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Les RH dans tous leurs états

Vidéo-protection des salariés : retour sur le cas « Loft story »

Le logo de Loft story.

Un arrêt de la Cour de cassation a estimé qu’il existe bel et bien un lien de subordination entre l’équipe de production et les participants de l’émission l’Île de la tentation. Les participants de l’émission sont liés par un contrat de travail. Cela signifie que les candidats savent qu’ils renoncent à leurs droits de la personnalité en contrepartie d’un gain.

Cela fut auparavant le cas dans l’émission « Loft story », considérant que le

« participant donne son autorisation pour la diffusion, la rediffusion, multidiffusion, sur tout le réseau et toute publication, reproduction ou représentation sur tout support possible de ses enregistrements ou de son journal. ».

Un contrat de travail particulier

Le contrat de travail est une convention par laquelle un individu, le salarié, s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre, l’employeur, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant rémunération. Ces trois conditions (activité, mise à disposition et rémunération) semblent donc réunies en 2001 pour les premiers participants à une émission de téléréalité, les « lofteurs » (D.Cohen et L.Gamet, Loft story : le jeu-travail, droit social, septembre octobre 2001, n°9-10 p791).

Les candidats sont filmés 24h/24 dans un loft de 225 m2, par 26 caméras et 50 micros. Cette émission de télévision de télé-réalité est considérée par les spécialistes comme la première de ce genre en France. Elle a été adaptée de l’émission néerlandaise Big Brother.

Cinq jeunes filles et six jeunes garçons doivent cohabiter dans un loft. Les images sont diffusées en permanence sur les chaînes satellite, mais un montage est diffusé sur M6 en fin de journée. L’émission fonctionne comme un jeu, au cours duquel sont éliminés, semaine après semaine, par désignation des lofteurs puis par vote du public, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul garçon et une seule fille, qui forment alors le couple gagnant.

La surveillance des salariés du loft

«Un loft de 225 m2, 26caméra et 50micros»

L’émission correspond à une situation de surveillance de salarié. Le producteur/employeur peut en effet exercer une surveillance constante « jour et nuit » tout comme le public.

Ce point est largement discutable d’un point de vue légal, dans la mesure où pour la CNIL (Commmission Nationale Informatique et Libertés),

« si les dispositifs de vidéo surveillance sont légitimes pour assurer la sécurité des biens et des personnes, ils ne peuvent pas conduire à placer les employés sous surveillance constante et permanente ».

Les lofteurs sont des prisonniers volontaires. En signant un contrat, ils se soumettent aux caméras. Le loft peut apparaître comme une forme de contrôle social déguisé. Il peut malheureusement s’agir d’aliénation et d’une forme de servitude volontaire. La vidéo-protection doit légalement être motivée par la sécurité des biens et des personnes.

La vidéo-protection est devenue un sujet de société commun aux domaines du droit, de la sociologie et de la gestion des ressources humaines. La jurisprudence considère depuis longtemps que les salariés doivent être avisés de la mise en place d’un système de vidéo-protection quand celui-ci permet d’effectuer un contrôle de leur travail.

Plusieurs préalables s’imposent à l’employeur qui souhaite filmer ses collaborateurs.

  • Il est indispensable que les salariés soient informés préalablement de la mise en place d’un dispositif de vidéo-protection sur leur lieu de travail. Ce point a été respecté par la production.

  • L’employeur est également tenu de préciser la qualité des destinataires des images enregistrées et des modalités de droit d’accès. C’est le cas dans les contrats de participation aux émissions de téléréalité.

  • Par ailleurs, la vidéo-protection est subordonnée au le principe de proportionnalité. Dès 1980, le ministère du Travail indiquait que si le but de la mise en place de caméras est le contrôle de l’activité professionnelle, cet objectif est considéré comme contraire aux libertés individuelles par les tribunaux (Rép. Min., JOANQ 16 juin 1980, p. 2152), qui ont tranché par la suite dans ce sens. Il semblerait qu’ici le système soit proportionné au but recherché (structurer un jeu qui aboutit à deux gagnants en fonction de leurs actions).

  • Le système doit respecter le droit à l’image. Ce point est prévu par tous les producteurs, quelle que soit la nature de l’émission.

  • Respect de la vie privée. Là encore, ce point est discutable et n’a pas pu être respecté puisque les lofteurs étaient filmés 24h/24, y compris dans leur intimité.

Dans l’absolu, le système aurait dû faire l’objet d’une déclaration à la CNIl et nous ignorons si tel fut le cas.

Quelles règles pour observer ?

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, intervenu pour réglementer la télé-réalité, a donné une définition des règles de ce type d’émission :

  • Enfermer dans un lieu clos des personnes ne se connaissant pas auparavant.

  • Les observer et les enregistrer en permanence par le biais de caméras et micros.

  • Les soumettre à un processus d’élimination progressive.

La panopticon. Craig Sefton via Visual Hunt, CC BY-NC-ND

Le dispositif employé est assimilable au système panoptique, conçu par Jeremy Bentham en 1791 (Type d’architecture carcéral, L’appareil peut se passer de surveillant, il crée « un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l’exerce ». (Foucault, 1975). Le propre du panoptique est d’induire une forme d’autocontrôle,

« celui qui est soumis à un champ de visibilité, et qui le sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir ».

Ici, les téléspectateurs sont nombreux à surveiller. Les injonctions subies par les lofteurs correspondent aux impératifs d’audimat. Les candidats-salariés sont incités à adopter une humeur enjouée, pour amuser le public.

Le loft, constitue aussi un laboratoire destiné à mener des expériences sur un groupe social visant à

« modifier le comportement, à dresser ou redresser les individus […] à analyser en toute certitude les transformations qu’on peut obtenir sur eux » (Berton, 2003).

C’est un formidable terrain de recherche pour les sociologues. L’émission ne fait que reproduire « un dispositif de contrôle assimilable à la vidéoprotection, tout en favorisant chez le public le processus d’une catharsis collective.

Le loft avec l’appui des technologies de communication a favorisé l’expérimentation du déploiement d’une surveillance constante, afin d’aboutir à la diffusion d’un programme parfait, satisfaisant le plus grand nombre. Le public, avait alors la garantie d’une illusion de réalité et de vérité procurée par des candidats qui ne travaillaient qu’à être eux-mêmes. Ces candidats-salariés ne semblent pas s’être souciés à un quelconque moment de leurs droits relatifs à la mise en œuvre du contrôle exercé par leur « employeur ».

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