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Certaines espèces de citronniers peuvent être infectées par des viroïdes, et ce n'est pas forcément un mal ! Adam Jones/Flickr, CC BY-SA

À la frontière du vivant : les viroïdes

Cet article est publié en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de systématique, évolution, biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent chaque mois une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.


Theodor O Diener. Barry Fitzgerald/Wikipedia, CC BY

C’est en 1922 que fut décrite pour la première fois la maladie des tubercules en fuseau de la pomme de terre, maladie que les chercheurs ont d’abord attribuée à des bactéries, puis à des virus avant de découvrir l’existence d’ARN libre, pathogène responsable de ce symptôme.

Beaucoup ont initialement douté de l’existence de ces ARN nus jusqu’à ce que soient réalisées des infections expérimentales qui montrèrent pour la première fois que des ARN pathogènes plus petits que le plus petit des virus étaient responsables de maladies dévastatrices chez les plantes.

En 1971, Theodor Diener spécialiste des maladies végétales, les nomma viroïdes.

Le Comité international de la Taxonomie des Virus a finalement reconnu que ces agents subviraux occupent une position taxonomique unique parmi toutes les entités biologiques, clairement distincte de tous les virus.

« Bizarre, comme c’est bizarre… »

Contrairement aux virus, ces agents infectieux sont composés exclusivement d’un brin d’ARN circulaire. Dépourvu d’enveloppe ou de capside, ils ne produisent aucune protéine et sont constitués de 250 à 375 ribonucléotides agencés en brins capables de s’apparier et de former des boucles. Certains sont organisés en bâtonnets de 50 nm de long environ. Lorsqu’une plante est infectée par un viroïde, la plupart des symptômes se manifestent au niveau des tissus et des organes. Le feuillage et les tiges peuvent être déformés, décolorés ou abîmés. Les fleurs sont nécrosées, petites, dépigmentées. La taille, la forme et la qualité des fruits sont également affectées.

Contrairement aux virus, on ne leur connaît pas de récepteurs cellulaires. L’infection et la transmission ont été bien étudiées dans le cas du Coconut cadang cadang viroid (CCCVd) et du Coconut tinangaja viroid (CTiVd) qui infectent les palmiers (Elaeis guineensis) et les cocotiers (Corypha elata) par le pollen, les piqûres d’insectes ou par les plaies induites par des outils agricoles de taille ou d’entretien. La mort des plantes est alors inéluctable entraînant souvent des catastrophes économiques.

Tous les viroïdes ne sont pas pathogènes, certains sont asymptomatiques, c’est le cas du viroïde du houblon, et d’autres sont même bénéfiques pour leurs hôtes. La production de citronniers nains après infection par des viroïdes asymptomatiques a été mise au point dans des plantations à Dareton (Australie) afin de permettre une augmentation de la densité plantée pour une meilleure récolte. Les rendements par hectare planté se sont avérés supérieurs pour des arbres inoculés par le viroïde, comparés aux mêmes arbres non inoculés ! D’autre part, la lumière et la température favorisent l’expression des viroïdes dans la plante. Ainsi un accroissement notable des symptômes est observé lorsqu’on passe de 20 °C à 35 °C.

Symptômes causés par le viroïde de la mosaïque latente du pêcher. Thierry Candresse/Inra

Les viroïdes agiraient en inactivant des gènes. Capables de perturber ou de bloquer l’expression de certains gènes par interférence, ce sont les interactions qu’ils peuvent établir avec certaines enzymes qui empêcheraient ou favoriseraient la croissance de la plante. On connaît 34 espèces de viroïdes divisées en deux familles : les Pospiviroidae et les Avsunviroidae. Ils se composent de 246 à 375 nucléotides et se replient selon des structures compactes linéaires ou ramifiées.

Les Avsunviroidae se répliquent dans les chloroplastes et les Pospiviroidae se répliquent dans le noyau cellulaire. Les viroïdes sont des ARN connus pour pouvoir se répliquer sans intermédiaire ADN et sans coder pour des protéines. Contrairement aux virus, dont ils sont phylogénétiquement distants, ils ne codent donc pour aucune protéine et sont dépendants des enzymes de l’hôte pour leur réplication. Une fois répliqués dans la cellule, les viroïdes se déplacent de cellule en cellule en empruntant le système circulatoire de la plante. À ce jour, tous les viroïdes connus ont été découverts dans des plantes, cependant, leurs différents lieux de réplication (noyau ou chloroplaste) ainsi que la présence de domaines de type viroïde dans l’ARN du virus HDV humain (Hepatitis Delta Virus), révèlent leur diversité et leur capacité d’adaptation à différents environnements.Les ARN viroïdes et HDV partagent plusieurs caractéristiques, la structure circulaire, le repliement compact et la réplication via un mécanisme en cercle roulant.

