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Aide active à mourir : de la difficulté du travail législatif à accomplir

Nuages
En droit français, le concept de “souveraineté sur son corps” n'est pas reconnu. Plusieurs facteurs de ce type pourraient compléxifier la rédaction d'une loi encadrant la fin de vie. Vita Leonis / Unsplash

Un projet de loi sur la fin de vie devrait être présenté d’ici la fin de l’été 2023. La convention citoyenne sur la fin de vie (CCFDV) s’est prononcée en avril dernier en faveur de la légalisation d’une aide active à mourir, comme l’avait fait précédemment le Comité consultatif national d’éthique.

Dans un contexte français traditionnellement hostile à l’euthanasie, l’impression d’une évolution consensuelle vers la reconnaissance d’un droit à décider du moment de sa mort est à tempérer. Le rapport de la CCFDV exprime bien une opinion majoritaire en faveur de l’aide active à mourir. Mais elle n’est pas unanime : parmi les 76 % des participant·e·s favorables à celle-ci, les opinions sont diverses. Les multiples modèles d’assistance à mourir proposés dans le rapport en témoignent. Ils attestent également de la difficulté future à légiférer.

Deux idées l’emportent assez largement : d’une part, le cadre législatif actuel serait inadapté, conduisant à l’impératif d’accorder un plus grand pouvoir décisionnel à la personne.

D’autre part, il serait nécessaire d’encadrer juridiquement ce pouvoir. Or, l’autorisation et la dépénalisation de l’aide active à mourir posent des questions légales liées au consentement de la personne et à l’autonomie personnelle. Et si l’aide active à mourir doit être strictement encadrée, les conditions auxquelles elle doit être soumise sont difficiles à définir tant elles font peu consensus.

Un plus grand pouvoir de la personne sur elle-même ?

Depuis la loi Kouchner de 2002, il revient au patient de prendre, avec le médecin, les décisions médicales le concernant. Elle reconnaît le droit de refuser tout acte médical et l’impératif pour le médecin de respecter ce refus.

Avec les lois Léonetti de 2005 et Clayes-Léonetti de 2016, le législateur a renforcé les droits des patients en fin de vie. Ont été consacrés les droits de refuser tout traitement, d’accéder aux soins visant à soulager la souffrance, de pouvoir exprimer des directives anticipées. Enfin, le législateur a reconnu un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, en cas de souffrances réfractaires.

Toutefois, ces dispositions demeurent d’application inégale sur le territoire. Par ailleurs, les soins palliatifs, même s’ils étaient correctement mis en œuvre, ne sont pas adaptés à toutes les situations, particulièrement lorsque le décès ne peut survenir qu’à moyen, voire à long terme.

Ainsi, accéder à la demande de mort, au nom de la liberté de la personne à choisir pour elle-même, commence à apparaître légitime. Les implications juridiques de cette question sont nombreuses.

CC BY-NC-ND

« Controverses » est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches.

Notre première série sur la « fin de vie » s’inscrit dans les débats qui agitent en ce moment la convention citoyenne. Derrière cette expression et son éventuel prolongement législatif, des propositions – suicide assisté, euthanasie, mort choisie – mais aussi des réalités difficiles à appréhender comme celle de la souffrance morale des personnes âgées.


Vers une autorisation légale de consentir à sa propre mort ?

À l’heure actuelle, toute atteinte au corps, même consentie, est une atteinte susceptible d’engager la responsabilité pénale.

De fait, toute atteinte au corps réalisée dans un cadre médical fait l’objet d’une autorisation de la loi pour ne pas tomber sous le coup de la loi pénale. Pour exemple, l’article 16-3 du code civil autorise l’acte médical (qui, dès lors, ne peut pas tomber sous le coup de violences volontaires) en prévoyant qu’« il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». L’article ajoute que le consentement doit être recueilli préalablement, hors le cas où l’état du patient rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir.

Encore, pour tous les actes spéciaux, la loi intervient expressément pour autoriser ce qui, en principe, relèverait d’une infraction pénale (il en va par exemple de l’interruption de grossesse, des stérilisations à visée contraceptive, etc.). Il serait dès lors nécessaire de procéder à un choix législatif qui permettrait de justifier un comportement théoriquement réprimé pénalement.

