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Trump, le nouveau roi du pétrole ?

Trump abrogeant, le 14 février dernier, une loi anti-pots-de-vin visant les compagnies minières et pétrolières américaines. Saul Loeb/AFP

Les premiers signaux envoyés par le 45e président des États-Unis n’auront pas laissé de place au doute : avec la nomination de deux climatosceptiques (Rick Perry et Scott Pruit) et la désignation de Rex Tillerson (ex-PDG d’ExxonMobil) comme secrétaire d’État, la politique énergétique américaine s’annonce plus carbonée et éloignée des préoccupations environnementales mondiales.

Durant la campagne électorale, Trump a mis l’accent sur la question de la dérégulation, l’utilisation des revenus issus du développement des ressources énergétiques pour développer les infrastructures, le développement des technologies de captage et de stockage de carbone, la renaissance de l’industrie du charbon et enfin la recherche d’indépendance vis-à-vis de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Ces objectifs reviennent, finalement, à lever l’ensemble des barrières administratives, technologiques, environnementales et économiques pour privilégier le développement des ressources énergétiques fossiles aux États-Unis.

Mais ces propositions interpellent : ce programme a-t-il un sens dans un monde énergétique mondialisé ? Analyse de la stratégie pétrolière du nouvel homme fort de Washington.

Le mirage de l’indépendance énergétique

Les États-Unis sont les deuxièmes consommateurs mondiaux d’énergie derrière la Chine. Sur les marchés pétroliers, ils ont enregistré une production record de 12,7 millions de barils par jour (mb/j) en 2015, les plaçant au rang de premier producteur mondial, devant l’Arabie saoudite et la Russie. Ce sont aussi les premiers consommateurs de pétrole au monde : ils figurent ainsi dans le groupe de tête des pays importateurs, juste derrière la Chine.

La question d’une indépendance domestique, promise par Trump, reste pour l’instant difficile à imaginer, et ce même si la production nationale permet de couvrir actuellement près de 75 % de la consommation domestique, contre 37 % en 2008.

La révolution des hydrocarbures non conventionnels a en effet considérablement transformé la scène énergétique américaine et mondiale. Entre 2009 et 2013, les États-Unis ont alimenté le marché pétrolier avec plus de 3 millions de barils par jour (mbj) supplémentaires, soit l’équivalent d’un nouvel Irak sur les marchés mondiaux !

LTO pour « light tight oil » (pétroles de schiste). L’ordonnée de gauche désigne le nombre de barils/jour en million. L’ordonnée de droite désigne le nombre de mètres cubes/jour en million. DOE, Author provided

La croissance de la production s’est poursuivie en 2014, mais l’effondrement des prix de près de 70 % sur les marchés internationaux entre juin 2014 et décembre 2015 a dans un premier temps ralenti la croissance de la production, puis provoqué une réduction de la production de pétroles non conventionnels.

Cette transformation s’est réalisée dans un nouveau paradigme économique sur les marchés pétroliers. La production d’hydrocarbures non conventionnels se caractérise en effet par des coûts de production bien plus faibles que les productions classiques ; les non conventionnels ont en outre bénéficié aux États-Unis de progrès technologiques importants et d’une réduction des coûts de forage entraînant une forte résilience de la production américaine à la baisse des prix. Il est ainsi plus facile – et beaucoup moins coûteux – d’arrêter puis de faire repartir une production d’hydrocarbures non conventionnels qu’une production classique.

Cette nouvelle flexibilité représente un véritable changement de modèle économique sur les marchés pétroliers et fait des États-Unis le nouveau swing producer du marché mondial, en lieu et place de l’Arabie saoudite.

L’incontournable OPEP

Lors de la campagne électorale, Trump a clairement exprimé son mépris envers l’OPEP et affirmé qu’il rendrait indépendants les États-Unis à l’issu de son mandat. À l’heure actuelle, l’OPEP fournit environ 3 mb/j de pétrole aux États-Unis, soit près de 45 % de ses importations.

Si cette indépendance passe par une nécessaire réduction des exportations américaines de pétrole, elle signifie aussi augmenter la production américaine de près de 50 % ! Si on laisse de côté l’aspect environnemental – qui nécessiterait de laisser environ 2/3 des réserves de pétrole de la planète pour rester dans les limites du réchauffement à 2 °C – vouloir accélérer de manière drastique la production américaine ne sera pas sans poser de problème tant le nouveau paradigme du marché mondial repose sur la flexibilité.

