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Industrilles

Taxer le carbone sans nuire à notre compétitivité

CO2. byrev / Pixabay

L’opinion prend enfin conscience de l’urgence d’une action résolue contre le changement climatique. Mais peut-on avoir en Europe des exigences environnementales plus élevées que d’autres pays sans mettre notre industrie en péril ?

Les experts sont clairs : nous n’éviterons un réchauffement dangereux qu’en limitant drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Pour que cet objectif soit atteint de manière efficace par des acteurs économiques rationnels, il faut donner un prix au carbone émis.

La difficulté de s’entendre sur un prix

Mais si le mécanisme suscitant le comportement optimal des consommateurs est une taxe mondiale uniforme, tous les pays ne sont pas d’accord sur le niveau de cette taxe (certains proposent un mécanisme alternatif de droits à émettre ou quotas échangeables, mais nous ne discuterons pas ici les mérites comparés de ces deux options). Comme le fait remarquer Pierre-Noël Giraud (L'homme inutile, Odile Jacob, 2015), une taxe de 30 dollars par tonne de carbone émis, probablement trop faible pour garantir une réduction globale suffisante des émissions, augmente le prix du parpaing de ciment de 50 %, alors que les habitants des bidonville du Caire ou de Mumbai achètent celui-ci à l’unité pour consolider leurs habitations.

Les pays moins avancés demandent logiquement un prix local du carbone qui ne pénalise pas leur développement. Mais si les industriels des pays développés payent leurs émissions à un prix supérieur à celui imposé à leurs concurrents, leurs produits ne seront pas compétitifs. Les pays développés perdront alors leur industrie sans bénéfice pour le climat, puisque la consommation des produits fabriqués dans les pays moins exigeants provoquera des émissions dans ces derniers, outre celles ajoutées par le transport des marchandises qui auraient pu être produites localement.

Découpler le niveau de taxation entre les pays sans créer de distorsion de concurrence

Pour pouvoir accepter que le prix du carbone émis varie d’une région à l’autre tout en incitant les consommateurs à limiter les émissions qu’ils provoquent, il faut taxer les émissions au moment de la consommation.

Cela peut se faire grâce à une taxe sur les émissions ajoutées (TEA), analogue à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui nous est familière. Lorsque nous achetons un produit, son écobilan permet de déterminer la quantité de gaz à effet de serre émise par sa fabrication. La taxe due sera liée à cette quantité de gaz (mesurée par exemple en équivalent CO2, tous les gaz n’ayant pas le même impact).

De manière analogue à ce qui se fait pour la TVA, un acteur économique facture à son client la taxe sur le « contenu CO2 » de son produit, mais déduit les taxes ou droits d’émission qu’il a lui-même payés pour ses consommations intermédiaires (matières premières, énergie, composants). Il ne paye donc la taxe que sur la quantité d’équivalent CO2 ajoutée par ses propres opérations de transformation.

Lorsqu’un produit est importé, soit l’importateur peut tracer son contenu en émissions taxées, avec la caution éventuelle d’un organisme certificateur, et il est alors imposé de manière équitable de la même manière qu’un producteur local, soit il ne fournit pas d’éléments fiables. Il sera alors taxé en fonction des nuisances provoquées par les pires procédés connus en usage.

Si par exemple un industriel qui transforme de l’aluminium a le choix entre acheter du métal produit dans une usine alimentée par une source d’électricité renouvelable comme un barrage hydroélectrique plutôt que par une centrale à charbon, il paiera une bien moindre taxe sur les émissions ajoutées.

Un tel système traite de manière équitable les producteurs locaux ou étrangers, donc ne contrevient pas aux règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Il incite chacun à la vertu (diminuer les nuisances induites par ses méthodes de fabrication pour diminuer la taxe sur la vente de ses produits), il permet à un pays ou à une zone économique de libre échange comme l’Europe, de décider d’avoir des exigences élevées qui lui sont propres sans pénaliser ses producteurs.

Un système moins complexe qu’il n'y paraît

Le système de perception est le même que celui de la TVA, jugée horriblement complexe lors de son invention, mais adoptée depuis par la plupart des pays. La TVA élimine les distorsions liées aux différences de fiscalité des pays : elle pèse de la même manière sur tous les produits consommés sur un territoire, qu’ils y soient produits ou soient importés. Elle n’est pas perçue sur les produits exportés, qui ne subiront que la fiscalité du pays dans lequel ils seront consommés.

La comptabilité des nuisances environnementales est certes délicate à mettre en œuvre. Notons cependant que les entreprises dont l’activité n’ajoute pas d’émissions se contentent de répercuter ce qu’elles payent dans leur prix de vente. C’est le cas pour la plupart d’entre elles, dont les émissions viennent de l’énergie ou des matières qu’elles consomment.

Les autres doivent produire un écobilan de leur procédé et, si celui-ci s’écarte d’une norme connue, le faire certifier par un organisme indépendant. Ces analyses de cycle de vie rigoureuses sont cependant essentielles pour leur permettre d’optimiser leurs procédés et de progresser dans la mise en œuvre de modes de production soutenables.

Prouver qu’une entreprise émet peu demandera une bonne traçabilité des produits, matières et énergies consommés. Cette traçabilité devient plus facile grâce aux nouvelles technologies qui permettent de suivre le cheminement des produits dans des chaînes de transformation complexes. Elle est par ailleurs de plus en plus nécessaire pour garantir la sécurité des consommateurs, notamment dans des domaines comme la pharmacie ou l’alimentation.

Ne pas augmenter la fiscalité globale

Cette nouvelle taxe écologique pourra être compensée par la diminution d’autres impôts sans modifier l’équilibre budgétaire global. Son produit permettra notamment d’alléger considérablement les charges assises sur les salaires, qui augmentent le coût d’une embauche pour l’employeur et contribuent ainsi au niveau élevé du chômage.

On peut aussi imaginer qu’une partie de cette taxe serve à alimenter le fonds aidant les pays moins avancés à accélérer leur transition énergétique et environnementale et à s’adapter au changement climatique.

Une solution transitoire

Trouver une solution pour qu’une taxe uniforme n’entrave pas un développement respectueux de l’environnement des pays moins avancés serait préférable, mais les négociations en cours n’ont pas permis de s’entendre sur un mécanisme accepté par tous.

Une taxe sur les émissions ajoutées payée par le consommateur n’est qu’une mesure transitoire, destinée à palier l’incapacité actuelle d’imposer un prix uniforme du carbone. Cette taxe devrait autant que possible être appliquée au moins au niveau de l’Europe ou d’un sous-ensemble significatif de celle-ci. Malgré les difficultés de sa mise en œuvre, elle permet aux pays les plus volontaristes d’accélérer leur transition écologique vers des modes de production soutenables sans que leur économie et leurs emplois ne soient pénalisés par la concurrence de pays moins exigeants.

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