Menu Close
Un homme passe dans une rue de Vienne devant une affiche de campagne du FPÖ
Cette affiche de campagne présente les principaux éléments de langage du FPÖ, qui dénonce le soutien de l’UE à l’Ukraine, la crise des réfugiés, le bellicisme, les mesures sanitaires prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 et le communisme économique, avec le slogan : « Stop à la folie de l’UE ». Joe Klamar/AFP

Autriche : les élections européennes, dernière marche pour l’extrême droite avant la conquête de la chancellerie ?

Les semaines se suivent et se ressemblent pour le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ). La formation d’extrême droite ne cesse de caracoler en tête des sondages. Elle devrait arriver en première position aux européennes du 9 juin avec près de 27 % des voix, devançant assez nettement les sociaux-démocrates du SPÖ (23 %) et les conservateurs de l’ÖVP, actuellement au pouvoir (21 %).

De plus, aux législatives, qui se tiendront en septembre, les sondages attribuent également au FPÖ la première place, avec 30 % des voix (contre 21 % au SPÖ et 20 % à l’ÖVP). Ses dirigeants voient dans ces prédictions plus qu’encourageantes une chance historique de placer pour la première fois l’un des leurs au poste de chancelier, qu’occupe depuis 2021 un représentant de l’ÖVP, Karl Nehammer.

Le FPÖ, fondé en 1956 et qui a réellement décollé à l’époque où il était dirigé par le sulfureux Jorg Haïder (1986-2000), a connu par le passé nombreuses désillusions, parvenant plusieurs fois aux portes du pouvoir sans jamais le conquérir. Aujourd’hui, ses chefs et ses militants en sont convaincus : l’année 2024 sera la bonne.

Une popularité insubmersible ?

L’image du FPÖ semble ne pas avoir été ternie par « l’affaire Egisto Ott » qui secoue le pays depuis plusieurs semaines.

Egisto Ott est un ancien agent secret autrichien, arrêté le 29 mars dernier parce que soupçonné d’avoir fourni un certain nombre d’informations à la Russie contre de l’argent. En outre, il aurait également transmis à Moscou les données des téléphones de trois hauts fonctionnaires du ministère autrichien de l’Intérieur : Michael Kloibmüller (ancien chef de cabinet du ministre de l’Intérieur), Michael Takacs (devenu entre-temps le directeur de la police fédérale) et Gernot Maier, (directeur de l’Office fédéral des affaires étrangères et de l’asile).

Très vite, le nom du FPÖ a circulé dans cette affaire, car Herbert Kickl, l’actuel président du parti, était le ministre fédéral de l’Intérieur entre 2017 et 2019. Si l’on en croit la presse autrichienne et les premiers éléments de l’enquête, Ott aurait commencé ses méfaits dès 2017, période à laquelle le FPÖ était au pouvoir en coalition avec l’ÖVP… L’ex-ministre Kickl pouvait-il ignorer ses agissements ? Cette question reste pour le moment en suspens.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Les adversaires politiques du FPÖ ne manquèrent pas d’évoquer une possible proximité idéologique entre Egisto Ott et le parti, rappelant la « complaisance » de longue date dudit parti à l’égard de la Russie de Vladimir Poutine. À ce jour, la police cherche à déterminer le lien entre le FPÖ et Ott. De son côté, le FPÖ nie en bloc toutes les accusations et rétorque qu’il s’agit là d’une affaire visant à enrayer sa dynamique politique et électorale.

Ce qui est sûr, c’est que les relations étroites entre le FPÖ et la Russie ne datent pas d’aujourd’hui. En décembre 2016, le FPÖ et le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, ont conclu un « Freundschaftsvertrag » (contrat d’amitié). Ce « contrat » avait pour objectif principal d’organiser des échanges entre le FPÖ et Russie unie et de mettre en place une coopération partisane aussi bien sur le plan de l’idéologie que sur la partie organisationnelle ; des délégations autrichiennes et russes devaient ainsi se rencontrer régulièrement et renforcer cette coopération.

Il y a quelques mois, toutefois, Herbert Kickl a expliqué que ce contrat n’était plus valable voire, du côté FPÖ,considéré comme caduc. Norbert Hofer – autre grande figure du FPÖ – a confirmé ces propos, précisant que le contrat avait été conclu à une période où le président russe était fréquentable :

« C’était une époque où les hommes politiques russes et le président Poutine étaient accueillis chaleureusement dans toute l’Europe et où de nombreux hommes politiques se rendaient à Moscou pour rencontrer Poutine en personne. »

Il n’empêche que les liens entre le FPÖ et la Russie ont longtemps été particulièrement étroits : en 2018, Vladimir Poutine fut l’invité d’honneur du mariage de Karin Kneissl, alors ministre FPÖ des Affaires étrangères, avec laquelle il n’hésita pas à partager une danse. Kneissl a quitté le gouvernement en 2019 ; en 2021, elle a rejoint le conseil d’administration du groupe pétrolier russe Rosneft, avant de s’installer en Russie en 2023, un an après le déclenchement de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, pour y prendre la tête d’un think tank.

Vladimir Poutine danse avec la ministre autrichienne des Affaires étrangères Karin Kneissl le 18 août 2018 lors du mariage de celle-ci. Kremlin.ru

Depuis février 2022, le FPÖ a plaidé à maintes reprises contre les sanctions adoptées à l’encontre de la Russie. Aujourd’hui encore, Herbert Kickl continue d’affirmer que ces sanctions ne font que repousser l’espoir d’une négociation possible entre Ukrainiens et Russes, et sont néfastes pour l’Autriche.

