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Academic All-Star Game, épisode V : la renaissance des sciences de gestion

Albert David et Armand Hatchuel (de gauche à droite). Capture d'écran.

Ce texte de Marine Stampfli et Louis Choisnet (élèves normaliens de l’ENS Paris-Saclay et étudiants en Master Management stratégique de l’Université Paris-Saclay) est publié dans le cadre d’un partenariat entre The Conversation France et l’Academic All-Star Game, cycle de conférences débats organisés par les étudiants de licence économie-gestion de l’ENS Paris-Saclay et de la faculté Jean‑Monnet (droit, économie, gestion) de l’Université Paris-Sud. Ce cycle est soutenu par la MSH Paris-Saclay.


Programme complet de l’Academic All-Star Game.

Le cinquième épisode du cycle de conférences de l’Academic All-Star Game 2018-2019, a pris place au sein de la faculté Jean‑Monnet le jeudi 14 mars 2019. L’enjeu initial, rappelons-le, est de s’interroger sur l’avenir de la recherche en stratégie et en management, sur son rôle mais aussi ses apports pour les praticiens, car une recherche fonctionnant en cycle fermé ne peut être que sclérosée. Les interventions de Albert David et Armand Hatchuel, marquées par un ton optimiste, ont recontextualisé les sciences de gestion et surtout montré ce qu’elles peuvent apporter par rapport aux autres disciplines scientifiques.

En premier lieu, il convient de présenter les deux intervenants.

Les nouvelles fondations des sciences de gestion.

Albert David détient un doctorat en méthode scientifique de gestion et il est professeur à l’université Paris-Dauphine. Il a été le rédacteur en chef de la revue scientifique Finance, Contrôle, Stratégie et a fondé le Cercle de l’innovation en 2013. Ses recherches portent notamment sur la décision (voir David A., Damart S., « Bernard Roy et l’aide multicritère à la décision », Revue française de gestion, 2011/5 N°214), l’innovation et l’étude de la recherche en sciences de gestion. (voir David A., « Décision, conception et recherche en sciences de gestion », Revue française de gestion, 2002/3-4 N° 139).

Armand Hatchuel est professeur à MINES ParisTech. Véritable figure de la recherche en gestion francophone, il a pris part à de nombreux comités et conseils scientifiques et a été très impliqué dans l’élaboration de la loi Pacte en liaison avec le Collège des Bernardins. Ses publications portent sur la théorie de l’action collective ou théorie C-K (concept-knowledge), mais aussi sur les finalités de l’entreprise (Levillain K., Segrestin B., Hatchuel A., « Repenser les finalités de l’entreprise. La contribution des sciences de gestion dans un monde post-hégélien », Revue française de gestion, 2014/8 N°245). Il a publié l’un des 19 articles les plus influents de l’histoire de la Revue française de gestion : Hatchuel, A. (2015), « Apprentissages collectifs et activités de conception », Revue française de gestion, 253(8), 121-137.

Voici maintenant, en substance, ce que l’on pouvait retenir de cette cinquième conférence.


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Redécouvrir la gestion

Albert David et Armand Hatchuel nous ont d’abord invités à nous interroger sur la place de la gestion, en tant que discipline scientifique, et surtout à en redécouvrir certains pans. En effet, pour paraphraser les deux professeurs, il y a une forme « d’amnésie » concernant les penseurs d’après-guerre.

Armand Hatchuel note qu’en cette période tout tourne autour des « tayloriens » : chaque théorie, chaque pensée est étudiée, débattue, affirmée ou infirmée, mais toujours par rapport au canon taylorien. Cela se ressent encore aujourd’hui puisque les Henri Fayol et autre Mary Parker Follett, s’ils sont certes étudiés, le sont toujours en parallèle du taylorisme. Là où le phénomène est devenu préjudiciable, c’est qu’il a eu tendance à occulter certains grands apports de ces auteurs, apports que l’on redécouvre seulement aujourd’hui.

Par ailleurs, deux dualités ont longtemps concouru à limiter l’analyse des sciences de gestion. La première a amené à séparer responsabilité et rationalité. Or, l’une ne peut être analysée sans l’autre. La seconde est la séparation entre management et gouvernance, séparation qui aujourd’hui n’est plus d’actualité. C’est en dépassant ces éléments que la gestion est revenue en force.

La gestion, une science de premier plan

S’il y a un élément qui ressort dans les discours de Albert David et Armand Hatchuel, c’est bien la conviction que la gestion, loin d’être une science de second plan et dépérissante, est devenue une discipline dynamique, dont le prisme analytique n’a rien à envier aux sciences fondamentales.

La première raison est que celle-ci, via le développement des théories de l’action collective, a enfin pu définir clairement son objet : non plus juste une théorie du faire ou de l’agir, mais l’étude des actions collectives. Par ailleurs, dans sa démarche scientifique, la gestion bénéfice de trois atouts. Le premier est un grain d’analyse beaucoup plus fin que les autres sciences. Le second est sa grande variété d’objets d’analyse, la théorie de l’action collective se présentant comme universelle. Enfin, elle bénéficie de la longitudinalité de ses observations : son analyse pouvant s’inscrire dans une échelle de temps relativement longue (étude d’une entreprise sur plusieurs décennies par exemple).

