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Une vie avant la recherche : De la télévision aux sciences de l’information

Au-delà des clichés, la télévision peut-elle jouer un rôle dans la démocratisation du savoir ? Shutterstock

Assistante sociale puis éditrice de programmes à la 5, Sylvie Pierre occupe désormais le poste de Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication (SIC) à l’Université de Lorraine. Pour The Conversation, elle revient sur son parcours où recherche, transmission et engagement se conjuguent.


Impliquée dans ma jeunesse en tant qu’animatrice et formatrice dans le mouvement laïc des Éclaireuses et Éclaireurs de France (EEDF), fondé sur une pédagogie non directive, j’ai découvert très tôt les valeurs de solidarité, d’ouverture et de démocratie.

À 21 ans, après trois années de formation à l’Institut régional supérieur de travail social (IRTS) de Nancy, j’ai exercé comme assistante sociale de secteur dans les Vosges. Le métier consistait à venir en aide aux personnes en difficulté dans une région touchée de plein fouet par le chômage, mais aussi à participer à la mise en œuvre des politiques locales et nationales dans un contexte de décentralisation.

Cette expérience de terrain fut d’une grande richesse humaine et intellectuelle. Néanmoins, la question de la normalisation et du contrôle social, forme de domination inhérente à cette fonction, a fait que j’ai souhaité quitter ce domaine.

Après avoir repris un cursus universitaire et réussi le concours du CAPET (Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique), j’ai enseigné en lycée les sciences sanitaires et sociales, à Nancy puis à Toulouse. L’approche pluridisciplinaire des savoirs propres à cette discipline et les démarches pédagogiques fondées sur des projets m’intéressaient beaucoup.

Démocratiser le savoir

Grâce au CNED – pour lequel je rédigeais des cours en ligne–, j’ai approché l’audiovisuel en participant à des émissions télévisées diffusées par le biais des « vidéo transmissions interactives » (VTI). En 1994, à l’annonce de la création de la cinquième chaîne, j’ai été enthousiasmée par l’idée que la télévision pouvait jouer un rôle culturel et éducatif dans la société française.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai rejoint l’équipe de Jean‑Marie Cavada, directeur de La Cinquième (1994-1998). Ces années de construction d’une nouvelle chaîne publique furent passionnantes.

Lancement de la Cinquième en 1994.

Nommée éditrice de programmes, j’ai bénéficié d’une grande liberté dans l’écriture des concepts d’émissions, tout en assurant le suivi des étapes de fabrication. Ainsi sont nées Qui vive ou Le magazine de la santé présentées par Michel Cymes.

Dans le cadre de cette responsabilité éditoriale, j’ai eu le bonheur de travailler très souvent avec Michel Serres et de participer au conseil scientifique qu’il présidait, rassemblant des chercheurs reconnus de multiples horizons, comme Jacqueline de Romilly, Yves Coppens, René Rémond, Albert Jacquard ou encore Jean Delumeau. Des réflexions très riches sur la place des sciences dans la société et sur leur rapport aux images étaient menées au sein de cette instance.

Auprès d’Alain Brunet, IGEN (Inspecteur général de l’Éducation nationale), j’ai aussi été impliquée dans la cellule pédagogique et ai animé de nombreuses rencontres sur l’éducation aux médias auprès d’enseignants et de responsables éducatifs sur le territoire métropolitain et dans les territoires ultra-marins.

Du terrain à la recherche

Après ces quatre années passées à la 5e, devenue la 5, j’ai choisi de réintégrer l’enseignement à l’IUFM (Institut universitaire de formation des maîtres) de Lorraine afin de revenir au contact des étudiants, futurs enseignants.

Forte de mon expérience à la télévision, j’ai ressenti le besoin de m’engager dans la recherche. Au-delà du succès technique et marchand de la communication, c’est à la question du sens et donc de la réponse aux besoins humains et sociaux au cours du temps que je souhaitais m’intéresser.

Connaissant le milieu professionnel, je suis devenue de facto une personne légitime. J’ai ainsi noué des relations engagées avec les acteurs, lesquels m’ont fait confiance et donné accès à de nombreuses archives. Mon intérêt s’est porté sur Jean d’Arcy, considéré comme le père fondateur de la télévision française (1952-1959), engagé dans les années 1960 sur les questions de liberté d’expression.

Manuela d’Arcy, veuve de J. d’Arcy, m’a remis un fonds important, composé de notes manuscrites, correspondances et documents de travail de l’ensemble de sa carrière.