Ajoutons que, bien que des viroïdes n’ont jamais été mis en évidence dans le monde animal, trois petits ARN exceptionnellement stables ont été associés à la maladie de Crohn et à la colite ulcéreuse.

Origine et évolution

L’analyse phylogénétique des viroïdes et des ARN satellites témoigne d’une origine commune. Des virus à ARN, parasites des végétaux sont accompagnés d’ARN « satellites » qui ressemblent fortement à des viroïdes. Ils pourraient avoir évolué à partir d’ARN satellites qui ont acquis une dépendance vis-à-vis de leur hôte après être devenus des éléments intracellulaires.

Bien que l’origine évolutive des viroïdes demeure incertaine, on considère les viroïdes actuels comme des fossiles d’un ancien monde ARN. Descendants d’ARN originellement libres – les proviroïdes – qui, à un moment donné au cours de l’évolution cellulaire, sont entrés dans les organismes et en sont devenus dépendants, les viroïdes actuels seraient des descendants de proviroïdes « libres » qui ont envahi d’anciennes cyanobactéries, probablement par phagocytose. Ces organismes sont devenus des endosymbiotes de plantes primitives et ont finalement évolué en chloroplastes.

Une fois à l’intérieur des chloroplastes, certains viroïdes auraient pu éventuellement se déplacer vers le noyau, devenir dépendants des polymérases nucléaires et perdre leur capacité d’auto-coupure.

Des survivants-reliques de l’évolution précellulaire ?

Avec la découverte par Cech et Altman des ARN-enzymes, les ribozymes, en 1985, l’hypothèse selon laquelle l’ARN aurait précédé l’ADN comme vecteur de l’information génétique et catalyseur des premiers actes métaboliques est devenue plausible.

L’ARN à la fois génotype et phénotype, aurait initié l’évolution darwinienne au niveau moléculaire, en l’absence d’ADN et de protéines.

Maladie du rabougrissement apical de la tomate. Thierry Candresse/Inra

Les viroïdes sont considérés par certains comme une forme de vie non-cellulaire au côté des virus avec qui ils constituent le plus grand réservoir de diversité génétique sur Terre (on parle de viriosphère). L’idée selon laquelle il y aurait alors une 4e branche dans l’arbre du vivant ne fait cependant pas l’unanimité.

Mais parce qu’entre 35 et 90 % des séquences ADN trouvées dans les océans sont inconnues dans les bases de données, on ne peut que rester prudent… Et le débat est d’autant plus vif dans le contexte actuel où le concept d’espèce considérée comme le taxon de base de la taxonomie est flou et mal défini !

L’ARN aurait-il pu exister seul ?

Dans ce cadre il est intéressant d’explorer les propriétés de résistance des viroïdes et des ARN satellites. Les viroïdes ancestraux auraient pu exister bien avant l’univers des cellules et être à la base d’un monde à ARN qui a précédé le monde actuel basé sur l’ADN et les protéines. Au cours de l’évolution, ces molécules libres auraient survécu grâce à l’acquisition d’un mode de vie intracellulaire. Les viroïdes qui adoptent une forme circulaire et compacte sont résistants aux enzymes de dégradation ainsi qu’à bon nombre de facteurs physiques et environnementaux. Par exemple la dénaturation du PSTVd ne commence qu’à 55 °C à pression atmosphérique, et n’augmente fortement qu’après 65 °C.

Nous avons étudié au laboratoire les effets des hautes pressions et températures élevées simulant les conditions probablement présentes au cours des premières étapes du vivant. Dans le cadre d’une origine de la vie thermophile où les ARN étaient protégés par le milieu salin environnant, nous avons étudié les conformations de ribozymes.Toutes ces études nous donnent des informations précieuses sur le comportement des macromolécules en milieux extrêmes. La (bio)diversité de deux familles différentes de ribozymes (« tête de marteau » et enroulés dits twister) présentes dans tous les domaines du vivant (bactéries, archées et eukarya) corrobore la possibilité de l’existence précoce de ribozymes. Enfin, les viroïdes ont un taux de mutation élevé, supérieur à celui des virus ce qui permet une évolution plus rapide.

L’hypothèse viroïde d’abord, apparus précocement sur Terre dans un continuum monde ARN – monde ADN, est désormais une question ouverte et passionnante étudiée au plan expérimental et phylogénétique pour tenter de comprendre les débuts et l’évolution de la vie sur Terre.

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