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Une jeune femme est assise dans une station de radio, parle dans un microphone, fait des gestes d'une main tout en tenant un livre de l'autre, tandis que deux silhouettes floues l'observent au premier plan.
Mpho Molutsi, de la Children’s Radio Foundation, lors d'une émission en direct à Johannesburg. Gulshan Khan/AFP/Getty Images

100 ans de radio en Afrique : de la propagande au pouvoir populaire

La radio se porte bien dans toute l’Afrique. Il est difficile d'obtenir des chiffres exacts car les études d'audience diffèrent d'un pays à l'autre. Mais des études estiment que la proportion d'auditeurs de radio se situe entre 60 % et 80 % parmi les 1,4 milliard d'habitants du continent.

Contrairement à de nombreux pays occidentaux, où l'on assiste à une évolution vers le streaming et les podcasts, la radio traditionnelle continue d'être largement adoptée en Afrique. En raison des faibles niveaux d'alphabétisation et de l'accès inégal à l'internet et aux infrastructures technologiques, la radio traditionnelle reste un média fiable et inclusif.

Cette année, la célébration des plus de 100 ans de la radio nous offre l'occasion, en tant que spécialistes des médias africains, de réfléchir à l'importance historique, à la pertinence culturelle, au pouvoir politique et à l'impact social de ce médium sur le continent. Pour illustrer cette riche histoire, nous nous appuierons sur des exemples tirés des régions que nous avons étudiées.

Les premières années

L'émergence de la radio trouve ses origines dans son utilisation pour servir les intérêts coloniaux. Selon le chercheur camerounais Francis Nyamnjoh dès son avènement en tant que média de masse:

Les États européens ont rapidement compris le rôle que la radio pouvait jouer dans la réalisation de leur désir d'assimiler les cultures plus vulnérables du monde entier.

Les historiens notent qu'elle a également permis aux Européens dans les colonies de maintenir les liens avec leur pays d'origine, leur culture et leur langue.

Au début des années 1920, des passionnés de radio amateur avaient déjà commencé à expérimenter cette technologie. La première diffusion officielle semble avoir eu lieu le 18 décembre 1923 à Johannesburg, en Afrique du Sud.

En Afrique de l'Est, la radio a été introduite pour la première fois au Kenya en 1927 et en Afrique de l'Ouest en Sierra Leone en 1934.

Le spécialiste britannique des médias Graham Mytton écrit que l'arrivée de la radio dans les colonies britanniques d'Afrique de l'Ouest - la Gambie, la Sierra Leone, la Gold Coast (actuel Ghana) et le Nigeria - représente un moment charnière.

Jusqu'alors, la radio était diffusée par transmission sans fil. Lorsqu'elle a été introduite en Sierra Leone, au Ghana (1935) et au Nigeria (1936), c'était “par le biais de services câblés – les abonnés disposaient de haut-parleurs (reliés par fil à la station de radio) installés chez eux pour recevoir le service … Ces dispositifs avaient été créés en tenant compte des auditeurs africains indigènes”.

Puis, en 1936, l'administration coloniale britannique décide de développer la radiodiffusion dans l'ensemble de ses colonies africaines.

La propagande

Les puissances coloniales telles que le Royaume-Uni et la France ont intensifié leurs efforts en matière de radiodiffusion après le déclenchement de la deuxième guerre mondiale en 1939. Les années 1940 ont été marquées par l'introduction d'émissions dans les langues autochtones par les puissances coloniales désireuses d'influencer l'opinion publique et d'obtenir un soutien pour leur effort de guerre. Alors que les Britanniques diffusaient en Afrique dans certaines langues africaines, la France ne diffusait qu'en français.

Cela a jeté les bases des développements futurs. Après la guerre, les Britanniques ont officiellement adopté une politique visant à étendre les services de radiodiffusion à la plupart de leurs colonies africaines.

Au Kenya, par exemple, le premier service de radiodiffusion pour les Africains a débuté en 1953, transmettant dans les langues locales pendant l'état d'urgence déclaré en 1952 pour réprimer le soulèvement des Mau Mau.

Des universitaires ont soutenu que, bien qu'elle ait été conçue principalement pour la propagande, la radio en Afrique

a toujours été beaucoup plus complexe et insaisissable que ce que prévoyaient les puissances coloniales.

Elle offrait également la “possibilité de créer de nouveaux publics, parfois impertinents”.

La radio de la résistance

Les années 1950 ont vu l'expansion et la transformation de la radio en Afrique. Les stations de radio des colonies britanniques, françaises et belges se sont rapidement multipliées alors que les populations soumises à la domination coloniale redoublaient d'efforts pour obtenir leur indépendance.

