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Un regard sociologique sur les orientations gouvernementales montre les paradoxes de ces campagnes de promotion de la santé par les activités physiques et sportives. Scott Webb / Unsplash

« Bouge 30 minutes chaque jour » : la campagne manque-t-elle sa cible ?

« Bouge 30 minutes chaque jour ! », tel est le slogan de la Grande cause nationale 2024, récemment dévoilée par la ministre des Sports, et massivement diffusé par les médias, avec des ambassadeurs sportifs de renom. L’argumentaire est clair : la sédentarité est le mal du siècle et augmente le risque de décès prématurés de 20 à 30 %. Pratiquer une activité physique régulière est essentiel pour prévenir les pathologies chroniques et les accidents cardiaques et cérébraux, mais aussi pour préserver la santé mentale. Des recherches biomédicales très développées en attestent, avec un niveau de preuve très élevé.

Pour autant, un regard sociologique sur ces orientations gouvernementales montre les paradoxes de ces campagnes de promotion de la santé par les activités physiques et sportives. Là aussi, la littérature scientifique est très avancée, mais malheureusement peu prise en compte.

Entrepreneur de sa santé

Les campagnes de communication privilégiées par l’État posent question. Leur vision de la prévention est à questionner. La démarche proposée est basée sur les théories du changement comportemental : la motivation individuelle est au cœur du processus. Il s’agit de convaincre et mobiliser le sujet afin de créer des routines personnelles pour changer de modes de vie. L’idée est d’amener la population à se prendre en charge, à être entrepreneuse de soi-même pour chaque jour intégrer l’activité physique et/ou le sport dans son emploi du temps. L’auto-responsabilisation est de mise, avec son corollaire, la culpabilisation.

Nos enquêtes dans plusieurs pays européens révèlent la diffusion de ce paradigme gestionnaire, très éloigné de la vie quotidienne des populations socialement défavorisées (celles qu’il faut convaincre en priorité), souvent débordées par l’urgence du quotidien.

Cette vision néo-libérale, qui irrigue les hautes sphères gouvernementales de la plupart des pays occidentaux, privilégie des campagnes de communication généralistes, notamment des spots publicitaires dans les grands médias (en déléguant l’action de l’État à des entreprises de communication privées). Là où L’État pourrait avoir une approche privilégiant des actions de proximité, il choisit une action par le haut et déplace la responsabilité vers les populations, appelées à se prendre en charge. Cette approche se révèle souvent improductive.

Pour aller plus loin, un documentaire Arte éclairant.

Un message peu clair et inefficace ?

Tout d’abord, l’ambiguïté demeure dans la définition des termes : sport et/ou activité physique. Les messages sont constamment brouillés. D’un côté, l’activité physique quotidienne est préconisée dans sa version la plus large : mobilités, ménage, jardinage. De l’autre, les bienfaits du sport sont également défendus par des champions, dont le niveau de pratique et le mode de vie sont inaccessibles pour la grande majorité de la population.

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Certes, la pratique sportive est en hausse en France (60 % en 2023 contre 54 % en 2018), mais les inégalités sociales et territoriales restent très fortes. Le sport demeure très éloigné des modes de vie des populations sédentaires, souvent marquées par des expériences sportives désagréables (à l’école ou en club) ou socialement défavorisées.

Le sport reste en effet moins accessible pour les classes populaires, notamment chez les femmes. Les personnes que nous avons interrogées connaissent parfois les slogans, mais ont des difficultés à les appliquer au jour le jour : les urgences du quotidien (travail, alimentation, transport, aide aux devoirs) priment. Une mère de famille interviewée dans un quartier populaire de Strasbourg précise :

“J’essaie d’y aller, au fitness… j’ai failli y aller aujourd’hui, mais bon j’avais aussi les lessives. Toutes ces choses, pour qu’après la semaine, j’arrive à suivre le rythme normal !”

Dès lors, même si les messages sont répétés continuellement, notamment lors d’événements promotionnels (challenges sportifs, collecte de matériels, festivals, etc.), comme pour les appels à la consommation de fruits et de légumes, ces slogans peinent à être appliqués, surtout par les populations éloignées des modes de vie sain défendus. Comme le montrent nos enquêtes dans quatre pays européens, seuls les plus avertis, déjà actifs, intègrent finalement les messages de santé publique.


Read more: « 30 minutes d'activité physique » à l’école : un dispositif contre la sédentarité à questionner


Des solutions existent !

La démarche de promotion de la santé par les activités physiques doit prendre en compte les modes de vie difficiles des personnes sédentaires : des freins culturels, économiques et environnementaux sont à lever. La question des équipements de proximité est cruciale : le manque d’équipements sportifs est criant, notamment dans les grandes agglomérations. Le soutien de l’entourage et l’accompagnement par des professionnels de l’activité physique bien formés (à l’université) est primordiale. Le tissu associatif local doit être mobilisé dans la durée.

Un programme de recherche européen sur la promotion de la santé par l’activité physique et leur réception par les classes populaires.

Il est indispensable donc de valoriser une approche territorialisée, de partir des ressources locales pour construire des projets locaux de développement de l’activité physique et sportive pour toutes et tous (la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France, prévoit le développement de plans sportifs locaux). Les recherches-formations collaboratives menées en Seine-Saint-Denis (Profession banlieue) ou en Alsace (Les Olympiades des ainés) ouvrent de belles perspectives. L’idée est de créer des environnements physiques et humains favorables à la pratique du plus grand nombre.

A ce niveau, la participation sociale des populations locales est à intégrer dans les dispositifs innovants. Il convient de construire des eco-systèmes reliant toutes les parties prenantes dans chaque ville ou communauté de communes rurales. L’aménagement urbain peut ainsi être combiné à la mobilisation des associations, mais aussi des habitants. Des expérimentations sont en cours, comme à Saint Dizier.

Bien que critiques, les travaux sociologiques sont aussi forces de propositions pour faire de la promotion des activités physiques une grande cause nationale réussie. Néanmoins, un changement de perspective est indispensable pour lever les paradoxes mis en avant. Les solutions existent. Une vision écosystémique et territorialisée est à organiser en mobilisant les collectivités locales, les clubs sportifs, les associations socioculturelles, les entreprises et surtout les populations. Cette démarche pourrait même être un héritage des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. La balle est dans le camp des élus locaux pour agir au plus près des populations.

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