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30 ans de luttes étudiantes : la victoire est-elle dans la convergence ?

Manifestations de jeunes en 2018 contre les réformes d'accès au supérieur. Shutterstock/Gérard Bottino

« Nous obtenons aujourd’hui le gel des loyers CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, ndrl) ! Il nous faut continuer la mobilisation pour obtenir une augmentation des bourses. 20 %, pas 1 % d’augmentation. » Avec ce message posté sur Twitter le 28 novembre 2019, Mélanie Luce, présidente du syndicat l’UNEF, situé à gauche, a donné rendez-vous aux jeunes le jeudi 5 décembre 2019, jour de grève nationale contre la réforme des retraites.

Mobilisés depuis le 8 novembre dernier pour une amélioration de leurs conditions de vie, suite à la tentative d’immolation d’un jeune lyonnais en situation précaire, les étudiants misent donc sur la convergence des luttes. Une stratégie déjà adoptée au cours de ces trente-trois dernières années, à plus ou moins grande échelle, et avec des résultats variables.

Il ne saurait être question de passer en revue cette période de manière exhaustive, ni même d’être à la hauteur de la complexité de ce sujet. On peut du moins distinguer les mobilisations étudiantes qui se sont faites simplement en synergie avec des lycéens et/ou des professeurs (voire parfois à leur initiative) de celles qui ont eu lieu avec d’autres types d’acteurs, et qui ont largement débordé le cadre universitaire.

Sélection post-bac

En 1986, face au projet de loi Devaquet visant à changer les conditions d’entrée dans le supérieur (et à donner une plus grande autonomie aux universités), la synergie a fonctionné à plein entre les étudiants, les lycéens et les professeurs. Le projet fut abandonné, et le souvenir de cet échec va rester longtemps dans la mémoire des dirigeants de droite, suscitant beaucoup de circonspection dans l’abord ultérieur de ces questions.

Assemblée générale à la Sorbonne lors de la mobilisation contre le projet de loi Devaquet, en 1986. Dominique Faget/AFP

Une telle synergie fonctionnera encore près de vingt ans plus tard quand François Fillon, ministre de l’Éducation nationale, a voulu « simplifier » le baccalauréat et instaurer la prise en compte d’un certain contrôle continu. L’Unef et nombre d’étudiants se sont joints aux nombreux lycéens descendus dans la rue et le projet a été retiré sur décision du président de la République Jacques Chirac.

On voit mieux, par contraste, qu’il n’en a pas été de même lors de l’instauration de nouvelles modalités dans l’accès à l’enseignement supérieur en 2018, avec Parcoursup, ni lors de la profonde modification des baccalauréats en 2019. La synergie antérieure n’a pas fonctionné de façon puissante et nationalement généralisée.


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Les mouvements ont été plutôt de l’ordre du « sporadique » et localisés dans des formes assez souvent radicalisées (blocages, voire occupations, de certains établissements universitaires et/ou lycéens), certaines organisations de professeurs n’hésitant pas par ailleurs à aller pour la première fois jusqu’au bout dans le mot d’ordre derétention des notes lors du baccalauréat. Finalement, ces mouvements n’ont pas eu d’effets tangibles.

Autonomie des universités

On doit noter aussi que certaines mobilisations étudiantes ont pu avoir lieu – et parvenir à un certain succès – sans qu’il ait eu une large convergence de luttes. On peut en prendre pour exemple celles qui sont apparues dans le cadre de l’application de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), appelée aussi « loi sur l’autonomie des universités », et votée le 10 août 2007.

La question de l’autonomie des universités était l’une des mesures phares de la « rupture » invoquée par Nicolas Sarkozy pour son élection à la présidence de la République. Le texte initial est très contesté par l’UNEF et la FAGE. Dans un souci d’apaisement, Nicolas Sarkozy en avait fait retirer les points les plus polémiques dans la version présentée le 4 juillet 2007 en Conseil des ministres.

Mais la loi élargit les possibilités, pour les universités, de recourir à des fonds privés, notamment par le biais de créations de fondations universitaires. Cette disposition cristallise les inquiétudes de « désengagement financier de l’État » exprimées par nombre d’étudiants dans des assemblées générales qui se multiplient à l’automne 2007. En novembre, une majorité d’universités se retrouvent partiellement ou totalement en grève voire bloquées.

Face à l’accusation de désengagement, le premier ministre François Fillon signe le 28 novembre 2007, avec la Conférence des présidents d’université, le lancement d’un « contrat pour la réussite des universités » qui prévoit cinq milliards d’euros supplémentaires en cinq ans.

La ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, choisit alors d’accélérer les deux réformes très attendues de la « réussite en licence » et surtout des bourses. Le principal syndicat étudiant, l’UNEF, se retire de la coordination nationale qui organisait les luttes étudiantes. La mobilisation faiblit puis s’arrête sur ce certain succès.

Annonce du plan « Réussite en licence » en 2007.

Plan social étudiant

Il arrive aussi que des syndicats étudiants et/ou des mobilisations étudiantes parviennent à des avancées sans qu’il y ait recours à des types de mobilisations aussi intensives, surtout pour ce qui concerne les aspects sociaux de la condition étudiante.