Au milieu des années 1950, la plus ancienne station de libération en Afrique, Radio Freedom, a été créée en tant que station clandestine en Zambie par le mouvement de résistance sud-africain. Elle diffusera sa première émission officielle en 1963.

En Angola, la radio s'est développée avec le déclenchement de la guerre en 1961 entre les mouvements de libération et l'État colonial portugais.

Les mouvements de libération des pays voisins ont utilisé la radio pour rendre compte de la guerre en dépit de la censure coloniale. De son côté, la radio de l'État colonial a favorisé l'émergence de la musique des artistes locaux dans le cadre de sa propagande coloniale.

Indépendance et contrôle de l'État

Entre la fin des années 1940 et le début des années 1960, le nombre postes radio a été multiplié par cinq, passant de 90 appareils pour mille habitants en Afrique à 450.

À certains égards, les années 1960 ont été un âge d'or pour la radio africaine. Une vague de mouvements d'indépendance a donné naissance à de nouvelles nations alors que la technologie radio devenait plus abordable.

De nombreux pays nouvellement indépendants ont mis en place des services de radiodiffusion nationaux, comme la Gambie en 1965. Cela a élargi la portée de la radio et la possibilité d'adopter des langues locales, de la musique et des programmes culturels. Au Nigeria, la Broadcasting Corporation s'est étendue à l'ensemble du pays.

Mais certains pays nouvellement indépendants qui avaient hérité de systèmes de radiodiffusion contrôlés par l'État ont également censuré le contenu jugé critique ou menaçant, restreignant ainsi la liberté d'expression.

Avec l'indépendance de l'Angola en 1975, par exemple, les nouveaux dirigeants considéraient la radio comme un outil de construction nationale, mais ils ont renforcé leur emprise après une tentative de coup d'État en 1977.

Dans de nombreux pays africains, dont l'Angola, le contrôle de la radio par l'État postcolonial persiste. Le secteur radiophonique du Zimbabwe, par exemple, est florissant. Mais le contrôle de l'État reste prépondérant avec des licences favorisant la radio nationale et des lois restrictives pour les stations de radio communautaires.

La Mauritius Broadcasting Corporation a été créée en 1964 et fonctionne toujours comme une radio d'État. Bien qu'elle soit financée par les redevances publiques et la publicité, elle est perçue comme promouvant les programmes du gouvernement.

La radio a également été utilisée pour promouvoir des objectifs politiques malveillants. Le génocide de 1994 au Rwanda en est un exemple douloureux. La tristement célèbre Radio Télévision Libre des Mille Collines a diffusé des discours de haine et incité à la violence contre la minorité tutsie.

Stations commerciales privées

Au cours des 40 dernières années, de nombreux pays africains ont libéralisé leurs économies et leurs réglementations en matière de médias, en délivrant des licences pour les radios commerciales et communautaires.

Au Ghana, par exemple, la radio servait principalement les intérêts de l'élite jusqu'aux années 1990 avant que le secteur privé ne diverisifie l'industrie. En 2022, le Ghanacomptait fièrement 513 stations de radio publiques, commerciales, communautaires, universitaires et étrangères.


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L'émergence de radios en langues autochtones a constitué un progrès significatif. Ces radios ont produit des contenus qui résonnent sur le plan culturel et ont donné la priorité aux questions communautaires. Mais des défis persistent. Certaines stations sont affiliées à des intérêts politiques ou commerciaux, et l'augmentation des attaques contre les journalistes pose des risques pour la liberté et la diversité des médias.

Au cours des dernières décennies, le paysage radiophonique du Kenya s'est transformé et compte désormais plus de 200 stations. Les stations commerciales privées dominent désormais, diffusant dans les langues locales.

En Ile Maurice, les ondes ont été libéralisées en 2002, avec l'introduction de stations privées. Les émissions de débats, notamment en créole mauricien, ont révolutionné la radio. Les radios privées se sont étendues aux plateformes numériques, attirant le public par le biais de diffusion en direct et des réseaux sociaux, créant à la fois de la concurrence et une couverture sensationnelle.

La radio aujourd'hui

La convergence numérique est en train de remodeler la manière dont la radio est consommée, ce qui brouille les schémas d'audience.

Cette évolution n'est pas uniforme sur le continent. Les plateformes numériques sont confrontées à des défis, tels que la fracture numérique et l’inégalité économique.

L'influence de la radio devrait perdurer, les podcasts venant en complément plutôt qu'en remplacement des émissions traditionnelles. Une étude réalisée en 2022 dans 34 pays africains a révélé que la radio était “la source d'information la plus répandue”. Cela témoigne de son influence durable et de sa capacité unique à toucher des publics divers, même un siècle après son introduction.

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