Ce discours sur l’indépendance énergétique rappelle ceux déjà entendus, de Kissinger à George Bush, alors que les conditions de marché ne s’y prêtent plus. L’équilibre pétrolier est aujourd’hui précaire et le retour du pétrole américain (voire son accélération) risquerait de déstabiliser les marchés et de provoquer une forte diminution des prix, dommageable aux milliers de producteurs indépendants du pays.

L’administration Trump minimise en outre le rôle essentiel de l’OPEP et semble oublier que la politique de l’Organisation – Arabie Saoudite en tête – a provoqué l’effondrement des prix du pétrole entre juin 2014 et décembre 2015, excluant du marché des milliers de producteurs américains.

En décembre 2016, l’OPEP a encore démontré sa capacité à guider le marché en annonçant une diminution de sa production de 1,2 million de barils jour (mb/j). Cet accord aura constitué une première depuis de longues années entre les pays membres mais aussi avec des pays non-membres, comme la Russie. Malgré la volonté de l’administration Trump, l’OPEP n’est pas morte : elle se transforme et offre une capacité de résilience intéressante dans ce nouvel environnement de marché. Enfin, dans ce nouveau contexte pétrolier, la Russie de Poutine ne devrait pas rester impassible si la hausse de la production américaine entraînait une nouvelle baisse des prix.

Des oléoducs controversés

Quelques jours après son investiture Trump a publié un ordre exécutif sur l’accélération des procédures d’examens environnementaux et d’approbation des projets d’infrastructures jugés prioritaires. Si jusqu’à présent les processus de validation se mesuraient en années, la nouvelle administration souhaite accélérer les procédures à quelques mois. Le secrétaire d’État au commerce, Wilbur Ross, dispose désormais de 180 jours pour soumettre son plan d’action pour différents projets d’oléoducs décriés.

Sur ce sujet, le nouveau président fait coïncider ses projets d’infrastructures avec sa volonté de redynamiser l’emploi aux États-Unis, en annonçant que les matériaux utilisés (principalement acier, minerai de fer) seraient, dans la mesure possible, de manufacture américaine.

Le premier projet concerne la relance du projet d’extension du pipeline Keystone XL, qui permettrait de relier la région canadienne de l’Alberta au Nebraska, où le pétrole pourrait par la suite alimenter d’autres oléoducs pour rallier le golfe du Mexique et l’Illinois.

Le site de la Maison-Blanche précise que ce projet sera majeur pour l’importation de pétrole du Canada, environ 0,83 mb/j, notamment celui des sables bitumineux. TransCanada, en charge de ce projet, estime que les États-Unis pourraient par ce biais diminuer de 40 % leur dépendance pétrolière envers le Moyen-Orient et le Venezuela, pays considérés comme moins stables que le Canada. Si le Canada est en faveur du projet, Ottawa s’oppose toutefois aux mesures protectionnismes de Trump sur la fabrication des tuyaux aux États-Unis.

EIA, Author provided

Le second projet concerne le Dakota Access, censé relier le Dakota du Nord, zone de production pétrolière très dynamique, jusqu’à l’Illinois. Ce projet a déjà connu une contestation très vive de la part des autochtones, notamment la tribu sioux de Standing Rock qui affirme que l’oléoduc traverserait des zones sacrées et risquerait de polluer leurs sources d’eau potable.

Il est intéressant de noter que Rick Perry, fraîchement nommé à la tête du département de l’Énergie, siège au conseil d’administration de la société texane Energy Transfer Partners, en charge du chantier Dakota Access Pipeline dans le Dakota du Nord. Trump détenait quant à lui jusqu’en 2016 plusieurs centaines de milliers de dollars d’actions chez Energy Transfer Partners ou Phillips 66, copropriétaire du Dakota Access.

Si les premiers mémorandums et ordres exécutifs de l’administration Trump sont clairement en faveur de l’industrie pétrolière, cet empressement n’est pas garant de l’aboutissement de ces projets. Et la négociation de permis avec certains États comme le Nebraska risque d’être houleuse.

Au final, la nouvelle administration joue sur des registres déjà entrevus depuis les années 1970 sur les marchés pétroliers – indépendance énergétique, relance de projets d’investissements – et favorise le court terme à une vision beaucoup plus stratégique et géopolitique de la politique énergétique. Or, les récentes révolutions énergétiques (avec les hydrocarbures non conventionnels) ont redessiné la géographie pétrolière mondiale, son économie et l’ensemble de ces facettes géopolitiques.

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