Comment nous forger une opinion sur des sujets de société dont nous ignorons tout, mais qui dessinent au travers de projets de lois, puis de lois des choix de société. Des choix qui conditionnent nos lendemains ?
Avant l’Internet, les éléments de compréhension étaient (et demeurent) majoritairement distillés au grand public à grand renfort « d’experts » et d’acteurs concernés. Sur un sujet de société, ces « experts » sont sélectionnés par les médias de masse, dont la télévision. Plus encore, en mélangeant – intentionnellement ou non – leader d’opinion et expert, la simple notoriété d’un individu peut même parfois être considérée comme un critère d’expertise à même de faire basculer une opinion publique.
Le débat sur Le projet de loi relatif au renseignement s’est, dans la configuration décrite, transformé en une sorte de monologue d’État. Lors de la préparation du projet de loi de véritables spécialistes tenteront via Internet de porter à connaissance de tous et toutes la réalité de ce projet. Ils offriront à tous et toutes la possibilité d’appeler alors leurs députés en connaissance de faits (cf. « Mème Internet »). Des personnalités incontestables tenteront, elles aussi, d’alerter sur la précipitation du législateur et le manque de cadre. Les uns comme les autres resteront tenus à l’écart des médias de masse, de la télévision en particulier. Le projet de loi relatif au renseignement sera finalement adopté par les deux assemblées et validé par le Conseil constitutionnel.
« Sacrifier des droits humains fondamentaux sur l’autel de l’inefficacité dans la lutte contre le terrorisme. J’ai toujours du mal à comprendre qui sont les vainqueurs ? »
En France comme ailleurs, le monopole d’une argumentation par un pouvoir, par des acteurs pouvant tirer financièrement bénéfice d’une loi, relève d’un simulacre de débat public. Le mot qui définit de telles pratiques : propagande.
Si en tant que citoyen ou représentants du peuple, nous ne sommes exposés qu’à un seul son de cloche : la parole du porteur d’un projet de société et la parole d’acteurs pouvant financièrement en tirer bénéfices, il y a un biais démocratique. On me concédera qu’il est peu vraisemblable qu’ils en évoquent les limites ! Comment se faire un avis propre ? Comment pouvoir prendre position de façon éclairée ?
« Avant que de juger écoutez les parties » dit un proverbe français… encore faut-il que toutes les parties puissent s’exprimer et argumenter de façon équitable. »
Qui suis-je pour juger ?
Personnellement je suis enseignant-chercheur. Je dispose d’un savoir. Je ne détiens pas la vérité vraie. Ce savoir me permet de poser des questions qui me semblent pertinentes au nom de ceux qui – parce que ce n’est pas leur domaine – ne le peuvent pas ! Comprenez-moi bien : personnellement, je ne connais rien en mécanique. Je saurais gré à un mécanicien de m’expliquer les mensonges d’un constructeur qui mettrait ma vie en péril.
Je ne connais également strictement rien en agronomie, de la même manière je serai reconnaissant que des agronomes m’explicite les couleuvres que des lobbys voudraient me faire avaler, etc., etc. Comment me faire une opinion si les agronomes sont laissés au placard du débat public, si aucun ingénieur en mécanique ne m’explicite, en des termes simples, la situation ?
Qui sommes-nous pour améliorer notre capacité à juger ?
Nous sommes :
Des citoyens des citoyennes, un collectif et une communauté mondiale de savoir distincts.
Des citoyens qui peuvent désormais, s’ils ont une légitimité dans le domaine concerné, s’ils le souhaitent, éclairer le débat public, et donner à voir et à savoir aux autres, au-delà des éléments de compréhension qu’apportent les médias de masse ! Si ces derniers « oublient » malencontreusement de les inviter.
Des citoyens qui peuvent expliciter au monde les tenants et aboutissants de telles ou telles décisions spécifiques se traduisant – souvent – par des lois qui impliquent et impactent le collectif.
L’hacktivisme technologique : un indispensable garde-fou démocratique…
Les gouvernances de pays, dont la France – se réclamant de la liberté et de la justice – lorsqu’elles s’attaquent à des libertés humaines fondamentales, elles sont bien en peine de le justifier ! Une information unilatérale simpliste, l’agitation du chiffon rouge de la peur, l’état de stupeur de la population, se conjugue à la nécessité de « faire quelque chose » (quitte à faire pour ce qui concerne Internet n’importe quoi). Cela aura été, dans le cadre de la loi relative au renseignement, confortable pour rendre acceptables certains points inacceptables. Un débat argumenté, à heure de grande écoute,intégrant des contradicteurs légitimes : constitutionnalistes, experts en IA, experts du renseignement (cf. Jean Marie Delarue…) n’aurait pas pu occulter au grand public tous les points qui précarisent l’état de droit. Cela aurait permis à tous et toutes, de l’élu au citoyen, de pouvoir prendre position de façon réellement éclairée, avant de jouer en aveugle aux apprentis sorciers.
