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Un SPD profondément divisé ouvre la voie aux négociations sur une Grande coalition

Lors du Congrès du SPD, à Bonn, le 21 janvier 2018. SASCHA SCHUERMANN / AFP

Le jour était qualifié d’historique, il n’est pourtant qu’une nouvelle étape sur la voie qui conduira peut-être – sans doute ? – dans quelques semaines à la formation d’une nouvelle Grande coalition à Berlin entre Chrétiens-démocrates et Sociaux-démocrates.

Le débat entre les 600 délégués et les 45 membres du Comité directeur du parti a duré quatre heures. Le débat a été contradictoire, toujours civilisé, soigneusement minuté vu le grand nombre de demandes de parole, mais vigoureux, avec quelques morceaux de bravoure des deux côtés.

Il a opposé la jeune génération du parti, fortement hostile à l’idée même de renouveler une Grande coalition avec la CDU-CSU avec laquelle le SPD aurait épuisé tout ce qu’ils pouvaient avoir de commun, et la vieille génération entourant le comité directeur et le président du parti, Martin Schulz. La direction du parti sollicitait du Congrès l’autorisation d’engager avec les chrétiens-démocrates des négociations sur la base du document négocié pendant les discussions exploratoires des semaines passées.

La direction du SPD sur la défensive

Pendant les débats, les applaudissements et les manifestations plus bruyantes de sympathie pour les orateurs et oratrices ont pu faire penser, à plusieurs occasions, que la majorité était du côté des opposants. Lors du vote final à main levée, un comptage s’est avéré nécessaire pour départager les deux camps, même si une tendance semblait, selon le président de séance, se dégager.

Le décompte a donné 362 voix pour la demande du comité directeur contre 279 voix et une abstention : une majorité on ne peut plus courte de 56,4 % des voix, qui a déçu les membres du comité directeur, qui s’attendaient certes à un résultat serré mais espéraient malgré tout une majorité plus confortable, tel Stephan Weil, ministre président récemment réélu en Basse-Saxe, à la tête non plus de la coalition SPD-Verts qu’il avait dirigée jusqu’alors (2013-2017), mais à la tête cette fois d’une Grande coalition.

Les arguments échangés à Bonn n’ont rien apporté de véritablement nouveau. Chaque camp avait préalablement fait connaître ses positions : une Grande coalition ne pouvait être qu’exceptionnelle pour le bien de la démocratie ; revenir au gouvernement, c’était renoncer au renouvellement du parti qui ne serait possible que dans l’opposition… Et surtout : il faut respecter la parole donnée, celle de Martin Schulz qui à deux reprises avait refusé d’entrer dans une grande coalition (NoGroKo) !

À ces prises de position la direction du parti répondait qu’elle n’était pas responsable de la situation dans laquelle l’Allemagne se trouvait, qu’il lui avait fallu faire un nouvel état des lieux après l’échec des négociations en vue de former un gouvernement CDU-CSU+FDP+ Verts (aux couleurs de la Jamaïque) et suite à l’appel du président fédéral à trouver un compromis.

Pour Martin Schulz, « si on ne devait pas à tout prix gouverner, il ne fallait pas pour autant ne pas vouloir gouverner ». Selon lui, le SPD aurait déjà beaucoup obtenu sur le plan social qui méritait d’être mis en œuvre. Finalement, poursuivait la direction, c’est en gouvernant que les Sociaux-démocrates pourraient le mieux améliorer le sort des gens. C’est ce point précis qui a valu à la direction du SPD le soutien à Bonn du président du syndicat DGB, Reiner Hoffmann – lequel regroupe pas moins de 8 syndicats de branche, soit 6 millions d’adhérents.

Dégagisme à l’allemande

Le Congrès de Bonn a confirmé la profonde division du SPD. Il a également fait apparaître plus clairement que jamais que les oppositions entre les deux camps étaient au fond une opposition entre la jeune génération – impétueuse, fondamentaliste, hostile aux compromis – et la vieille génération qui, au nom de l’expérience de l’âge et de l’Histoire, se veut raisonnable dans l’intérêt de l’État, de même que dans l’intérêt bien compris du parti.

Kevin Kuehnert, le leader des Jeunes socialistes, le 18 janvier 2018, à Berlin. Michael Kappeler/AFP

On pouvait y retrouver des traces d’un « dégagisme » à l’allemande qui ne dit pas son nom mais conduit à dire : 12 ans de Merkel, c’est assez ! Ce qu’avait dit à satiété dans les médias le président des Jeunes socialistes, Kevin Kühnert : « Depuis que j’existe, je n’ai rien connu d’autre que Merkel ! »

Angela Merkel, le « chiffon rouge »

Le score réalisé à Bonn place Martin Schulz dans une position d’autant plus délicate pour poursuivre les négociations avec les Chrétiens-démocrates qu’il a dû reprendre à son compte nombre de critiques faites à un document jugé insuffisant, censé pourtant servir de fondement aux négociations à venir alors même qu’il avait mené à la tête de la délégation social-démocrate les négociations avec les délégations de la CDU, dirigée par Angela Merkel, et de la CSU, dirigée par Horst Seehofer.

Il s’agit donc, désormais, pour Martin Schulz d’obtenir de la CDU-CSU la réouverture du paquet négocié sur trois questions sensibles : la politique migratoire (question du regroupement familial), le régime des assurances maladie (introduction d’un régime universel dépassant régime général vs régime privé) et la suppression des CDD injustifiés engendrant de la précarisation de l’emploi.

De plus, Martin Schulz a rappelé que l’accord passé avec la CDU-CSU prévoyait un bilan à mi-mandat, que ce serait donc l’occasion de faire le point sur ce que le SPD avait obtenu au sein du gouvernement et, si nécessaire, de renégocier les conditions du contrat.

Cette insistance laisse entendre qu’il pourrait y avoir des changements jusqu’à la tête même du gouvernement et que, fragilisée, Angela Merkel – qui est devenue le « chiffon rouge » de la gauche social-démocrate pourrait passer la main.

Cependant, le score obtenu à Bonn a également l’effet paradoxal de conforter la position du SPD face à la CDU-CSU en la soumettant à un véritable chantage si elle veut vraiment éviter des élections anticipées.

Martin Schulz, le dirigeant du SPD, à Bonn, le 21 janvier 2018. Patrik Stollarz/AFP

Les réactions du côté de la CDU et surtout de la CSU ne se sont pas fait attendre : si les deux partis frères se sont félicités de pouvoir entamer les négociations qui devraient enfin conduire à la mise en place d’un gouvernement stable et durable en Allemagne (comprendre : pour la durée complète du mandat), ils estiment que les négociations exploratoires ont défini un cadre qui ne peut être remis en question au risque sinon de menacer l’équilibre de l’ensemble. Celui-ci inclut, à leurs yeux, le difficile compromis auquel CDU et CSU sont parvenues entre elles sur la question migratoire.

Il appartient désormais aux Chrétiens-démocrates d’apporter la preuve qu’ils sont prêts à trouver de nouveaux compromis qui permettront aux négociations avec les Sociaux-démocrates d’aboutir. Et il revient à Angela Merkel de faire preuve d’autorité si elle veut être réélue chancelière. Enfin, il s’agit de permettre aux Sociaux-démocrates de ne pas faire trop mauvaise figure devant leurs adhérents quand ceux-ci seront appelés, comme en 2013, à voter sur le contrat de gouvernement négocié.

À ce moment-là, tout pourra encore basculer vu l’hostilité persistante de la base du SPD, motivée par les Jeunes socialistes qui ont trouvé un leader charismatique en la personne de leur président, Kevin Kühnert.

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