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Un manifestant lance une pierre sur la police lors d'une manifestation à Dakar, au Sénégal, le 3 juin 2023. Ces affrontements contre le régime en place pourrait être un prélude à d'autres, cette fois contre la hausse du prix des denrées. (AP Photo/Leo Correa)

Avec le prix des denrées qui augmentent, le Sénégal pourrait connaître de nouvelles turbulences

La cherté du coût de la vie a souvent conduit de nombreux peuples dans la rue. Il se peut fort bien que la hausse du prix des denrées de base ait des impacts politiques au sein de plusieurs États, notamment au Sénégal.

Avec la suspension récente des exportations de certains types de riz en provenance d’Inde, rien n’exclut de nouvelles émeutes de la faim dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, qui vient d’être secoué par des mobilisations d’une rare violence en soutien à l’opposant Ousmane Sonko, condamné à la prison par le régime en place.

Doctorante en science politique à l’Université d’Ottawa, mes recherches portent sur l’analyse des mouvements sociaux face à l’accaparement des terres, à l’accès des femmes aux ressources productives et à l’étude des politiques agricoles au Sénégal.

Des affrontements ont lieu entre des manifestants et des policiers antiémeute dans un quartier de Dakar, au Sénégal, le 3 juin 2023. (AP Photo/Leo Correa)

D’inquiétantes restrictions pour l’Afrique

Le gouvernement indien a en effet annoncé le 20 juillet 2023 la suspension de ses exportations de riz blanc non-basmati. Cette décision s’ajoute à celle de la restriction des exportations de brisures de riz et l’ajout d’une taxe de 20 % pour tout achat de paddy rice.

Ces actions menées par le gouvernement indien ont pour objectif de limiter la hausse du coût du riz sur son territoire et faire face à sa baisse de production due à des conditions climatiques difficiles. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine, la pandémie de la Covid-19 et le changement climatique ont contribué à une inflation record des économies mondiales ainsi qu’une hausse du coût des céréales sur les marchés mondiaux.

L’Ukraine et l’Inde sont les principaux exportateurs de blé et de riz à destination des pays africains. L’accord sur les exportations de céréales ukrainiennes signé en juillet 2022 a permis l’approvisionnement de 800 000 tonnes de blé vers l’Afrique du Nord, contre 5 à 6 millions de tonnes avant la crise et un million à destination des pays de la Corne de l’Afrique via le Programme alimentaire mondial, dont le principal fournisseur est l’Ukraine.

La récente décision de la Russie de ne pas reconduire l’accord sur les exportations de céréales ravive de nombreuses craintes au sein des gouvernances des États africains dont la sécurité alimentaire est déjà menacée. La malnutrition a touché en Afrique 278 millions de personnes en 2021.

« On a faim, le riz est cher »

Cette situation rappelle les conditions qui ont conduit aux émeutes de la faim de 2008 en Afrique, en Asie et en Amérique latine, dus en partie à une hausse du prix des denrées vivrières et des matières premières sur les marchés mondiaux.

Au Sénégal, on pouvait entendre les slogans suivants, « On a faim ! », « Le riz est cher, va-t’en ! » à destination du président Abdoulaye Wade.

Le président sénégalais Abdoulaye Wade accueille son homologue français Nicolas Sarkozy, à son arrivée à Dakar, le 26 juillet 2007, un peu avant les émeutes de la faim. (AP Photo/Pascal Rossignol, pool)

La chercheuse au Centre de recherche sur les systèmes climatiques de l’université de Columbia, et spécialiste de la manière dont les changements environnementaux affectent la sécurité alimentaire, Alison Heslin, affirme qu’il existe une corrélation entre l’accès à l’alimentation, l’urbanisation, la pauvreté, le type de régime politique et l’apparition d’émeutes.

Pour Heslin, les émeutes de la faim ont une profonde nature politique. En effet, lors de ces émeutes, les demandes des participants dépassent les revendications liées à l’accès aux denrées. Cet accessibilité devient une force mobilisatrice de revendications sociales, économiques et politiques.

