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Vue de l'hémicyle où siègent les députés du Parti socialiste, 2013. Mathieu Delmestre/Flickr, CC BY-NC-ND

Avec les députés novices, le rôle déterminant des collaborateurs parlementaires

Les deux dernières élections législatives françaises eurent des dénouements inédits sous la Ve République. Celle de 2017 fut marquée par la victoire d’un parti émergent et l’arrivée massive au Palais Bourbon de députés sans engagement préalable en politique, tandis que la suivante vit la majorité parlementaire sortante être réduite à une majorité relative. De ce fait, l’attention s’est surtout portée sur l’ampleur des renouvellements législatifs (72 % de nouveaux députés en 2017, 52 % en 2022), ainsi que sur les espoirs de transformation du fonctionnement du champ politique, tant ceux d’un « nouveau monde » macronien que ceux d’un fonctionnement proprement parlementaire du régime dans la situation de majorité relative.

Au point d’éclipser le rôle de ceux qui contribuent quotidiennement au travail politique et parlementaire : les collaborateurs parlementaires, salariés dont le travail consiste à épauler le député dans ses différentes activités, tant dans les coulisses du Palais Bourbon qu’en circonscription.

L’étude des entourages des primo-députés permet pourtant de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique, en complexifiant la compréhension de l’action de ces élus et de ses conditions de réussite, et de saisir comment la collaboration parlementaire fut transformée – ou non – par l’irruption de ces nouveaux entrants.

Le questionnement de cette enquête est donc le suivant : les députés novices s’entourent-ils différemment par rapport à leurs collègues plus expérimentés ? La réalisation de biographies collectives, réalisées à partir de LinkedIn, comparant le profil des collaborateurs des XVe et XVIe législatures (2017-2022) et (2022-2027), et la conduite d’entretiens avec des députés élus pour la première fois en juin 2022 permettent d’apporter des éléments de réponses, présentés lors d’un colloque sur le noviciat en politique.

Qui sont les collaborateurs des députés novices ?

Malgré les forts taux de renouvellement lors des élections, les recrutements effectués par les députés en 2017 et 2022 sont conformes à certaines tendances de longs termes. Leurs collaborateurs sont ainsi une population jeune (c’est souvent un premier emploi), diplômée – souvent en droit ou en science politique –, et largement féminisée (autour de 50 %). La taille des équipes est proche de ce qui fut mesuré par le passé, puisque les nouveaux députés avaient en moyenne environ 3,7 collaborateurs, pour un nombre total de collaborateurs approchant rapidement les 2000 individus.

Toutefois, les collaborateurs des députés Rassemblement national élus ou réélus en 2022 se distinguent des autres collaborateurs. En effet, ceux-ci cumulent plus que les autres un mandat électif, notamment de conseiller municipal ou régional, avec leur position de collaborateur : le panel de 95 collaborateurs RN possédait ainsi 54 mandats, contre seulement 24 mandats pour le panel de 142 collaborateurs Renaissance. Cela souligne l’étroitesse du vivier de candidats et de militants du parti, puisqu’un nombre restreint d’individus cumulent les mandats, les candidatures et les positions de collaborateurs.

Mandats possédés par les collaborateurs LREM, LFI et RN en octobre 2022. Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023, Fourni par l'auteur

Le capital culturel possédé par les collaborateurs RN est par ailleurs moindre par rapport à leurs homologues des deux groupes principaux REN et La France Insoumise : environ 85 % des collaborateurs LFI et REN ont un diplôme de niveau au moins bac +5, contre seulement 60 % des collaborateurs RN. L’origine sociale plus populaire des collaborateurs RN montre ainsi que le parti joue un rôle de promotion sociale de ses militants par la collaboration.

Niveau de diplôme des collaborateurs LREM, LFI et RN en septembre 2022 (%). Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023. A.Ghemires, 2023, Fourni par l'auteur

Comment les députés novices choisissent-ils leurs collaborateurs ?

Les entretiens réalisés avec des primo-députés montrent la centralité de certains critères de recrutement : l’obtention d’un diplôme juridique ou en science politique, une expérience dans le travail politique ou parlementaire, la possession d’une expérience militante ou d’une implantation dans la circonscription sont ainsi particulièrement valorisés.

