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En Guyane, le Conseil d’Etat a jugé que l’exemption d’évaluation environnementale pour certains projets de déforestation s’apparentait à une violation du principe de non-régression environnementale. Jody Amiet / AFP

Post-Covid : les outils du droit contre la régression environnementale

Dans le contexte du changement climatique, les pandémies s’annoncent plus fréquentes, plus létales et plus rapides, comme l’ont montré de nombreuses études.

En pleine crise sanitaire, légiférer dans l’urgence semble indispensable, mais le droit d’après devra prendre son temps. Nous laisser embarquer dans une société commandée par les « états d’urgence », sans questionnement et réflexion, est dangereux. La prévision, l’anticipation et la résilience devraient au contraire habiter l’esprit de notre droit contemporain.

La crise économique qui va succéder à la crise sanitaire fait craindre que l’on sacrifie à l’urgence économique l’urgence environnementale. En la matière, le droit est en pleine évolution, et un des outils juridiques dont il dispose justement est celui du principe de non-régression.

Un principe reconnu dans plusieurs pays

Les principes juridiques de progressivité (utilisé notamment pour les avancées des droits fondamentaux) et de non-régression (plus récent et circonscrit à la question environnementale) obligent à appliquer la règle de la norme la plus favorable pour l’intérêt public. Nous nous intéressons ici plus précisément à leur application environnementale.

Sur le plan international, le principe de progressivité est notamment appliqué aux droits de l’homme devant différentes cours régionales.

Il apparaît également dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. Celui-ci oblige les États-parties à informer des progrès accomplis en la matière. La Cour européenne des droits de l’Homme confirme cette tendance à la progressivité d’un droit à l’environnement sain dans un arrêt Tatar contre Roumanie du 27 janvier 2009.

Dans certains pays européens, le principe du « standstill » (ou effet cliquet) est présent depuis longtemps et a des applications pratiques assez larges. En Belgique par exemple, le Conseil d’État jugeait en 2005 que la suppression des évaluations d’impact environnemental lors de l’élaboration d’un plan d’aménagement constituait une violation de ce principe, qui limite les possibilités de recul sur les droits fondamentaux.

En Amérique latine, le Pérou a reconnu en 2005 le droit constitutionnel à un environnement sain et a posé le principe de responsabilité du législateur dans l’amélioration permanente de la protection de l’environnement. Au Costa Rica, la Cour suprême de justice a de son côté sanctionné la violation du principe de progressivité des droits humains dans le domaine de l’environnement. Quant à la Colombie, sa justice a prononcé plusieurs décisions sur la non-régression des droits socio-économiques, culturels et environnementaux.

Au niveau mondial, plusieurs États ont par ailleurs exprimé dès 2012 leur volonté de ne plus reculer en matière de protection de l’environnement, lors de la conférence des Nations unies sur le développement durable Rio+20.

Un principe encore très limité en France

En France, ce principe de progressivité en matière environnementale n’est gravé dans le marbre sous le nom de principe de non-régression qu’en 2016, dans la loi pour la reconquête de la biodiversité du 8 août 2016. Sa consécration constitutionnelle apparaît désormais capitale pour qu’il ait une réelle portée. Dans le cas inverse, une bonne raison justifiera toujours d’abaisser le niveau de protection de l’environnement.

La loi en question introduit dans le code de l’environnement quatre nouveaux principes, parmi lesquels la non-régression. Cette dernière est définie comme un principe « selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

S’il est salué comme une avancée majeure pour l’évolution du droit de l’environnement, sa relative nouveauté et certaines limites interrogent encore en France sa normativité, sa portée et ses évolutions.

L’obligation de progressivité environnementale n’est pas absolue ni illimitée. Elle reste conditionnée à la marge d’appréciation dont dispose l’État dans la sélection des mécanismes et à l’ensemble de la liste des droits fondamentaux avec lesquels elle doit coexister dans un juste équilibre.

En France, le juge administratif peine encore à l’appliquer, le juge judiciaire ne semble pas l’avoir encore fait et le juge constitutionnel ne le reconnaît que de manière limitée.

L’interprétation du Conseil constitutionnel

Malgré tout, d’importants progrès ont été faits. Le Conseil constitutionnel avait déjà affirmé la conformité « partielle » du principe de non-régression en droit de l’environnement avec la Constitution dès 2016 lorsqu’il fut appelé à se prononcer sur la compatibilité de la loi biodiversité avec la Constitution.

Depuis, il a précisé les contours tout en restreignant sa portée : le principe doit s’étendre à tout l’environnement mais pas aux situations individuelles. Les préfets ont de plus la possibilité de déroger à certaines normes environnementales, sans que ce nouveau pouvoir ait été jugé incompatible avec le principe de non-régression. De quoi inquiéter sur son avenir.