Des policiers tirent des gaz lacrymogènes lors d’une manifestation à Dakar, le 2 juin 2023. Les affrontements entre la police et les partisans du chef de l’opposition sénégalaise, Ousmane Sonko, ont fait neuf morts. (AP Photo/Leo Correa)

Ces éléments sont observables au sein des émeutes qui ont secoué le Sénégal en 2008, allant de protestations contre la vie chère à des revendications exigeant le départ du président Abdoulaye Wade.

Les difficultés de production de riz local

Le riz constitue l’un des aliments de base de la cuisine sénégalaise. La production nationale ne couvre que 40 % de la consommation locale. L’État sénégalais dépend grandement des importations de riz indien, qui représentait en 2021 70,7 % des achats de riz.

La filière rizicole sénégalaise rencontre de nombreux défis. La vallée du fleuve Sénégal, dont les rizicultures sont irriguées, fournit la majorité de la production nationale. La Casamance produit également du riz, par culture pluviale, mais le rendement est faible. Le changement climatique a un impact important : les pluies irrégulières, la salinisation et l’acidification des sols limitent l’augmentation des rendements du riz local.

Des enfants transportent des sacs de riz, dans un village du Sénégal, en avril 2023. La filière rizicole sénégalaise rencontre de nombreux défis, exacerbés par le changement climatique. (Shutterstock)

À la suite des émeutes de la faim de 2008, d’importants investissements ont été entrepris par le gouvernement sénégalais dans la filière rizicole à travers notamment le programme de la Grande Offensive agricole pour la Nourriture et l’Abondance,(GOANA). Les résultats de ce programme n’ont pas été à la hauteur des attentes des agriculteurs qui dénonçaient une production de riz de contre-saison de mauvaise qualité dû à l’empressement du gouvernement d’augmenter les rendements.

D’autres programmes se sont ajoutés au GOANA, dont le Programme national d’Autosuffisance en Riz (PNAR), mais on en est encore loin.

Cette production locale rencontre également des limites liées à sa commercialisation. Les ménages sénégalais ont une nette préférence pour la brisure de riz importée d’Asie par rapport au riz local qui se caractérise par de gros grains. Cette préférence alimentaire des foyers sénégalais est liée à la colonisation. Durant cette période, la France distribuait au Sénégal des brisures de riz provenant des rizières d’Indochine. Il faut également noter que le prix de cette brisure de riz est également bien moins élevé que celui du riz local.

Le président français Emmanuel Macron accueille le président sénégalais Macky Sall, le 23 juin 2023, au palais de l’Élysée à Paris, lors d’un sommet pour aider les pays en développement à mieux lutter contre le changement climatique et la pauvreté. (AP Photo/Christophe Ena)

Déjà une profonde instabilité politique

Le Sénégal fait ainsi face ces derniers mois à une profonde instabilité politique. De violentes mobilisations et des émeutes ont éclaté dans les différentes villes du pays en soutien à l’opposant Ousmane Sonko, à la suite de ses récentes condamnations.

Cet opposant cristallise pour ses partisans une politique de rupture avec la gouvernance de Macky Sall par sa dimension souverainiste. Il soutient entre autres une sortie du franc CFA, la réduction du train de vie de l’État et la mise en place d’un fonds patriotique pour financer les petites et moyennes entreprises et les industries nationales.

Des amis et des parents arrivent au cimetière local pour l’enterrement d’Elhaji Cisse, à Dakar, au Sénégal, le 5 juin 2023. Selon la famille, l’étudiant de 26 ans a été abattu par les forces de sécurité alors qu’il se trouvait près d’une manifestation.

La répression policière et l’annonce de la non-reconduction de mandat du président Macky Sall ont permis une accalmie sociale relative, mais le récent emprisonnement de Sonko et la dissolution de son parti fait craindre l’éclosion de nouvelles violences au Sénégal. Selon son parti, l’augmentation des prix est liée à l’incapacité du gouvernement à privilégier les emplois et les entreprises nationales et à mener une lutte contre la corruption et la déperdition des ressources.

L’inflation à la hausse et les restrictions d’importation du riz indien pourraient ainsi devenir un facteur amplificateur des mobilisations en soutien à Ousmane Sonko.

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