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Bonheur à l’école : un laboratoire s'empare de la question

Le bien-être des élèves repose sur des relations harmonieuses entre tous les acteurs de l'école. Shutterstock.com/YanLev

Aux États-Unis, la question du bonheur s’invite avec succès dans les amphis. A peine ouvert aux inscriptions début 2018, le nouveau cours de l’Université de Yale, « Psychology and the good life », a vu affluer les étudiants. Au programme du cycle, conçu par Laurie Santos : les bases de la psychologie positive ainsi que sa mise en pratique pour mieux vivre et apprendre. En France, si le milieu académique reste globalement réticent à ces approches, un laboratoire de recherche n’entend pas laisser le monopole de cette réflexion aux livres de « développement personnel ».

Inauguré à l’université de Cergy-Pontoise le 22 mai 2018, ce laboratoire nommé « BONHEURS » compte s’interroger sur les conditions des bonheurs dans les organisations, sans se cantonner à la psychologie positive. Il s’agit d’enchâsser la notion de bien-être dans celle de bonheur et de s’appuyer sur les sciences humaines et sociales, comme le rappelle son intitulé complet : « Bien-être dans les Organisations à l’ère du Numérique pour proposer de nouvelles Habitabilités du monde construisant les conditions d’Émergence d’une Universalité par les Relations et les Savoirs ».

Un défi pour les sciences sociales

Dans une société plus compétitive, où l’on rabat sur les individus les questions politiques et où chaque sujet est pensé comme responsable de ses choix, la question du bonheur s’impose en effet à toutes les organisations. Publiques ou privées, dans le monde de l’éducation ou dans celui du travail, les voilà au défi d’offrir les meilleurs conditions à chaque personne pour favoriser son épanouissement. Mais si l’objectif est incontournable, le champ d’action est bien plus compliqué à délimiter et suscite une multitude d’interrogations.

Doit-on parler de bonheur ou de bonheurs ? À quoi corréler le bonheur singulier ? À des signes physiologiques, de la production d’endorphine, à la longueur des télomères ? Le bonheur de l’individu est-il indépendant de celui des autres ? Ou bien les conditions sociales et culturelles sont-elles les plus prégnantes ? Dans ce cadre, on peut rappeler que l’OCDE a construit un indice de Bonheur Intérieur Brut pour mesurer la qualité de vie de ses pays membres, à partir de onze critères : les revenus, le logement, l’emploi, la santé, la sécurité, la vie en communauté, la gouvernance, l’éducation, l’environnement, le sentiment de satisfaction personnelle, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie de famille.

Il s’agit ainsi de nuancer « les chiffres froids » du produit intérieur brut (PIB). Bref, de définir le niveau de vie en des termes plus psychologiques et holistiques que des statistiques réduites à la production de richesses. Cette notion de « Bonheur Intérieur Brut » a-t-elle vraiment un sens ? Lequel ? Comment alors la mettre en pratique dans le monde professionnel et dans l’éducation ? Quelles sont les interrelations entre bonheur et apprentissages ?

Des études sur le climat scolaire

Évidemment, la question est centrale à l’école. Au moment où, en différents pays occidentaux, le « bien-être » des enfants s’installe à l’ordre du jour des politiques publiques, les travaux abondent dans les domaines de l’économie, de la psychologie, notamment humaniste. Née sous l’impulsion d’Abraham Maslow, dans les années 1940, elle se fonde sur une vision positive de l’être humain et a influencé la sphère éducative.

Dans le contexte français, on dispose de données relatives au ressenti des élèves, des enseignants et très rarement des équipes administratives face à l’école et plus largement à leur environnement proche de travail. Les enquêtes montrent une appréhension négative de l’école chez les enfants français, confirmée encore récemment par les résultats aux enquêtes PISA. Selon l’étude menée par Éric Debarbieux pour l’Unicef en 2011, plus d’un quart des élèves de cycle 3 n’aiment pas beaucoup ou pas du tout l’école. Si l’on se penche sur les comparaisons internationales, la France occupe la vingtième place en ce qui concerne le pourcentage d’élèves de 11 à 15 ans déclarant aimer l’école.

A l’échelle des établissements, le bien-être est perçu au travers du climat scolaire. Loin de se contenter de cumuler des niveaux de bien-être individuels, celui-ci prend en compte les relations entre l’ensemble des protagonistes de l’école. Au lieu de partir des souffrances scolaires – souffrances bien réelles qui mettent à mal la relation pédagogique, l’idée est de renverser la question et de penser avant tout les conditions du mieux-être pour apprendre, enseigner et se former. C’est dans cette approche que compte se situer le nouveau laboratoire de l’Université de Cergy-Pontoise, en se focalisant sur les relations inter-individus et leurs interactions avec des multiples niveaux de l’écosystème, allant de l’environnement familial à l’environnement socio-éducatif, culturel, académique, professionnel.

Priorité à « l’intelligence collective »

L’hypothèse générale du laboratoire est que le bonheur est un apprentissage, où la relation est première. Il ne s’agira pas seulement de se demander quels sont les dispositifs, le mode de production, de création, d’apprentissage mis en œuvre dans les organisations pour mesurer leurs effets (ou pas) sur le bien-être, individuel ou collectif, mais bien d’interroger les dynamiques qui y sont en jeu. On s’appuiera sur un ensemble d’outils conceptuels et méthodologiques visant à tester les conditions de réalisation du bonheur.

Une société inclusive adapte ainsi son fonctionnement général, se transforme et s’ajuste pour donner, dans la communauté, un « chez-soi pour tous » sans gommer les singularités. Elle s’ouvre à toute la diversité, dans une « intelligence collective ». C’est l’objectif du laboratoire d’y œuvrer, d’où le choix de modes de réalisation inédits : un concours d’architecture pour l’école de demain, une université des artistes centrée sur les questions de citoyenneté et de vivre ensemble, une labellisation des écoles du bonheur ou encore l’organisation de « spectacles-recherches », croisant chanson, théâtre et vidéo. Au-delà de nouveaux modes de construction des savoirs, il s’agit aussi de réfléchir à une autre manière de partager les résultats de recherche pour mieux toucher l’ensemble des citoyens et construire une société apprenante.

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