Les collaborateurs parlementaires dans l’ombre des députés, LCI, 2021.

Ces propriétés sont souvent réunies chez les militants ayant pris part à la campagne législative, ce qui explique la fréquence de leur recrutement par les nouveaux députés. Cela permet à l’élu de récompenser les militants l’ayant aidé, tout en ayant pu s’assurer de leurs compétences et de leur loyauté pendant la campagne. La proximité qui en résulte souvent explique que les nouveaux élus tiennent à transposer à leur cabinet parlementaire le fonctionnement souvent consensuel et collectif de l’équipe de campagne, comme un élu insoumis qui décrit son équipe – non sans contradiction – comme une « [coopérative] avec un chef ».

Un rapport différencié au militantisme politique

Selon l’appartenance partisane des élus, on constate un rapport différencié au militantisme politique lors du recrutement des collaborateurs. Les élus de la majorité (Renaissance-MoDem-Horizons) affichent un rapport plus distancié au militantisme politique, alors que les élus d’opposition valorisent davantage l’expérience militante.

Ainsi, les quatre députés LFI interrogés ont recruté exclusivement des militants Insoumis, alors qu’une élue Horizon a recruté une sympathisante Nupes, qui avait cependant participé à sa campagne. Deux conceptions de la collaboration parlementaire s’opposent ici : une conception technocratique et apolitique, largement diffusée à l’intérieur de la majorité, et une conception militante et politique, valorisant davantage les savoirs partisans, plus présente chez les partis à l’identité militante plus forte, notamment à gauche.

Enfin, les primo-députés font des choix différents selon leur expérience en politique. Alors que les élus les plus novices font des choix improvisés et dans l’urgence lors de la constitution de leurs équipes, les élus les plus expérimentés anticipent davantage le recrutement de leur équipe, souvent avant même leur élection, et leurs choix sont plus stratégiques et adaptés aux objectifs poursuivis.

Les nouveaux élus les plus néophytes sont ainsi pénalisés au début de leur mandat par leur méconnaissance de la collaboration parlementaire, contrairement aux néo-députés plus chevronnés qui connaissent mieux le fonctionnement de la collaboration parlementaire.

Le noviciat des collaborateurs

Cependant, le noviciat à l’Assemblée ne concerne pas seulement les députés puisque, parce qu’elle est faiblement formalisée, la position de collaborateur s’apprend largement sur le tas. La découverte des spécificités de cette fonction, comme le rythme soutenu ou la dépendance envers l’élu, peut entraîner des désillusions. Celles-ci sont d’autant plus vives lorsque le collaborateur n’a pas eu d’engagement militant préalable lui ayant permis de se familiariser avec ces aspects du champ politique. C’est le cas de nombre de collaborateurs recrutés après un premier engagement politique lors de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.

Un récit fréquemment entendu dans les couloirs de l’Assemblée raconte le départ massif et rapide de ces collaborateurs novices lors de la première année de la XVe législature. Même si les études disponibles à ce sujet relativisent ce phénomène, les données recueillies confirment en partie ce narratif. Les biographies collectives réalisées montrent que les collaborateurs LREM partis pendant la première année de la XVe législature étaient, par rapport aux collaborateurs restés, plus diplômés, davantage issus du secteur privé (36 % contre 13 %), et qu’ils ont effectué davantage de reconversions dans ce secteur.

Expérience professionnelle des collaborateurs LREM partis ou restés en septembre 2018. Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023, Fourni par l'auteur

Les raisons de ces départs sont nombreuses, mais la distance avec le monde politique semble avoir favorisé le départ rapide des collaborateurs. L’échec des députés novices, qui ne sont pas parvenus à jouer les premiers rôles lors de la précédente législature (2017-2022), peut donc également être imputé au recrutement de collaborateurs inexpérimentés, moins susceptibles de les seconder efficacement. L’organisation de leurs entourages apparaît ainsi plus que jamais déterminante pour la réussite des élus.

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