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Des troupes munies de torches défilent devant la porte de Brandebourg.
Défilé national-socialiste à Berlin célébrant l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. Sa nomination à la chancellerie, le 30 janvier 1933, a consolidé la mainmise absolue du parti nazi sur le pays en quelques mois, prélude à la Seconde Guerre mondiale. (AP Photo)

Atmosphère politique aux États-Unis : voici ce qu’on peut apprendre de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres

« Ce sera la fin de la démocratie. » Telle est la réponse cinglante que le sénateur américain Bernie a servi au Guardian qui lui demandait ce qui se passerait en cas de victoire électorale de Donald Trump en 2025.

Le professeur David Dyzenhaus livrera ses réflexions sur la politique et l’état de droit lors d’un entretien avec Scott White, rédacteur en chef de La Conversation Canada. Cliquez ici pour vous inscrire gratuitement à l’événement.

Notre défi, a-t-il expliqué, « sera de démontrer au peuple qu’un gouvernement démocratique peut répondre à leurs besoins essentiels. Si nous y parvenons, nous vaincrons Trump. Si nous échouons, alors ce sera la République de Weimar ».

Bernie Sanders fait allusion aux dernières années de la première expérience démocratique de l’Allemagne qui a vu la montée en puissance du futur dictateur dans un climat d’extrême polarisation politique et de grogne sociale.

Si ce rapprochement est juste pour la plupart des démocraties occidentales, le sénateur se trompe sur un point : les États-Unis sont déjà bien engagés dans ce qui ressemble au crépuscule de la République de Weimar.

En tant que spécialiste du droit, en particulier de l’État de droit, j’étudie la nature du droit et sa relation avec le politique. Auteur d’un ouvrage sur ces questions dans l’Allemagne préhitlérienne, je suis d’avis que cette période éclaire de manière pertinente ce qui se passe aux États-Unis et dans d’autres démocraties occidentales (y compris au Canada).

Polarisation dans l’entre-deux-guerres

Naturellement, il y a quelques différences importantes.

En Allemagne, la principale ligne de fracture de la polarisation politique opposait l’extrême droite, dominée par le parti nazi, et une extrême gauche communiste. Or, ces deux partis se sont présentés aux élections dans l’intention expresse de détruire la démocratie.

Aux États-Unis, la principale ligne de faille oppose les démocrates et les groupes d’extrême droite qui dominent le parti républicain de Trump.

Une femme et un homme lisent une affiche collée sur un poteau
Des Berlinois lisant le décret sur les pouvoirs d’exception de 1932. Wikimedia, CC BY

Lorsque Hitler arrache tous les leviers du pouvoir, la République de Weimar n’existait que depuis 14 ans. Et un article de sa constitution, le 48e, qui permettait au président de contourner le parlement en situation d’urgence, lui a ouvert un véritable boulevard.

La résilience de la Constitution américaine

En revanche, la Constitution américaine date de 1789, ce qui en fait la constitution la plus ancienne de la plus vieille démocratie moderne. Elle a montré sa résilience le 6 janvier 2021 lorsque Trump et ses partisans, refusant leur défaite contre Joe Biden aux élections de 2020, ont échoué dans leur tentative de prendre le pouvoir par la force.

Konrad Adenauer, premier président de l’Allemagne de l’Ouest dans l’après-guerre, a dit un jour que le problème de Weimar n’avait pas été sa constitution, mais les rangs éclaircis des véritables partisans de la démocratie parmi les politiciens, les juges, les avocats et d’autres figures d’autorité susceptibles de la défendre.

Et en effet, en 2021, lors de la tentative d’insurrection trumpiste, c’est bien la foi démocratique d’une poignée de personnages qui s’est effectivement interposée et qui a permis l’entrée en fonction de Biden. Les juges nommés par les républicains ont rejeté les tentatives de Trump de contester certaines élections ; les responsables électoraux républicains qui ont résisté aux pressions exercées pour truquer les votes dans leurs circonscriptions ; et le vice-président Mike Pence, même s’il a vacillé jusqu’à la dernière minute, a finalement refusé de jouer le jeu de la sédition.

Mais l’analogie entre la République de Weimar et les États-Unis demeure valide parce que c’est exactement ainsi que les démocrates allemands ont su résister jusqu’à la fin de l’année 1932.

Dans des situations extrêmes, le rôle des avocats et des tribunaux peut donc être crucial.

Un coup d’État annonciateur

En 1932, le gouvernement fédéral allemand — dominé par des aristocrates de droite — a utilisé les pouvoirs d’urgence prévus par l’article 48 de la constitution pour remplacer le gouvernement de l’État libre de Prusse, l’un des 39 Länder de la fédération allemande.

Ce faisant, ce coup d’État légal a effectivement anéanti le principal bastion de résistance démocratique aux forces d’extrême droite de l’époque.

Au lieu de livrer une résistance armée qu’il ne pouvait pas gagner, estimait-on, ce gouvernement prussien de tendance a plutôt opté pour la contestation juridique. Or, la constitution de la République de Weimar avait justement créé une cour spéciale, la Staatsgerichtshof, ayant justement pour vocation de résoudre les litiges constitutionnels entre le niveau fédéral et les 39 Länder fédérés.

Après avoir entendu les arguments oraux entre le 10 et le 17 octobre 1932, le tribunal s’est arrangé pour confirmer le décret dans un jugement rendu le 25 octobre.

Cette décision juridique est considérée comme un point tournant vers la prise de pouvoir d’Hitler en 1933, qui s’est alors placé au-dessus des lois en s’érigeant lui-même comme l’ultime autorité légale.

Un juriste nazi toujours admiré

Parmi les juristes éminents qui se sont opposés dans ce débat, il faut mentionner la figure Carl Schmitt, théoricien fasciste du droit qui représentait le gouvernement fédéral dans l’affaire de la Prusse avant de joindre le parti nazi après 1933.

Tout au long de sa carrière, Schmitt a résolument utilisé l’argumentaire juridique pour saper les bases de la démocratie. De nos jours, à l’instar de plusieurs autres grandes figures conservatrices de la République de Weimar, Schmitt est un maître à penser parmi la coterie d’avocats d’extrême droite qui ont téléguidé la tentative de coup d’État de Trump en janvier 2021.

Un homme figure sur la couverture d’une ancienne revue académique
L’avocat Carl Schmitt en une de la revue Der Wirtschafts-Ring (L’Anneau économique) en 1934. Wikimedia, CC BY

La Cour suprême des États-Unis doit bientôt se prononcer sur plusieurs affaires impliquant Donald Trump contre l’état de droit. L’enjeu ne se conjugue pas qu’au passé : l’ex-président a laissé entendre que, s’il était réélu, il pourrait utiliser la Loi sur l’insurrection pour réprimer toute manifestation politique.

Les décisions de la Cour suprême sur les affaires impliquant l’autorité légale de Trump pourraient donc avoir des conséquences aussi importantes pour l’avenir de la démocratie américaine que celle de la Staatsgerichtshof en 1932.

Or, la majorité de juges de la Cour suprême est constituée de conservateurs tels Clarence Thomas. Et l’épouse de ce dernier a même joué un rôle dans la tentative de Donald Trump pour renverser sa défaite électorale. Un bien mauvais présage pour la démocratie et l’État de droit aux États-Unis.

This article was originally published in English

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