C’est le cas durant l’été 2010 : l’UNEF lance alors une pétition face à l’annonce de la suppression gouvernementale du cumul par les étudiants entre les APL (aides au logement) et la demi-part fiscale. A la suite de quoi, le gouvernement décide le 26 août l’abandon du projet ainsi que la mise en place d’un dixième mois de bourse pour les étudiants, une mesure réclamée de longue date par l’UNEF.


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Une vingtaine d’années plus tôt, le 26 mars 1991, l’UNEF et la FAGE, accompagnées par l’UNI, syndicat étudiant situé à droite, signent un Plan social étudiant où il est prévu de retourner à la parité avec l’État pour le prix des repas dans les restaurants universitaires et de programmer des constructions de cités U. L’objectif d’atteindre 25 % d’étudiants boursiers est fixé, mais il s’accompagne aussi de l’institution de prêts bancaires garantis par l’État.

Certaines des composantes de la mouvance UNEF se déclarent très hostiles à ce que l’aide sociale aux étudiants puisse passer par des prêts bancaires. Ce premier accord sur un Plan social étudiant restera pour l’essentiel finalement lettre morte. D’autant que les luttes contre le Contrat d’insertion professionnelle (dit smic des jeunes) initié par le premier ministre Édouard Balladur arrivent sur le devant de la scène en mars 1993.

Même si la mouvance UNEF, en raison de ses multiples divisions, ne joue pas alors le rôle principal de cheville ouvrière, les étudiants (et, fait inédit, très largement ceux d’IUT et de STS) sont nombreux dans les manifestations locales et nationales qui montent en puissance et en ampleur. Le succès est tangible : le CIP ne sera finalement pas institué.

En octobre 1995 débutent en province des mouvements de grève pour plus de moyens qui prennent une ampleur nationale dans le cadre essentiel d’une coordination étudiante. Le « Plan Juppé » de réforme des retraites et de la Sécurité sociale est annoncé publiquement le 15 novembre.

Ce plan va susciter de fortes oppositions, et notamment une grève à la SNCF qui va durer trois semaines (ce qui amènera Alain Juppé à renoncer à la réforme des régimes spéciaux de retraite le 11 décembre, et le gouvernement à retirer son projet de retraite le 15 décembre).

« Grèves, pourquoi parle-t-on autant de l’année 1995 ? » (Le Monde).

Afin de découpler les luttes étudiantes du mouvement d’opposition au « Plan Juppé », le ministre de l’Éducation nationale François Bayrou annonce début décembre 1995 un plan d’investissement de 2 milliards de francs et la création de 4 000 postes d’enseignants et d’IATOS, avec un certain succès.

Manifestations « anti-CPE »

Le grand succès de la convergence des luttes qui est resté dans les mémoires est la longue lutte victorieuse contre le Contrat première embauche, annoncé le 11 janvier 2006 par le premier ministre Dominique de Villepin (très soutenu jusqu’au bout par le Président de la République Jacques Chirac). Ce contrat instaurait une période d’essai de deux ans pour l’embauche des moins de 26 ans, période durant laquelle il pouvait être mis fin au contrat sans justification.

Le 24 janvier des organisations de syndicats de salariés, d’étudiants et de lycéens (mais aussi d’organisations politiques) créent un collectif de lutte contre le CPE et appellent à ce qu’il soit dupliqué localement (avec notamment l’UNEF, la Confédération étudiante, SUD étudiant, l’UNL, la FIDEL Jeunes CGT, UNSA jeunes).

Après le succès mitigé des manifestations du 7 février qu’il avait organisées, le collectif appelle à une semaine de « temps forts » : assemblées générales, piquets de grève dans les universités et les lycées. Et il obtient le soutien syndical unitaire de la CFDT, la CFTC, la CGT, FO, l’UNSA, Solidaires et la FSU sur un seul mot d’ordre : le retrait du CPE. Le mouvement monte en puissance. Le 7 mars les manifestations arrivent à rassembler selon la police ou les organisateurs 160 000 ou 400 000 personnes, le 16 mars 250 000 ou 500 000.

Manifestation contre le CPE à Lille, mars 2006. Philippe Huguen/AFP

Le 24 mars entre 220 000 et 450 000 jeunes descendent à nouveau dans la rue. Il y a des perturbations dans une soixantaine d’universités, des blocages dans des centaines de lycées, et de violents incidents (notamment à Paris où des centaines de casseurs ont incendié des voitures, pillé des magasins ou même agressé des manifestants). Finalement, après bien des contorsions pour que l’échec gouvernemental ne soit pas patent, le Contrat première embauche ne sera jamais mis en œuvre.

Ces dernières années, les mouvements étudiants ont été de moindre ampleur que dans le passé et n’ont pas abouti à des résultats tangibles. L’UNEF vient de se prononcer pour une participation au vaste « rendez-vous » de combat du 5 décembre. Mais pas la FAGE. Un nouveau chapitre de la longue saga des mouvements étudiants va-t-il s’ouvrir, et dans la convergence des luttes ?

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