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Images de voitures calcinées au bord d'une clôture dans un champ
Des voitures brûlées lors de l'invasion du Hamas dans le kibboutz Nir Oz, le 7 octobre 2023. Les images diffusées par le groupe terroriste font partie d'une nouvelle forme de propagande visant à démoraliser le camp ennemi. (AP Photo/Francisco Seco)

Tout comme Daesh, le Hamas diffuse les images de ses atrocités afin de maximiser leur impact psychologique

Le Hamas a chorégraphié très soigneusement son attaque contre des objectifs militaires et civils dans le sud d’Israël, le 7 octobre. Même si leurs actions terroristes dans le passé ont parfois été très « spectaculaires », il y a cette fois un changement important dans la stratégie de propagande de l’organisation.

En effet, les membres de l’organisation ont soigneusement préparé l’opération, comme le montrent les vidéos enregistrées, mais ils ont surtout pris soin de documenter visuellement leurs actions terroristes et de les diffuser sur les réseaux sociaux.

Comment expliquer ce changement dans leur stratégie de propagande ?

Je propose deux hypothèses : premièrement, le Hamas souhaitait maximiser l’impact de son attaque, tant par le nombre de victimes mortelles que par la prise d’otages ; deuxièmement, l’organisation palestinienne cherchait à obtenir un niveau élevé d’exposition publique de ses atrocités afin de nuire psychologiquement aux Israéliens et de gagner les faveurs d’une certaine opinion publique palestinienne, arabe et musulmane.

En ce sens, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’État islamique (EI) — Daesh. Il a bien compris le pouvoir des images brutales comme arme dans leur guerre contre Israël.

J’ai étudié depuis un certain temps la question de la propagande des organisations islamistes. J’ai consacré un chapitre sur le sujet dans mon livre sur la « transparence grotesque », donc le dévoilement proactif (proactive disclosure, dans le langage stratégique) des images sanguinaires et dégradantes du corps humain, dans la communication publique. J’ai aussi étudié les stratégies de recrutement des organisations terroristes et analysé l’influence de la révolution iranienne dans la propagande terroriste islamiste, tant chiite que sunnite.

Des femmes regardent des photos de personnes affichées sur un babillard
Des femmes regardent des photos d’Israéliens pris en otage à Gaza, à Tel Aviv, le 18 octobre 2023. La prise d’otage fait partie de la stratégie de terreur mise sur pied par le Hamas. (AP Photo/Petros Giannakouris)

L’impact « visuel » de la révolution iranienne

En mettant fortement l’accent sur les images (décapitations, massacres, etc.), lors de sa campagne de terreur dans les années 2010, l’État islamique-Daesh défiait en quelque sorte l’un des principes les plus sacrés de l’islam sunnite, qui condamne les représentations visuelles du corps humain. À l’opposé, les talibans afghans appliquent rigoureusement cette prescription coranique, interdisant la diffusion d’images, le cinéma et la télévision.

Mais un changement s’est produit dans le monde islamique avec la révolution iranienne, en 1979, sous la direction des ayatollahs chiites. Cet événement a eu une influence significative sur d’autres groupes islamistes, même au sein d’organisations d’inspiration wahhabite-sunnite telles que EI-Daesh et Al-Qaida.

En effet, le chiisme est plus « libéral » sur l’utilisation d’images visuelles comme outil pour propager la foi et glorifier le comportement héroïque des martyrs. Les ayatollahs iraniens ont également revendiqué le martyre des kamikazes combattant les ennemis de l’Islam, soit des « ennemis proches » musulmans (lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988), soit des « ennemis lointains » non musulmans (comme dans le cas de l’organisation chiite Hezbollah responsable de l'attentat au camion piégé contre la caserne des Marines américains à Beyrouth en 1983).

Un homme barbu, coiffé d’un chapeau noir et vêtu d’une robe noire et d’un keffieh, parle au micro
Le président iranien Ebrahim Raisi s’exprime lors d’un rassemblement anti-israélien à Téhéran, le 18 octobre 2023. La révolution iranienne a profondément influencé l’imagerie des martyrs de l’islam. (AP Photo/Vahid Salemi)

Influences croisées

L’organisation sunnite palestinienne Hamas, étroitement liée aux Frères musulmans égyptiens, collabore avec le Hezbollah chiite et reçoit du financement de l’Iran, démontrant la pollinisation croisée idéologique et stratégique entre les deux principales branches de l’Islam en matière de terrorisme et de propagande.