En ces périodes troubles, le triptyque « démocratie, état de droit, terrorisme » est chaque jour au cœur du débat. C’est un combat d’autant plus important que certains cyniques pourraient avoir la tentation d’une démocratie qui s’émanciperait progressivement de l’état de droit ; autant dire la porte ouverte à un totalitarisme prétendument salvateur et protecteur !
Les faux amis de la liberté à l’heure de l’informatisation planétaire
C’est dans ce type de configuration – ici sur le terrain de la technologie – que l’Hacktivisme est un droit citoyen. Il ne s’agit pas d’avoir tort ou raison, mais d’expliciter avec pédagogie à ceux et celles qui ne savent pas, en exposant les faits avec rigueur. Il est indispensable que tous les citoyens puissent prendre la mesure des tenants et aboutissants des lois et projets de loi qui s’entassent, et ce, quelle que soit la thématique.
Dans le domaine qui me concerne, je note qu’aujourd’hui « technologies et démocraties » sont devenues intimement liées. L’enjeu est de taille. Il s’agit de mettre la technologie au service de l’évolution de la démocratie tout en tenant compte d’un environnement chaotique. Combattre toute forme de régression injustifiée relève d’un choix de société conforme aux valeurs qu’elle affiche au Monde. C’est dans ce « combat » d’information que l’hacktiviste technologique trouve sa légitimité.
Celui ou celle qui sait se devrait, s’il dispose de temps pour les autres, de mettre son savoir – qui n’est pas le synonyme de vérité – au service des autres pour permettre à chacun de se forger sa propre opinion. C’est précisément ce qu’a fait La Quadrature du Net en initiant le « Mème Internet » : action de groupe contre les GAFAM.
L’hacktivisme technologique n’est qu’une forme d’hacktivisme parmi d’autres. L’objectif, dans quelque domaine que ce soit, est que chacun d’entre nous puisse être doté des clés de lectures lui permettant de se déterminer, et de pouvoir exercer son rôle de citoyen en toute connaissance de cause.
Dans le domaine de l’hacktivsime technologique Le projet de loi sur les fake news est un nouveau combat en approche. Il nécessitera des explications, de la pédagogie, pour porter à connaissance des éléments, des arguments, des faits, qui différeront fort vraisemblablement de ceux et celles qu’avanceront les porteurs de ce projet. Pour ma part – au gré de ses évolutions – à mon niveau, avec mes connaissances, je rappellerais inlassablement des faits : son inutilité juridique avérée, la mise en danger de toute forme de journalisme d’investigation qui laisserait alors le champs libre – en cas de dérive – à la mise en place d’une censure d’état inédite dans le pays de la liberté d’expression.
Moi comme d’autres, nous continuerons d’informer et d’expliciter l’arbitraire dont disposerait un pouvoir et ses services administratifs à même de décider de ce qui est vrai et de ce qui est faux. Un pouvoir, quel qu’il soit, qui aurait prétention à se substituer à l’intelligence et à la capacité de discernement des citoyens qu’il gouverne, à imposer sa vérité selon ses propres critères, pour imposer à tous et toutes son seul point de vue : celui qu’il jugera acceptable, cela ne refléterait pas l’exercice du pouvoir dans un cadre démocratique.
Ce mode de fonctionnement s’apparenterait à une violence psychologique grave et inédite sur les individus niant, de surcroît, un droit français existant, nécessaire et suffisant :
« Le délit de diffusion de fausse nouvelle ou de fausses informations est une infraction en droit pénal français prévue par de nombreux textes de lois, dont notamment ː
– L’article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.
– L’article 322-14 du code pénal (modifié par l’ordonnance du 19 septembre 2000) lié à la Loi n° 92-685 du 22 juillet 1992.
– L’article L.97 du Code électoral.
– L’article L465-1 du code monétaire et financier, modifié par la Loi n° 2016-819 du 21 juin 2016.Elle peut être également être liée, voire associée à la diffamation et à la calomnie (dénonciation calomnieuse, parfois dite dénonciation de crime imaginaire), deux autres types de délits relavant également du code pénal. »
Ce mode de fonctionnement nierait, qui plus est, la capacité de jugement de l’individu. Cela s’apparenterait alors, ni plus ni moins, au mode de fonctionnement d’une secte détentrice de la vérité vraie.
« Nul au monde n’a puissance sur le jugement intérieur ; si l’on peut te forcer à dire en plein jour qu’il fait nuit, nulle puissance ne peut te forcer à le penser. » (Alain)
À suivre