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Grand axe à Barcelone
A Barcelone, instaurer une taxe sur les véhicules polluants réduirait les émissions liées aux transports de 7,5 %. Jorge Fernandez Salas / Unsplash

Améliorer la qualité de vie urbaine en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, c’est possible !

Comment rendre les transports urbains plus respectueux du climat ? Est-il possible d’opérer ces changements sans générer d’impact négatif sur les populations ? Pour répondre à ces questions, nous avons mené une étude dans 120 villes, sur cinq continents. Publiés dans la revue Nature Sustainibility en mai 2023, les résultats montrent qu’il est possible de concilier ces deux objectifs majeurs en y réduisant progressivement l’utilisation de la voiture par des politiques urbaines adaptées. En 15 ans, on pourrait en effet réduire les émissions de 22 % tout en améliorant de nombreux aspects de la qualité de vie des habitants.

Comment procéder ? Les villes ont un rôle essentiel à jouer dans la transition énergétique : leurs habitants sont responsables de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les transports urbains représentent à eux seuls environ 8 % de l’ensemble de ces émissions. Il est crucial de rendre ces transports urbains plus respectueux de l’environnement, sans pour autant dégrader les conditions de vie des populations.

Notre étude explore quatre grands types de stratégies complémentaires qui pourraient permettre de réduire les émissions liées au transport en villes : la taxation des véhicules polluants, les incitations à utiliser des véhicules consommant moins d’énergie fossile, les investissements dans les transports en commun, et les politiques de planification urbaine limitant l’étalement urbain.

Nous avons étudié, pour chacune de ces stratégies, quelques exemples de politiques publiques qui peuvent être mises en œuvre au niveau local. Par exemple, pour améliorer les transports en commun, une possibilité consiste à mettre en place un système de bus à haut niveau de service sur des voies dédiées. La planification urbaine peut consister à limiter les constructions neuves loin des gares de transport en commun. La taxation des véhicules polluants peut se faire par une augmentation du prix des carburants ou par un péage urbain mis en place au niveau local. Enfin, l’utilisation de véhicules plus efficaces, par exemple électriques, peut être permise par une combinaison de subventions et d’interdictions des véhicules les plus polluants dans les centres urbains.

Comparer l’impact des politiques locales

En utilisant un modèle de simulation urbaine, nous estimons l’impact de ces politiques sur 120 villes de tailles et de géographies diverses, et situées dans des pays de niveaux de développement économique très différents.

Les impacts d’une politique donnée ne sont en effet pas les mêmes suivant la ville dans laquelle on la met en place. Les politiques publiques les plus efficaces à mettre en œuvre varient selon les caractéristiques de chaque ville : densité de population, infrastructures de transports existantes, taux de croissance de la population, etc.

Ainsi, dans la plupart des villes d’Amérique du Sud étudiées, la mise en place de nouvelles lignes de transports en commun semble particulièrement bénéfique : ces villes sont généralement assez denses et les transports en commun y sont peu développés. Nos simulations montrent que si de nouvelles lignes de transports en commun étaient mises en place, elles pourraient potentiellement réduire les émissions jusqu’à 21 % et 26 % dans les villes brésiliennes de Goiânia et Belém.

Impact de l’ouverture de nouvelles lignes de transports en commun sur les émissions de gaz à effets de serre liées au transport, après 15 ans. Liotta et Vuguié

En Europe, c’est plus souvent une taxe sur le prix des carburants qui se montrerait efficace : les transports en commun, généralement assez développés dans les villes européennes, permettent aux habitants de se reporter vers des transports non taxés, et moins polluants. Ainsi, une taxe sur le prix des carburants permettrait de réduire les émissions liées aux transports de 7,5 % à Barcelone contre seulement 0,6 % à Atlanta, du fait des possibilités beaucoup plus faibles d’avoir des alternatives à la voiture dans cette ville très étalée.

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Mettre en place plusieurs politiques simultanément peut se révéler particulièrement efficace : il peut ainsi être opportun de taxer les véhicules polluants tout en développant les transports en commun, ou bien de développer les transports en commun tout en contrôlant l’étalement urbain, pour que la densité de population augmente près des gares. Ainsi, à Lille par exemple, contrôler l’étalement urbain tout en taxant les véhicules polluants et en développant les transports en commun permettrait de réduire les émissions liées au transport de presque 24 % (implémenter chacune de ces politiques séparément permettrait une réduction des émissions respectivement de 9 %, 4 % et 7 %).

Améliorer la qualité de vie des habitants

En se plaçant dans le cas où ces politiques sont intégralement financées localement par une taxe, notre étude estime également leur impact sur les conditions matérielles des habitants et sur leur santé. Nous analysons en quoi les politiques impactent le revenu (la construction de lignes de transport en commun augmente les impôts locaux, tandis que la taxation de véhicules polluants permet de les diminuer), le coût des transports, le prix moyen du logement, la qualité de l’air, la pollution sonore, les accidents de la route, ou encore les bénéfices en termes de santé liées aux mobilités dites « actives » (se déplacer à pied et non en voiture, par exemple).

Ces impacts sont, suivant les villes, tantôt positifs, tantôt négatifs. Une taxe sur les carburants ou l’ouverture de nouvelles lignes de transports en commun permettent souvent d’améliorer la qualité de l’air, de réduire la pollution sonore et le nombre d’accidents de la route ; des véhicules plus efficaces permettent d’améliorer la qualité de l’air et de réduire le budget des ménages dédié au transport – même si leur impact en termes d’accidents de la route reste inchangé. En revanche, une planification urbaine limitant l’étalement urbain peut contribuer à augmenter le prix des logements, et la mise en place de lignes de transports en commun peut s’avérer parfois extrêmement coûteuse.

Pour comparer ces variations, il est possible de les exprimer en équivalent monétaire, de manière à créer un indicateur composite de « bien-être » (welfare en anglais) intégrant toutes les dimensions de la qualité de vie des habitants citées précédemment. Nous montrons dans notre étude que, dans toutes les villes que nous étudions, il existe des combinaisons de politiques qui permettent de réduire les émissions tout en améliorant globalement cet indicateur.

Il apparaît ainsi possible de réduire au total les émissions de gaz à effets de serre de 22 % en 15 ans sans dégrader la qualité de vie des habitants dans aucune des villes de notre échantillon. Dans le cas de Berlin, par exemple, les politiques mises en place permettraient de réduire les impacts négatifs en termes de santé liés à la pollution de l’air de 36 %, ceux liés au bruit et aux accidents de la route de 25 %. Elles augmenteraient également les impacts positifs en matière de santé liés à la pratique quotidienne de la marche ou de vélo de 17 %, ce qui permettrait de compenser le coût des politiques (notamment l’augmentation du prix de l’essence du fait de la taxe, ou des prix de l’immobilier liés à la régulation du développement urbain).

Comme l’a montré l’épisode des « gilets jaunes », pour qu’une politique publique de réduction des émissions puisse être acceptée par les habitants, il est important qu’elle ait un impact positif sur leur qualité de vie. Nos résultats montrent que, partout dans le monde, réduction des émissions de gaz à effet de serre et augmentation de la qualité de vie peuvent aller de pair, avec des choix de politiques adaptées au contexte local. Les villes, bien que fréquemment absentes des discussions internationales sur le climat, jouent un rôle majeur en étant un échelon particulièrement adapté à la mise en place de telles stratégies.


Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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