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Replacer les populations au centre de la réponse à la pandémie

Distribution de produits de première nécessité dans un quartier pauvre de Dacca, Bangladesh, le 25 avril 2020. Munir Uz Zaman/AFP

Démographie et pandémie ont une racine grecque commune : demos, le peuple. Ces termes révèlent aussi des enjeux communs : ils mettent en avant l’importance des dynamiques collectives et des exercices de comptabilisation des populations, ce qui rend capitale la question de la collecte et de l’analyse des données. La pandémie du Covid-19 remet au centre de toutes les attentions à la fois la question de la connaissance par les États de leurs populations et celle des moyens financiers, humains et technologiques mis à disposition pour compter, connaître, prévenir, traiter et informer les populations.

Historiquement, les pandémies ont affecté les sociétés dans leur équilibre démographique et géographique, leur stratification, leur organisation sociale, culturelle, religieuse, leur vie économique et leurs institutions. Elles ont donné naissance à des modes nouveaux de production, de consommation et de gouvernance, lesquelles ont engendré à leur tour des formes nouvelles de comportements individuels et collectifs. La pandémie actuelle démontre aussi la nécessité, au-delà des connaissances statistiques, de définir et de développer des instruments de gouvernement et de gouvernance susceptibles de contribuer à une formulation intégrée des politiques publiques.

Le défi démo-épidémiologique de la mondialisation des mobilités

L’intensification des migrations temporaires du tourisme de masse a favorisé les contaminations transcontinentales humaines, animales et végétales. Ces enjeux seront au cœur de la réflexion sur les conditions de redéploiement de l’économie d’après-crise Covid-19. Avec la mondialisation des échanges et la spécialisation internationale dans les chaînes de valeur, les migrations économiques au niveau des pays, des ensembles régionaux et intercontinentaux sont également à prendre en compte dans l’analyse de la pandémie actuelle.

Les flux migratoires vers les régions/pays d’accueil aussi bien que les migrations de retour s’effectuent le plus souvent en l’absence de mesures de prévention et de planification, accélérant la dissémination du virus et la contagion.

Enfin, la prolifération des théâtres de guerre et d’affrontement provoque des migrations de conflit qui créent des concentrations humaines dans des conditions humanitaires et sanitaires empêchant toute prévention et prise en charge des épidémies et intensifiant leur expansion.

Des risques démographiques différenciés

Selon les études épidémiologiques les plus récentes, le Covid-19 affecte plus particulièrement les personnes âgées, plus vulnérables aux pathologies pulmonaires. Les pays les plus développés, où la proportion de personnes de plus de 65 ans oscille entre 18 et 23 %, semblent plus exposés que les pays africains à faible revenu où les moins de 25 ans représentent les deux tiers de la population.

Des enfants entourent un véhicule procédant à une procédure de fumigation dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, à Maidagori, Nigeria, le 15 avril 2020. Audu Marte/AFP

Cela signifie-t-il pour autant qu’il y aurait une sorte d’immunisation « générationnelle » pour ces pays ? En fait, le niveau élevé de pauvreté ou de précarité, la quasi-absence de couverture sanitaire et de filets sociaux, de nombreux facteurs de comorbidité (paludisme, tuberculose, VIH, choléra, Ebola, expansion des maladies non transmissibles telles que le diabète et les maladies cardio-vasculaires) qui affaiblissent les défenses immunitaires peuvent être des accélérateurs de la pandémie que la jeunesse de la population ne suffirait pas vraiment à compenser.

Dispositifs de connaissances démographiques et de surveillance épidémiologique : défis statistiques ou politiques ?

La pandémie du Covid-19 révèle enfin l’importance des structures, des instruments et des méthodologies statistiques en démographiques et en épidémiologie. Elle en révèle aussi les défis, voire les impasses actuelles en matière de production, de capacité d’analyse et de diffusion des données démographiques pour beaucoup de pays en développement. La « révolution des données » est un défi spécifique supplémentaire pour ces pays, au niveau de la collecte ainsi que de la fiabilité/qualité, de la régularité, de la comparabilité, de l’accessibilité et de l’utilisation des données.

La pandémie met en évidence la très faible capacité institutionnelle des systèmes statistiques nationaux des pays pauvres à produire les données démographiques et épidémiologiques nécessaires : bien localiser les lieux de contagiosité et des décès, les délais de remontée des informations, la cause réelle des décès, les effets des comorbidités… L’enjeu est de développer une prise de conscience collective (populations, gouvernements, bailleurs internationaux) quant à la nécessité d’investir dans des moyens financiers, intellectuels et humains afin de mieux développer ces instruments de connaissance des dynamiques des populations.

Distanciation sociale et confinement : des solutions universelles ?

Les dynamiques de populations sont directement affectées par le Covid-19 : fermetures des frontières, suspension des transports aériens, mise à l’arrêt de pans entiers des économies, mobilisation prioritaire de systèmes de santé déjà fragilisés par des arbitrages budgétaires, contrôle social et sécurisation des personnes, précarisation accrue.

