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Réussite scolaire : faut-il croire au don pour les langues étrangères ?

 Concept de livres sonores. Livres et casques sur un planisphère
L'état d'esprit des élèves et leur attitude face à l'échec comptent dans leur capacité à progresser en langues. Shutterstock

Parmi les idées reçues sur les langues, que certains chercheurs comme les Linguistes Atterrées tentent de déconstruire en rappelant que le français va très bien, on retrouve régulièrement l’idée selon laquelle les Français seraient mauvais en langues étrangères. La contrepartie de cette idée reçue – partiellement appuyée à grands coups d’études internationales (PISA par exemple) dont la valeur relative est régulièrement mise en cause pour la maitrise en langues – est qu’il y aurait des individus (voire des nations) bénéficiant d’un don en langues étrangères (et d’autres non).

Or, si certains semblent se prévaloir de ce don à l’origine presque biblique, qu’en est-il réellement ? Pourquoi l’idéologie du don des langues étrangères est-elle plus néfaste que bénéfique quand il s’agit de penser le rôle de l’école ?

Le don des langues ou le mythe de l’effort invisible

Réfléchir à l’apprentissage des langues sous le prisme de l’idéologie du don revient à poser la question du « talent » et donc de l’effort perçu comme nécessaire pour atteindre ses objectifs.

Étudier le talent, ou la facilité à « bien parler » une langue étrangère, c’est inspecter les causes multiples (familiales, sociales, scolaires, etc.) des inégalités de réussite ou de capacité des individus selon le sociologue Pierre-Michel Menger. Akira Mizubayashi, écrivain japonais, est l’un des exemples les plus connus de personnes ayant une maîtrise du français sans aucune trace de langue japonaise, alors même qu’il n’a jamais entendu parler cette langue étrangère avant l’âge adulte.

Akira Mizubayashi – Une langue venue d’ailleurs (Librairie Mollat).

Est-il possible de généraliser ce type de profils ancrés dans des parcours et des contextes uniques ? Certainement pas. Ce n’est pas parce qu’un individu a réussi à apprendre 70 030 décimales du nombre π que l’on pourrait imaginer que tous les enfants puissent en faire autant ou tout simplement que tout le monde devrait y arriver. Ainsi, pour Gérard Mauger, la violence symbolique de cette « idéologie du don » doit être combattue pour entretenir la croyance que tous peuvent réussir ; en acceptant dans le même temps que tout apprenant n’aura pas les mêmes besoins, les mêmes parcours d’apprentissage, ni les mêmes objectifs.

L’idéologie du don semble disposer de caractéristiques floues similaires avec que ce l’on appelle l’instinct, comme le souligne Jérémie Naudé, chercheur au CNRS en neurobiologie, sur son compte Twitter, précisant notamment qu’« invoquer l’instinct masque la façon dont des comportements complexes se développent selon un contexte écologique donné ». On pourrait aisément appliquer cette affirmation à ce que l’on qualifierait de « don » – la construction d’une compétence dépendant de très nombreux facteurs.

Croire en son potentiel pour mieux progresser

Pendant les années 70-80, plutôt que de considérer le « don des langues », les chercheurs ont tenté de définir les traits du « bon apprenant ». Ces recherches ont abouti à l’identification des différentes « stratégies » qui seraient autant de marqueurs de réussite (aptitudes, motivation, personnalité, etc.). Cela dit, ce paradigme a rapidement montré ses limites puisqu’il se transforme rapidement en un jugement de valeur des compétences de l’apprenant (qui disposerait des bonnes ou des mauvaises stratégies) et mène à un cul-de-sac pédagogique.


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Plutôt que de se focaliser sur un état, l’attention peut se porter sur l’investissement qui ne serait plus considéré comme une valeur absolue d’apprentissage mais comme la capacité d’un individu à s’investir dans un dispositif pour viser ses propres objectifs selon les efforts qu’il est capable de fournir à un instant t, individuellement ou en collaboration.

C’est ce que montrent, notamment, les travaux sur l’évaluation dans le cadre de la théorie des systèmes dynamiques d’une équipe néerlandaise menée par Marjolijn Verspoor. Ce paradigme révèle que le développement langagier est par nature fluctuant et que tout parcours d’apprentissage des langues intègre des régressions temporaires, nécessaires à la progression des compétences. Des élèves peuvent présenter un vocabulaire plus instable à un moment donné, mais cela peut correspondre en fait à une période à laquelle ils se concentrent sur de nouvelles structures grammaticales complexes, par exemple.


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Par ailleurs, les travaux sur les états mentaux et l’apprentissage des langues étrangères sont particulièrement éclairants dans ce domaine. Albalawi & Al-Hoorie soulignent qu’il y a un lien fort entre la motivation à apprendre et des facteurs internes comme l’état d’esprit (mindset en anglais). Il existerait au moins 2 types d’état d’esprit :

  • un état d’esprit fixe, impliquant une tendance à penser que tout échec menace la confiance et l’estime de soi donc la motivation ;

  • et un état d’esprit de développement, relatif au fait de profiter de tout échec comme permettant d’apprendre sur soi et gagner en compétences.

La force du moi idéal en langues étrangères (la manière dont je m’imagine à la fin de mon apprentissage) joue un rôle important. Or, ces théories nous confirment que l’on ne nait pas avec un état d’esprit particulier mais que celui-ci se développe dans le temps en fonction de l’expérience qu’on vit. Par la manière dont ils considèrent le processus d’apprentissage, l’école et les enseignants ont un rôle majeur à jouer pour aider les élèves à construire un état d’esprit plutôt tourné vers le développement. Et celui-ci favorisera d’autant plus une sécurité linguistique en langues étrangères.

Les langues à l’école et au-delà

Pour montrer combien l’héritage social compte dans la réussite scolaire, Bourdieu déjà avait montré que ce n’est pas l’état initial ou le but final qui doivent être pris en compte mais la capacité de transformation de chacun. L’investissement et la réussite se mesurent donc par la pente moyenne de progression appréciable à la fin d’un dispositif.

Or, si l’on reconnait qu’il n’existe pas de don des langues étrangères, c’est le capital socioculturel – et donc linguistique – des élèves qui contribue largement aux compétences en langues. Aussi l’articulation des opportunités entre apprentissages formels et informels qui s’opère dans la sphère privée participe aux compétences valorisées dans l’évaluation des langues (famille qui cultive positivement le plurilinguisme et son héritage multiculturel, voyages à l’étranger, opportunités d’immersion, dessins animés en version originale, etc.).

Par ailleurs, certaines compétences relatives à la langue écrite (la littéracie) tout autant que les compétences relatives à celles orales (oratie) sont socialement marquées dans l’évaluation scolaire.

Pour permettre la maitrise des savoirs fondamentaux, l’égalité, la mixité, et le bien-être des élèves, l’école et ses acteurs seront d’autant plus pertinents s’ils offrent des conditions favorables à la réussite de chacun. Or, pour réussir, il est indispensable que les individus croient en eux, en leur libre arbitre et à la capacité de l’institution de les aider à développer le don de réussir (et non le don des langues) selon le moi idéal de chacun.

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