Un programme offensif

C’est donc dans un contexte bien particulier que le FPÖ s’est lancé dans la bataille des européennes. Lors du scrutin de 2019, le parti avait dû se contenter de la troisième place avec « seulement » 17,2 %, loin derrière l’ÖVP et le SPÖ qui avaient respectivement obtenu 34,6 % et 23,9 % des suffrages. Cette fois, les élections européennes de juin pourraient bien se solder par une nette victoire de la formation d’extrême droite. Si les sondages se révélaient exacts, le FPÖ pourrait se rapprocher de son meilleur score historique, tous scrutins nationaux confondus, obtenu lors des élections européennes de 1999 avec 27,53 %.

Pour ce scrutin, le FPÖ a choisi de renouveler sa confiance à un homme politique aguerri, Harald Vilimsky, désigné début janvier comme tête de liste pour la troisième fois après 2014 et 2019. Vilimsky est une personnalité forte du mouvement ; il a été, entre autres, député au Conseil national (2006-2014), avant d’assurer un mandat de député européen depuis 2014.

Sur la liste du FPÖ, on retrouve également une certaine Petra Steger, qui n’est autre que la fille de l’ancien vice-chancelier autrichien Norbert Steger, leader du FPÖ de 1980 à 1986. Celle-ci, à l’image de son père, est considérée comme étant plutôt tenante d’une ligne libérale et plus modérée au sein du parti, même si, sur de nombreux sujets, elle embrasse allégrement les positions conservatrices du mouvement. L’avoir sur sa liste est donc une façon pour le FPÖ de réussir la synthèse entre l’électorat traditionnel du parti, plutôt radical, et un électorat plus modéré.

Durant la conférence de presse organisée pour présenter la liste, Herbert Kickl a réitéré sa volonté de lutter contre « la migration des peuples » en provenance de l’espace africain et arabe, ou encore contre la perte de souveraineté de l’Autriche au profit de l’UE. De son côté, Harald Vilimsky a martelé que les « élites européennes » étaient « déconnectées des aspirations du peuple » et que le seul moyen d’y remédier était de glisser dans l’urne un bulletin FPÖ. Depuis son élection au Parlement européen en 2014, Vilimsky s’est fait en Autriche le chantre de la lutte contre « le centralisme européen et bruxellois ».

Pour ces élections européennes, le programme du FPÖ se veut offensif et sans ambiguïté. Intitulé « EU-Wahnsinn Stoppen » (Halte à la folie de l’UE), il ne prône pas une sortie de l’Autriche de l’UE mais appelle à réformer l’Union en profondeur et à mettre fin à toutes les « dérives politiques » de Bruxelles. Parmi les mesures phares préconisées, on retrouve notamment la réduction de la bureaucratie au sein de l’UE ; l’arrêt immédiat de l’immigration jugée incontrôlée ; une tolérance zéro à l’égard des demandes d’asile illégales et un meilleur contrôle aux frontières extérieures.

Harald Vilimsky devant une affiche de campagne, 22 mai 2024. FPÖ

Être en tête dans les sondages fait du FPÖ la cible principale de ses adversaires du SPÖ et de l’ÖVP ; ce sont ces derniers, qui redoutent de voir leur électorat se reporter sur le FPÖ, qui se montrent les plus virulents. La tête de liste ÖVP, Reinhold Lopatka, souligne que, à l’inverse du FPÖ, son parti et lui-même voient l’UE comme un partenaire et non comme un adversaire. De plus, il ne cesse d’accuser ouvertement le FPÖ et Harald Vilimsky d’être le « bras tendu » de Vladimir Poutine et de n’avoir de l’UE qu’une image de « Feinbild » (ennemi). Des critiques qui n’empêchent cependant pas l’ÖVP de s’emparer des thèmes politiques chers au FPÖ à commencer par la lutte contre l’immigration incontrôlée ou la restriction des demandes d’asile…

Le FPÖ peut-il encore perdre ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, une majorité d’Autrichiens portent un regard plutôt négatif sur le devenir de l’UE, ce qui pourrait bien « arranger » le FPÖ. D’après un sondage, paru le 6 mai dernier et publié dans le journal Der Standard, 63 % des personnes interrogées estiment que l’UE évolue dans une mauvaise direction – une proportion qui n’est pas pour rassurer l’ÖVP et le SPÖ lesquels, à quelques semaines du scrutin, aspirent encore à ravir la première place au FPÖ.

Dans l’état actuel des choses, rien ne semble être en mesure de freiner l’irrésistible ascension du FPÖ. Il a su résister aux accusations de proximité avec la Russie ou à l’affaire Egisto Ott. En outre, le parti bénéficie d’une certaine forme de lassitude voire de défiance à l’encontre des dirigeants politiques actuellement au pouvoir, et des querelles politiques internes des deux grands partis traditionnels. Les Autrichiens aspirent à un réel changement que seul – du moins le pensent-ils – pourrait leur offrir potentiellement le FPÖ.

Les élections seraient-elles déjà jouées ? Plutôt que de se poser la question de savoir si le FPÖ peut l’emporter aux européennes puis aux législatives, ne faudrait-il pas plutôt se demander si le parti peut encore perdre ?

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 185,700 academics and researchers from 4,983 institutions.

Register now