La redéfinition des contours de l’autonomie personnelle

Actuellement, le système juridique français ne reconnaît pas l’autonomie personnelle. Le droit ne considère pas la personne comme souveraine quant aux décisions sur son corps. Ce terme de « souveraineté » apparaît dans le rapport de la convention, il ne renvoie pourtant à aucune notion juridique. Pour autant, quand bien même elle est juridiquement fausse, l’idée est assez communément admise que l’individu est titulaire d’un pouvoir de disposer de son corps. La question est ici de savoir si ce pouvoir est recevable en droit. Poussée à sa dimension la plus absolue, elle revient à savoir si cette recevabilité est susceptible de donner lieu à un droit d’exiger la mort.

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La Cour européenne des droits de l’Homme considère que le droit à la vie ne peut s’analyser comme ayant un versant négatif de droit à la mort. Dans le même arrêt, rendu en 2002, la cour affirme également que « la façon dont elle la [requérante] choisit de passer les derniers instants de son existence fait partie de l’acte de vivre et elle a le droit de demander que cela soit aussi respecté ».

Quelles conditions d’accès à l’aide active à mourir ?

Au-delà de ces deux aspects cruciaux se posent de nombreuses questions relatives au cadre et aux conditions posées pour accéder à une assistance à mourir. Pas moins de 17 modèles sont proposés par la convention. Ils vont d’une autorisation du suicide assisté à l’admission d’une exception d’euthanasie, en passant par la liberté laissée à la personne de choisir l’une ou l’autre.

Si le suicide assisté ne requiert pas l’acte d’un tiers, l’euthanasie nécessite une intervention active du médecin à qui revient de réaliser l’acte létal. Il n’y a donc pas d’accord sur l’objet du droit qu’il est question de reconnaître.

En outre, au sein même de ces modèles, des divergences subsistent à propos du champ d’application de l’assistance. Seul un petit nombre de citoyens défendent un droit absolu à bénéficier d’une aide active à mourir, avec pour seule et unique condition le discernement de la personne. La majorité préconise de poser des conditions médicales à l’existence d’un tel droit mais se divise au sujet de celles-ci. Est-il nécessaire de la limiter aux personnes en phase avancée d’une maladie grave et incurable ? Est-il souhaitable de l’étendre aux mineurs, aux personnes atteintes d’affections psychiatriques, à celles dont les souffrances sont uniquement existentielles ? Faut-il fixer une condition quant au délai prévisible de survenue du décès pour les personnes atteintes d’une affection grave et incurable ? Quelle place conférer aux directives anticipées en ce sens ?

Pour répondre à ces questions, il sera précieux de s’attacher aux législations existantes ayant admis l’assistance à mourir. La législation québécoise est à ce titre une source inspirante. Elle reconnaît la primauté de la personne, et conçoit la prise en charge de la fin de vie à travers le soin. Refusant de faire référence à la notion d’euthanasie ou de suicide assisté, elle fait état de la notion d’aide médicale à mourir. Cette approche a néanmoins été modifiée par une loi postérieure qui, quant à elle, autorise l’euthanasie et le suicide assisté.

Au Québec, l’aide médicale à mourir est légale. Entretien avec Véronique Hivon, ancienne ministre québécoise responsable du dossier « Mourir dans la dignité ».

Il sera également nécessaire de penser la place et les contours de la clause de conscience qui permet aux médecins, dans certaines limites, de refuser de réaliser un acte médical.

Certains aspects du projet de loi – attendu d’ici au 21 septembre 2023 – ont déjà été dévoilés. S’il n’est pas encore précisé le ou les modèles choisis, il apparaît qu’une autorisation au « droit à mourir » serait rendue possible pour les patients atteints d’une maladie engageant le pronostic vital à moyen terme. Seraient exclus les mineurs et les personnes souffrant de maladies psychiques.

Pour l’heure, le rapport de la convention citoyenne présente la grande qualité de dresser un panorama sans doute très proche de l’exhaustivité de toutes les manières possibles de légaliser l’aide active à mourir, c’est-à-dire d’encadrer un nouveau droit qui pourrait être accordé à la personne. Il fait aussi apparaître que le travail législatif sera éminemment ardu et que son résultat ne sera jamais unanimement considéré comme satisfaisant.

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