La révolution iranienne de 1979 a marqué un tournant dans la re-politisation de l’Islam. Dans ses chroniques sur l’Iran, le philosophe français Michel Foucault observe avec enthousiasme la « politique spirituelle » qui anime le mouvement dirigé par l’ayatollah Khomeini. Pour Foucault, la révolution islamique représentait une rupture avec les valeurs occidentales et les prescriptions libérales/marxistes de modernisation, à travers la mobilisation de toute une société dotée d’une « volonté politique » et d’idéaux utopiques. Même si la « folie » de Foucault sur la révolution iranienne a été largement critiquée, son analyse offre un aperçu pertinent de l’impact du mouvement social d’inspiration chiite dans le monde islamique et au-delà.

Foucault écrit :

Sa singularité qui a constitué jusqu’ici sa force risque bien de faire par la suite sa puissance d’expansion. C’est bien, en effet, comme mouvement ‘islamique’ qu’il peut incendier toute la région, renverser les régimes les plus instables et inquiéter les plus solides. L’Islam — qui n’est pas simplement une religion, mais un mode de vie, une appartenance à une histoire et à une civilisation — risque de constituer une gigantesque poudrière, à l’échelle de centaines de millions d’hommes. Depuis hier, tout État musulman peut être révolutionné de l’intérieur, à partir de ses traditions séculaires.

La révolution iranienne a également influencé la légitimation stratégique de la violence comme moyen d’atteindre des objectifs politiques et religieux.

Martyrs et guerre sainte

Enracinée dans la glorification chiite du martyre — historiquement liée à l’assassinat de l’Imam Hussein, petit-fils du Prophète, en l’an 680 par des opposants musulmans dans la ville de Karbala — la justification de la violence contre soi-même afin de détruire des ennemis infidèles a été largement adoptée par des organisations extrémistes d’inspiration sunnite.

Des manifestants tiennent des pancartes
Des partisans palestiniens manifestent à l’université de Columbia, le 12 octobre 2023, à New York. Les images brutales diffusées par le Hamas n’ont pas refroidi leurs partisans, bien au contraire. (AP Photo/Yuki Iwamura)

Le jihad (la guerre sainte) mené contre l’Union soviétique par les moudjahidines (combattants) de différents pays arabes et musulmans en Afghanistan a également prouvé la valeur stratégique de la violence contre une puissance occupante. Idéologiquement et opérationnellement, l’exemple afghan est devenu le modèle pour des milliers de militants qui sont retournés en héros victorieux dans leurs pays ou régions d’origine (Algérie, Cachemire, Bosnie, Irak, Pakistan, Tchétchénie).

Un autre effet de la révolution iranienne et de la guerre antisoviétique en Afghanistan a été la prise de conscience de l’importance de ce que le chercheur iranien Hamid Mowlana appelle un « système de communication total », combinant les réseaux de communication traditionnels, tels que les mosquées ou les écoles religieuses (madrasas), avec les moyens de communication modernes.

Les moudjahidines combattant les Soviétiques ont exploité leurs prouesses militaires avec l’aide des réseaux de diffusion américains et européens et, paradoxalement, de l’appareil de propagande du gouvernement américain présidé par le républicain Ronald Reagan.

À l’ère d’un sectarisme virtuel non territorialisé, le Hamas, inspiré par les actions de l’EI-Daesh et sous l’influence de la glorification chiite des images des martyrs et de la « violence sainte », s’est lancé sur deux fronts dans cette étape de la guerre contre l’État juif : un front violent contre Israël par le terrorisme et les lancements de roquettes ; l’autre par la propagande et la guerre psychologique pour démoraliser ceux qu’ils appellent « l’ennemi » et gagner l’admiration de leurs supporteurs, y compris ceux et celles du monde universitaire.

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