Ces dispositions administratives et ces injonctions, en particulier la mise en place des mesures de distanciation sociale et de confinement, révèlent des fractures importantes entre pays développés et en développement. En effet, les facteurs de résistance qui rendent plus complexe la réalisation de ces mesures dans les pays du Sud sont nombreux : niveau de pauvreté et des inégalités, poids de l’économie informelle, pratiques de sociabilité spécifiques dans des villes déstructurées, surpeuplées et insalubres…

Les injonctions étatiques risquent d’être peu comprises, mal acceptées. Certains États estiment nécessaire d’avoir recours à l’armée (Afrique du Sud) et d’imposer l’état d’urgence (RDC, Côte d’Ivoire). Les tensions sociales liées à la fermeture des commerces informels resteront-elles de simples résistances ou bien iront-elles jusqu’à une remise en cause des élites, voire des systèmes politiques ?

Entre religions et idéologies

Des expressions religieuses exacerbées renaissent : aux flagellants processionnaires et aux dénonciations violentes des boucs émissaires du Moyen Âge répondent la désinformation et le prosélytisme des mouvements évangéliques (Nigéria, RDC, Cameroun, Brésil, Texas), les cérémonies d’exorcisme (Inde), les réponses du vaudou (Bénin), les guérisseurs et les désenvoûteurs un peu partout, ainsi que la rhétorique du châtiment de Dieu comme arme eschatologique (djihadistes au Sahel).


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Ces manifestations religieuses investissent la sphère publique et les États doivent les prendre en compte, quand ils ne les instrumentalisent pas.

Invisibilisation des femmes : une constante universelle ?

La pandémie du Covid-19 remet en lumière la répartition des rôles sociaux de genre et les rapports de domination hommes-femmes qui existent dans toutes les sociétés du monde.

Si les données actuelles montrent une surmortalité masculine variable de l’ordre de 1 à 3, les facteurs socioculturels ne doivent pas être minorés par rapport aux déterminants biologiques et génétiques. L’impact du Covid-19 peut varier significativement d’un pays à un autre en fonction de la combinaison spécifique des pratiques sociales, des inégalités socio-économiques et des normes de genre. Dans la majorité des pays en développement, les risques sont accrus pour la santé et la vie des femmes qui sont les piliers des économies informelles et dans l’impossibilité vitale de pratiquer la distanciation sociale.

Elles représentent la très grande majorité des soignant·e·s (sauf pour le haut de la pyramide sanitaire, très massivement masculin) dans des systèmes de santé très délabrés et peu sûrs. Elles sont au cœur du « care » pour leurs familles et leurs communautés, et ont payé un lourd tribut lors d’autres épidémies (Ebola). Elles sont l’objet de violences domestiques accrues lorsque les hommes, du fait des conséquences sociales de la crise, sont fragilisés dans leur rôle traditionnel de pourvoyeur de la famille ; enfin, elles ne fréquentent plus les centres de santé pour le suivi des grossesses et les accouchements. Ajoutons que dans beaucoup de pays, la crise du Covid-19 est utilisée pour justifier et/ou renforcer des législations et des politiques contre l’avortement.

L’enchâssement des globalisations épidémiologique, économique et environnementale

La récession de l’économie mondiale a un coût colossal pour les pays développés. Dans les pays en développement, les conséquences sont plus dramatiques encore. En Afrique, le FMI prévoit une récession de plus de 3 % inaugurant une tendance inconnue depuis plus de 25 ans, la croissance économique ne permettant plus de compenser la croissance démographique du continent.

Face à cet effondrement de l’économie, les pays développés mettent en œuvre des politiques publiques massives et des plans de soutien budgétaires et financiers afin d’en compenser les effets dévastateurs sur le plan sanitaire mais surtout sur le plan économique (soutien aux entreprises) et social (compensation du chômage, total ou partiel). Les pays à revenu faible ou intermédiaire ne semblent pas du tout en capacité, sur tous ces fronts, de mettre en place des politiques publiques comparables.

La pandémie actuelle appelle à réfléchir au renforcement des politiques de santé publique qui affectent directement les droits fondamentaux des populations et à repenser les politiques publiques dans le cadre d’un reformatage de la mondialisation.

Enfin, c’est le cadre environnemental des populations, en particulier l’appauvrissement des espaces de biodiversité et les interactions accrues entre les humains et les animaux qu’il conviendra de questionner. En effet, sous l’effet des migrations et des échanges en constante augmentation, l’affaiblissement des barrières entre espèces avec la multiplication transnationale des marchés et des trafics et de la consommation d’animaux sauvages et la proximité de plus en plus grande des élevages industriels des zones périurbaines ont accru les risques pandémiques de tous ordres. C’est donc à l’échelle du monde que devraient être pensées et coordonnées les politiques publiques environnementales et de protection de la biodiversité sous peine de voir se démultiplier des opportunités infectieuses qui affecteront les dynamiques démographiques planétaires.

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