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illustration avec des colis entourant un ordinateur portable
L'innovation technologique n'est pas toujours synonyme de progrès social. Ulkerdesign

Amazon : derrière l’innovation, une armée de travailleurs précaires ?

Les progrès technologiques dans le commerce de détail et le travail numérique promettent souvent d’améliorer en même temps la productivité des salariés et la praticité pour les consommateurs. Dans les faits, si la promesse de l’automatisation est attrayante, la réalité de sa mise en œuvre révèle des complexités significatives, notamment en termes de coût, d’efficacité et de perception publique. Cela crée des tensions et exacerbe aussi la précarité du travail.

À cet égard, les technologies introduites par Amazon, sont incontestablement très innovantes, du moins en apparence. Ces nouveautés ont toutefois soulevé des préoccupations à propos de leur impact à long terme sur l’emploi dans le commerce de détail, mais aussi sur la manière dont la technologie influence les interactions traditionnelles dans les espaces commerciaux.

L’exemple d’Amazon Fresh, tout comme celui de son petit frère Amazon Go, sont révélateurs. Présentés comme le futur du commerce de détail, ces magasins utilisent la technologie « just walk out » pour permettre aux clients de prendre leurs articles dans les rayons, puis de quitter le magasin sans passer par la caisse. Bien que cela puisse sembler être une simplification bienvenue du processus d’achat, cette technologie masque une couche de complexité opérationnelle qui repose sur une main-d’œuvre peu visible et souvent précaire.

Amazon a décidé d’abandonner partiellement sa technologie dans les supermarchés Amazon Fresh aux États-Unis. Le système sera remplacé par des chariots intelligents « dash carts » qui permettent un processus de paiement plus traditionnel tout en utilisant des technologies de scan. Les plus petits magasins Amazon Go et leur technologie sans caisse sont maintenus au Royaume-Uni.

Des capteurs et des hommes

Pour parvenir à ce résultat, les magasins physiques d’Amazon possèdent un nombre important de capteurs et de caméras. L’ensemble repose sur l’utilisation d’algorithmes sophistiqués pour suivre les mouvements des clients et les articles qu’ils sélectionnent. C’est ainsi, du moins, qu’Amazon présentait ses magasins révolutionnaires. Or, derrière ces algorithmes sophistiqués se cache une armée de travailleurs en Inde devant surveiller et corriger les erreurs du système déployé. Cette dépendance à une main-d’œuvre invisible remet en question la promesse d’efficacité des technologies implantées par Amazon. Par ailleurs, ce besoin d’une main-d’œuvre à distance payée selon les standards locaux révèle les failles de l’automatisation complète et soulève des préoccupations éthiques sur les conditions de travail de ces employés.

Dans le passé, Amazon a déjà promis une innovation, moins radicale qu’il n’y paraissait, avec une technologie (via sa plate-forme MTurk) qui devait transformer le travail, en permettant aux individus de réaliser des microtâches pour une rémunération (souvent minime), dans un contexte qui promeut la flexibilité et l’autonomie des travailleurs. Cela s’appelle, le turking. L’idée du mechanical turking date du XVIIIe siècle et s’inscrit dans le spectre de l’interaction « homme-machine ». En effet, le Turc mécanique était un automate supposé jouer aux échecs alors qu’en réalité un humain s’y cachait.

Dans une recherche que nous avons récemment publiée, nous avons interrogé des turkers afin d’éclairer la nature fondamentalement ambivalente de ces nouvelles formes de travail. En effet, nos résultats montrent que d’un côté, les tâches sur MTurk offrent une flexibilité appréciable mais présentent également des conditions de travail précaires. Les travailleurs, bien que bénéficiant d’une certaine autonomie, sont confrontés à des pressions financières importantes et à une surcharge de travail nuisant à leur bien-être. Les caractéristiques des tâches exécutées influencent directement le bien-être des turkers.

Épanouissement personnel

Pourtant, les tâches perçues comme significatives et porteuses de sens améliorent la qualité de vie de la personne qui l’exerce et favorisent sa croissance. Ainsi, les travailleurs qui investissent du temps dans des activités qu’ils considèrent comme pertinentes et qui évaluent positivement ces tâches perçoivent un potentiel accru pour leur épanouissement personnel. À l’inverse, le travail excessif et la pression financière nuisent à la satisfaction personnelle et à l’acceptation de soi, réduisant ainsi la qualité de vie générale du turker.

La nécessité de consacrer une quantité substantielle de temps pour gagner un salaire adéquat à travers le turking exacerbe le risque de surmenage, ce qui détériore la qualité de vie. Les conditions précaires, caractérisées par des tâches morcelées et peu rémunérées, intensifient la pression financière. Ces éléments ont un impact direct sur la perception de la qualité de vie. En outre, ils engendrent des difficultés psychologiques en affectant négativement l’estime de soi des travailleurs, conduisant ainsi à une perception encore plus diminuée de leur qualité de vie globale.

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En outre, derrière cette promesse de flexibilité se cache une dépendance accrue des turkers à l’égard de leurs revenus sur la plate-forme. Le besoin de cet argent, indispensable pour subsister, les expose à une instabilité économique, qui est la conséquence de la nature sporadique et de la faible rémunération des tâches disponibles sur la plate-forme.

De plus, comme celle-ci ne fournit aucune garantie de travail continu, une pression constante pour sécuriser la prochaine tâche est fortement ressentie. Les turkers font état de longues heures de travail, souvent nécessaires pour générer un revenu viable, ce qui peut entraîner une détérioration de leur santé mentale et physique.

Le tout automatisé, illusion ou précarité cachée ?

Que cela soit des individus visionnant des heures de vidéos ou réalisant des microtâches répétitives, il en ressort que cette économie numérique se construit davantage sur des emplois transformés en arrangements précaires.

Dans les deux cas, magasin automatisé ou Mechanical Turk, la technologie est utilisée pour maximiser l’efficacité et réduire les coûts, souvent au détriment de la sécurité et du bien-être des travailleurs. Cette approche soulève des questions importantes sur l’éthique des entreprises, la responsabilité sociale dans l’ère numérique. Se pose aussi la question de la légitimité technologique de toutes ces innovations.


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Notre recherche préconise une gestion et une conception améliorées des tâches confiées sur les plates-formes algorithmiques. Ces tâches devraient être conçues non seulement pour être rémunératrices, mais aussi enrichissantes et significatives, afin d’améliorer le bien-être des travailleurs. Intégrer des éléments pour renforcer le sentiment d’accomplissement personnel et de contribution significative à la société est essentiel.

L’amélioration des conditions de travail devrait aussi constituer une préoccupation majeure des gestionnaires de ces plates-formes, notamment en mettant en place des mesures réduisant la précarité du travail, telles que des garanties de revenu minimum ou des protections contre le travail excessif. Les politiques de soutien, comme l’assurance maladie ou les contributions à la retraite, peuvent aider à atténuer les inquiétudes financières des travailleurs.

Enfin, des stratégies devraient être envisagées pour réduire la pression financière, notamment en encourageant une rémunération équitable et transparente, pouvant aider à diminuer la pression financière ressentie par les travailleurs et améliorer leur satisfaction au travail. Offrir des formations et des opportunités de développement professionnel pourrait également aider les travailleurs à mieux gérer les défis du travail sur des plates-formes basées sur des algorithmes.

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