La place importante qu’occupe aujourd’hui la gestion est due à l’émergence de théories fortes telle que la théorie C.K (concept-knowledge), dont l’usage a largement dépassé les frontières de la gestion. Dans un de leurs domaines de prédilections, l’innovation, les deux chercheurs ont développé cette théorie à la force de frappe importante. D’après celle-ci, la propriété d’un bon concept innovant est d’explorer l’inconnu en relisant le connu, en d’autres termes « innover, c’est créer de l’inconnu avec du connu ».

Après la discipline, passons on chercheurs. Les deux ont insisté sur l’importance de la culture pour un chercheur en gestion. Armand Hatchuel rappelle que l’aspect longitudinal de la discipline implique une connaissance historique de celle-ci. La gestion n’est pas une accumulation d’outils. Il est nécessaire de contextualiser ces derniers, pour en saisir les tenants et les aboutissants, mais aussi de savoir rechercher dans le passé des solutions à des problèmes contemporains. Albert David, au-delà de ce bagage historique, insiste, quant à lui, sur le besoin pour un chercheur d’avoir une culture littéraire. En effet, la gestion est caractérisée par des variations terminologiques où de nouveaux termes apparaissent et d’autres disparaissent continuellement. Une culture littéraire est ainsi nécessaire non seulement pour apporter précision et clarté à la pensée, mais aussi pour forger de nouveaux concepts.

Reconnaissance publique

Ce que nous pouvons appeler le renouveau des sciences de gestion se matérialise plus spécifiquement par la reconnaissance de la recherche en gestion. La discipline occupe en effet une place de plus en plus importante dans les politiques publiques.


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Pour illustrer cela, les deux chercheurs, et plus particulièrement Armand Hatchuel, ont insisté sur ce qu’ils nomment la « nouvelle entreprise », naissant grâce au projet de loi pour le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises (loi Pacte). Cette nouvelle entreprise vient bouleverser, bien au-delà des seules sciences de gestion, notre société tout entière.

Cette volonté de changement peut être expliquée par plusieurs points. Premièrement, la crise de 2008 constitue le paroxysme des déviances de comportements des dirigeants, surtout dans les sphères bancaires et financières. Deuxièmement, la logique actionnariale prédominante a conduit à 30 ans « d’appauvrissement », de découplage entre profits et investissements (les profits augmentent et les investissements stagnent). Enfin, l’idée selon laquelle seuls les investisseurs prendraient des risques est dorénavant largement contestée. En effet, n’est-il pas complètement absurde d’avancer que les salariés ne sont pas exposés aux risques ? Et d’ailleurs lorsqu’une entreprise fait face à des difficultés les salariés ne sont-ils pas les premiers à être interviewés ? Il existerait un décalage excessivement important entre ce qu’a longtemps été l’entreprise pour les dirigeants et les actionnaires et ce qu’est l’entreprise d’un point de vue sociétal. Ainsi, il existait un réel vide intellectuel sur la définition de l’entreprise, d’après Armand Hatchuel.

Mais alors quels sont les contours de cette nouvelle entreprise ? À noter tout d’abord que ce sont les gestionnaires (ainsi que leurs collègues en droit) qui ont largement inspiré cette nouvelle loi. Les principaux points relatifs à la définition de l’entreprise qu’ils ont retenus sont les suivants. Premièrement, percevoir l’entreprise comme processus de création collective où toutes les parties engagées prennent des risques. Deuxièmement, reconnaître qu’une entreprise a des responsabilités sociales et environnementales. Troisièmement, une entreprise, pour exister, devrait définir une raison d’être. Quatrièmement, créer un cadre de loi apparaît être absolument nécessaire.

À la question « faut-il une loi pour donner une définition à l’entreprise ? », Armand Hatchuel répond que la loi permet d’acter les doctrines, et que certaines théories doivent parfois passer par la loi pour vivre.


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Le chercheur a clos cette conférence par une phrase particulièrement marquante : « aujourd’hui les sciences de gestion sont les sciences de la critique contemporaine, car elles posent les questions fondamentales de ce que veut dire agir ensemble ». Difficile de demeurer indifférent·e…


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En conclusion, cette cinquième conférence a mis en exergue des avancées majeures, tant en gestion que sur l’importance prise par la gestion. En effet, celle-ci occupe aujourd’hui une place majeure notamment dans la sphère publique, mais, qui plus est, d’autres disciplines s’inspirent dorénavant des avancées dans la recherche en gestion.

À la question qui justifiait ce cycle de conférences « recherche en stratégie et management : mort clinique ou renaissance ? », la réponse apparaît sans aucun doute : c’est renaissance.


À visionner, l’intégralité de l’épisode 5 de l’Academic All-Star Game avec Albert David et Armand Hatchuel.

À voir également, l’interview d’Albert David et Armand Hatchuel par les élèves de l’ENS Paris-Saclay.

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