Ce travail de recherche, mené dans le cadre d’un DEA en SIC, publié sous le titre Jean d’Arcy, une ambition pour la télévision a été le levier d’une recherche plus approfondie, Jean d’Arcy : pensée et stratège de la télévision française.

Dans la continuité des travaux des chercheurs en histoire des médias et SIC, dont ceux de Guy Lochard sur la nécessité de penser autrement l’histoire de la communication télévisuelle, ma thèse a proposé d’interroger la pensée et les logiques d’acteurs.

Pour G. Lochard, la communication télévisuelle obéit à un certain nombre de lois structurelles et transhistoriques présentes dès le début de la télévision. Cela conduit à être attentif aux mirages de l’« histoire immédiate » pour porter prioritairement son attention sur des périodes plus éloignées dans le temps.

C’est ce choix que j’ai fait en m’intéressant à la pensée de Jean d’Arcy, ce qui a nécessité une approche pluridisciplinaire en prenant en compte la coexistence de plusieurs niveaux de temporalités (politiques, institutionnelles, techniques, professionnelles, communicationnelles) entre lesquels il a fallu repérer certains liens relatifs à des formes de « configurations » caractéristiques à cette époque et à son contexte socioculturel.

Approches pluridisciplinaires

Mes sujets de recherche ont évolué tout au long de ces années à l’Université. Il s’agit de se laisser guider par ses questionnements, ses intérêts, le hasard des rencontres mais aussi de participer aux projets collectifs menés au sein de son laboratoire de recherche. C’est ainsi que j’ai rédigé la biographie de Jean‑Christophe Averty, réalisateur à la télévision française.

Si ce travail scientifique d’un récit de vie nécessite des liens de confiance nécessaires pour inciter un témoin à se raconter, il présente une occasion de travail pluridisciplinaire qui m’intéresse. Ces témoignages d’acteurs comportent des jugements normatifs sur lesquels le chercheur ne peut faire l’impasse, d’autant qu’ils constituent des matériaux de recherche et sont importants pour l’héritage mémoriel.

Visionner l’ensemble de l’œuvre d’Averty, analyser son fonds d’archives personnelles, a constitué un travail considérable qu’il reste encore à explorer. Les récents colloques attestent de l’intérêt d’interroger les débuts de la télévision.

D’autres recherches portent sur la télévision locale et les territoires. Avec Céline Ségur, membre comme moi du Centre de recherche sur les médiations (Crem), nous avons enquêté sur les attentes des publics d’une télévision (ViaVosges) qui attestent d’une ambition culturelle pour ce média de proximité.

Par ailleurs, j’étudie aussi les questions socialement vives (QSV) à l’école qui fondent leur légitimité sociale par de nouveaux enseignements comme le parcours citoyen ou de santé. Ainsi, j’interroge la manière de transmettre aux enfants les valeurs essentielles d’un vivre ensemble fondé sur le respect de l’autre, la tolérance, l’écoute, de leur apprendre à se questionner, à développer leur sens critique.

Ancrage social

Ces questions socialement vives sont l’objet de controverses : elles mobilisent des représentations, des valeurs, des arguments, qu’il faut savoir décrypter. Du point de vue des enjeux propres à l’École, leur nature particulière appelle à des méthodes pédagogiques actives qui interrogent la place de l’enseignant, le mode de recherche de l’information et son traitement, la construction du raisonnement, la question du doute, etc.

C’est là tout l’enjeu des activités de recherche et de formation qui explorent la construction de réponses adaptées à ces évolutions, en particulier dans le champ médiatique

Si la posture de distanciation est nécessaire au travail académique, elle ne présuppose pas pour autant l’absence d’engagement car l’activité de recherche n’est pas indépendante du monde social. Il n’y a de véritable connaissance que si ses résultats sont communiqués et discutés. C’est le propre d’une société démocratique.

Pour cela, il est impératif de débattre publiquement, afin de vulgariser la recherche, ce que je fais comme d’autres collègues lors d’événements scientifiques (colloques, journées d’études, Pint of Science), via The Conversation ou par mon engagement au sein du réseau UNIRES. Ces interventions donnent l’occasion de nous exprimer sur un sujet et d’avoir le plaisir de partager nos travaux.

Le métier d’enseignant-chercheur compte de multiples facettes difficilement dissociables : méthode scientifique, relationnel, pédagogie, curiosité… mais aussi travail, humilité, patience et acceptation du doute et de l’incertitude. Autant d’aspects qui invitent à la réflexion et ouvrent à l’altérité. Je reprendrai à mon compte les propos de Michel Foucault : « La première chose que l’on devrait apprendre est que le savoir est profondément lié au plaisir. »

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