Si le Conseil reconnaît sa portée normative, seul un juge saisi d’un litige pourra ensuite préciser son application. Il n’est par ailleurs « imposé » qu’aux pouvoirs publics et ne pourra en aucun cas constituer une faute civile ou pénale susceptible d’engager la responsabilité d’une personne privée.

Où en est-on actuellement ?

Le 30 janvier 2020, le Conseil Constitutionnel s’est prononcé en faveur de la protection de l’environnement, à propos de la production et l’exportation des pesticides, faisant ainsi le lien avec la santé humaine.

Il y estime que cette préservation représente un « intérêt général de la nation » et fait partie du « patrimoine commun de l’humanité ». Elle doit donc primer face à la liberté de commerce et circulation des produits. Décision remarquable, qui suscite toutefois trois interrogations.

En premier lieu, le principe de non-régression est-il applicable aux droits de « tiers » ? Autrement dit, doit-il s’appliquer à « chaque fois » que l’on demande à l’administration une autorisation pour une construction ou une exploitation de ressources susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ? À l’heure où l’on doit penser l’après-crise du Covid-19 et la relance des activités, il s’agit d’une question plus que légitime.

En second lieu, s’agit-il d’un principe de portée générale – applicable systématiquement à chaque fois qu’il y aura menace ou risque d’atteinte à l’environnement – ou ne peut-il s’appliquer, de manière plus restreinte, que lorsque « le droit subjectif – individuel ou collectif – à l’environnement sain » de chacun est menacé ? Cet aspect est crucial pour l’avenir de l’écologie mais également pour le droit à la santé, tous les deux étroitement liés.

Troisième question, en matière législative, l’effet cliquet du principe de non-régression n’est pas absolu. Il est encadré par un principe supérieur de libre abrogation des lois afin de respecter les exigences constitutionnelles et reste donc subordonné à une mise en balance des intérêts constitutionnels à promouvoir et ceux, environnementaux, à conserver.

Par ailleurs, et si l’on reprend sa terminologie consacrée dès 2016, restée depuis inchangée, le principe de non-régression ne devra pas, selon le Conseil constitutionnel, empêcher que le droit s’adapte à l’évolution des circonstances et à des intérêts généraux autres que celui de la protection de l’environnement. Le principe semble donc voué à avoir une certaine souplesse et à servir d’orientation plus que d’obligation pour les politiques publiques.

Non-régression et précaution

Comment entendre cette interprétation au moment charnière où nous nous trouvons ?

Retenons en premier lieu que l’amélioration constante de la protection de l’environnement suivant le principe de non-régression ne fait « pas obstacle à ce que le législateur modifie ou abroge des mesures adoptées provisoirement en application de l’article 5 de la Charte de l’environnement pour mettre en œuvre le principe de précaution ».

La question qui se pose est dès lors celle de savoir si une politique publique prise au nom du principe de non-régression environnementale, peut aussi être abrogée si elle est contraire au principe de précaution. Quel est l’équilibre à trouver entre le principe de non-régression environnementale et le principe de précaution, valable à la fois pour l’environnement mais aussi pour la santé ?

On le voit bien, la consécration de sa valeur normative demeure subordonnée à un arbitrage laissé au juge entre divers intérêts constitutionnels à promouvoir et intérêts environnementaux à préserver. Ce qui est très insuffisant pour qu’il soit efficace.

Évaluations environnementales et non-régression

À ce jour, l’interprétation du principe de non-régression demeure donc pour le moins « souple ».

Le 9 octobre 2019, le Conseil d’État a jugé qu’une disposition du décret du 3 avril 2018, relatif à l’adaptation en Guyane des règles en matière d’évaluation environnementale, avait violé le principe de non-régression. En effet, elle exonérait des projets de déboisement de toute étude d’impact, lorsqu’ils concernaient des zones non agricoles de moins de 5 hectares.

Mais la décision expose aussi qu’une autre disposition en cause du décret, exemptant d’évaluation des projets de déboisement sur des zones classées agricoles de moins de 20 hectares, ne méconnaissait pas le principe de non-régression. Ces catégories de projet pouvaient pourtant avant ce décret faire l’objet d’une telle évaluation environnementale, décidée au cas par cas.

Vers une consécration internationale ?

Le principe de non-régression de la protection environnementale, pilier de notre droit de l’environnement et véritable outil de prévention demeure encore trop limité et peu retenu par le juge français.

Les requérants doivent en outre systématiquement prouver et justifier la baisse du niveau de protection, ce qui n’améliore pas forcément l’accès à la justice en la matière. Un espoir apparaît toutefois, puisque deux projets internationaux (le Pacte global pour l’environnement et le Pacte pour la protection des droits de l’homme et de l’environnement) mettent au centre le principe de non-régression.

Ce dernier pourrait alors devenir une base générale de la protection de l’environnement au niveau international. La France, jusqu’ici en avance par rapport à d’autres pays, risque alors de perdre du terrain sur la portée de ce principe. À moins que les juges ne donnent une nouvelle impulsion à son application.

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