alliés à force de tergiverser. A Washington, on trouve Paris un peu prompt à vouloir s’offrir l’intransigeance… avec les moyens militaires américains.

Urgences politiques, patience stratégique

On est enfin frappé, en assistant à ces discours, par le fait qu’ils semblent prononcés à fronts renversés. D’abord par rapport aux clichés entretenus sur les deux pays – ce qui, on en conviendra, n’est pas très grave. L’Amérique volontiers dépeinte comme adepte de Realpolitik cynique, et oublieuse du passé (voire a-historique), s’est trouvée un président qui s’inscrit dans le temps, en appelle aux cycles longs, et parle d’abord de souffrance. La France, « ce vieux pays d’un vieux continent », pour reprendre les mots de Dominique de Villepin aux Nations Unies en février 2003, n’évoque plus cette fois que l’urgence et l’immédiateté.

Les deux présidents et le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon lors de la COP21 à Paris, en novembre 2015. Benjamin Géminel/Flickr

Mais fronts renversés, surtout, par rapport à cette époque qui voyait en 2002-2003 la France de Jacques Chirac s’opposer aux États-Unis sur l’intervention militaire et les frappes « préemptives ». François Hollande affiche l’exigence de « sanctionner le recours aux armes chimiques », et annonce qu’« il y aura aussi en Irak, parce que c’est notre volonté, une intervention qui permettra, celle-là, de pouvoir libérer l’ensemble de l’Irak ». Presque rien, chez Barack Obama, sur la situation syrienne. L’impression que la France est devenue le plus interventionniste des pays occidentaux se trouve confortée ici, et fait écho au fameux « La France est en guerre » de François Hollande en novembre 2015. L’impression que l’Amérique dans le monde, sous Obama, oppose aux urgences politiques une « patience stratégique » mal comprise, se confirme également.

La situation politique nationale des deux protagonistes explique, en partie, le style employé à New York : Barack Obama est officiellement dans le testament politique, François Hollande ne peut autoriser cette lecture. Mais au-delà du style, la relation bilatérale devra être refondée en 2017, entre deux alliés dont la compréhension mutuelle est essentielle pour l’OTAN et pour leurs politiques étrangères respectives.

Beaucoup dépendra des résultats électoraux, qui pourraient remettre en cause jusqu’à l’essentiel, c’est-à-dire un agenda jusque-là commun sur la sécurité humaine, le multilatéralisme ou la libre circulation. Mais même sans heurt majeur, c’est-à-dire en cas de victoire de Hillary Clinton aux États-Unis, puis d’un candidat issu d’un grand parti de gouvernement en France, des questions lourdes devront être abordées sans fard : l’intervention militaire est-elle un bon outil de politique étrangère ? Quelle stratégie face au terrorisme ? Doit-on contenir ou plutôt engager Moscou ou Pékin ? Doit-on rompre avec la parenthèse Obama, ou encore et toujours avec la période néoconservatrice ? La prochaine Assemblée générale risque d’être plus difficile encore.

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