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Réchauffement climatique sur le mont Blanc : le nombre de jours de gels va s’effondrer d’ici 2100

Les épisodes de dégel au-dessus de 3 500 m, qui restent aujourd'hui une exception, pourraient se répéter environ un jour sur trois en 2100. JF Buoncristiani, Author provided

Des résultats récemment publiés dans la revue Nature Scientific Report montrent clairement une forte tendance à la baisse du nombre de jours de gel durant le XXIe siècle sur le massif du Mont-Blanc. Les effets se feront surtout ressentir à partir des années 2050, et seront majeurs en haute altitude, entraînant alors une diminution de 45 % à 50 % du nombre de jours de gel par rapport à aujourd’hui.

Nous savions déjà que dans les Alpes, à la fin du XXIe siècle, le réchauffement climatique pourrait aboutir à une réduction des glaciers, de l’enneigement ou encore entraîner un déficit en eau, ayant un impact sur la biosphère et provoquant une transformation spectaculaire des milieux de haute montagne.

Mais ce constat, issu des conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) résulte de modélisations climatiques à l’échelle globale, dont la résolution spatiale reste peu précise sur les Alpes.

Nous avons donc décidé d’affiner ces projections, et particulièrement celles sur l’évolution du climat sur le massif du Mont-Blanc.

Mieux comprendre le climat du massif

Notre travail s’inscrit dans un projet de recherche pluridisciplinaire visant à comprendre et analyser les impacts du changement climatique sur les processus morphologiques et environnementaux dans le massif du Mont-Blanc. Le but est d’appréhender de manière pertinente les défis environnementaux et sociétaux liés aux modifications du climat en cours.

Ce projet baptisé VIP-Mont-Blanc a été financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) en 2014. Il est coordonné par Jean‑Louis Mugnier de l’Institut des Sciences de la Terre (CNRS/Université de Savoie) en collaboration avec plus d’une trentaine de chercheurs appartenant à six laboratoires ayant des expertises alliant la modélisation et l’observation sur site.

Le volet climat a été analysé par des chercheurs du laboratoire Biogéosciences (CNRS/Université de Bourgogne) et du laboratoire ThéMA (CNRS/Université de Franche-Comté). La première étape a consisté à analyser la variabilité du climat sur les 50 dernières années grâce aux données issues de plus de 80 stations météo régionales réparties entre la France, la Suisse et l’Italie. Ces stations ont permis de modéliser l’influence spatiale du relief sur les températures. Par exemple, l’abaissement de la température avec l’altitude ou encore l’influence de l’exposition des versants, ou de la profondeur et la largeur des vallées. Dans une deuxième étape, les modèles statistiques contrôlant la distribution spatiale des températures passées ont été appliqués aux climats futurs.

Une autre partie de ce projet vise à mieux comprendre l’extension passée des glaciers depuis le petit âge glaciaire (1350-1850). Ici, une mission d’échantillonnage sur le Jardin de Talèfre, au cœur du massif du Mont-Blanc. J.F. Buoncristiani/CNRS, Author provided (no reuse)

Une nouvelle approche à haute résolution

Les études sur le changement climatique reposent en grande partie sur les données des simulations informatiques du climat dans le cadre du projet de comparaison des modèles numériques de climat appelé CMIP et utilisés pour alimenter les rapports du GIEC.

La résolution spatiale des modèles climatiques utilisés dans les rapports du GIEC s’améliore au fil des années : 1ᵉʳ (FAR) publié en 1990, 2ᵉ (SAR) en 1995, 3ᵉ (TAR) en 2001 et 4ᵉ (AR4) en 2007. Mais la résolution reste de l’ordre de 100 km. GIEC-AR4, CC BY-NC-ND

Cependant, les résolutions spatiales de ces modèles sont comprises entre 100 et 200 kilomètres, ce qui n’est pas suffisant pour déterminer précisément l’évolution des températures à une échelle régionale à locale sur les reliefs de montagnes.

En effet, dans ces modèles globaux, la Terre est généralement très « aplatie », et le mont Blanc culmine à des altitudes comprises entre 500 et 2 000 m, loin des 4 810 m du sommet réel.

Dans notre étude, grâce à l’analyse des données issues des stations météo régionales, nous avons pu intégrer le rôle du relief dans toute sa complexité.

Ce travail est sans précédent sur le mont Blanc, car le climat a été régionalisé à une résolution spatiale inédite de 200 mètres, tout en utilisant les simulations des 13 modèles climatiques globaux ayant modélisé le climat de 1950 jusqu’en 2100. Cette nouvelle approche sur le mont Blanc fournit donc des estimations de température nettement plus précises que celle des modèles climatiques globaux.

Pour les décennies futures, les deux scénarios d’émissions de gaz à effet de serre les plus contrastés – appelé RCP 2.6 (optimiste) et RCP 8.5 (pessimiste) – ont été pris en compte afin d’avoir l’ensemble de la variation des évolutions climatiques.

Le premier scénario permet de respecter les termes de l’Accord de Paris et de maintenir le réchauffement global sous les 2 °C, mais il semble aujourd’hui difficile à atteindre. Le second mène à une augmentation des températures en 2100 de l’ordre de 5 à 6 °C par rapport à l’ère pré-industrielle et aux premiers rejets de masse de gaz à effet de serre.

Le sommet du mont Blanc n’a connu ces dernières décennies que de très brefs épisodes de dégel ; ce fut le cas lors de l’été caniculaire de 2003. B. Pohl, Author provided

Dégel du sommet du mont Blanc en été

Un des résultats majeurs majeurs de ce travail a permis de déterminer le nombre de jours de gel jusqu’en 2100, en fonction de ces deux scénarios que pourrait suivre le réchauffement climatique. Pour le plus optimiste, les résultats montrent clairement une diminution du nombre de jours de gel mais restant relativement faible par rapport aujourd’hui. Le climat se stabiliserait durant la seconde moitié du siècle.

En revanche pour le scénario le plus pessimiste, celui que l’on tend à suivre actuellement, les résultats pour la fin du XXIe siècle montrent des diminutions très importantes, et toujours croissantes, du nombre de jours de gel. En hiver, l’impact le plus important se situerait dans les vallées où l’on verrait une diminution des jours de gel de 30 % par rapport à aujourd’hui. Il resterait très prononcé jusqu’à 3 000 mètres, où la fréquence de dégel pourrait croître de 30 %.

Cette évolution des températures pourrait rendre plus incertaine la pratique des sports d’hiver, puisque les précipitations pluvieuses pourraient remplacer en partie les chutes de neige jusqu’à des altitudes élevées. En été, c’est la haute montagne qui serait la plus touchée : à des altitudes comprises entre 3 500 et 4 000 mètres, on pourrait alors avoir une diminution du nombre de jours de gel de 45 à 50 % par rapport à aujourd’hui.

Des évolutions similaires (35 à 40 % de jours sans gel en été) seraient aussi enregistrées sur le sommet du mont Blanc, à 4 810 m, alors que ce type d’événements reste rarissime à l’heure actuelle (le sommet a juste connu de brefs épisodes de dégel comme pendant l’épisode de canicule majeure durant l’été 2003). Ce qui reste actuellement une exception pourrait donc se répéter environ 1 jour sur 3 en fin de siècle.

Cette augmentation de la température pourrait induire des bouleversements environnementaux importants, jusqu’alors jamais observés, qui modifieraient en profondeur le fonctionnement des écosystèmes d’altitude, et nous obligeraient à nous adapter.

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