La désindividuation : ce mal des siècles
Pour Léon Festinger (1919-1989), Albert Pepitone (1925-2016) (psychologue social renommé et professeur émérite à l’Université de Pennsylvanie) et Theodore Newcomb (1903-1984) la désindividuation est le fait d’être dans un grand groupe ou dans une foule (donc anonyme) et être amené à adopter des comportements antisociaux. C’est une perte de la conscience de soi qui conduit à la perte du sentiment de responsabilité personnelle.
La désindividuation dépasse largement les simples phénomènes de foules tels qu’on peut les observer dans les émeutes urbaines, les matchs de football qui dégénèrent, les manifestations qui dérapent avec leur lot de grands révolutionnaires, comme peut l’être un père de famille, une étudiante en philosophie… sans histoire jusqu’alors qui s’attaquent soudainement avec un héroïque courage de décérébré à des abribus arrogants !
La désindividuation peut s’avérer bien plus dangereuse qu’un épiphénomène s’inscrivant dans une temporalité restreinte. La désindividuation peut relever d’une responsabilité collective de masse (à l’échelle d’un état suivi par une majorité de sa population) qui s’abrite alors derrière la reconstruction d’une morale immorale légitimant tous les excès ! La désindividuation n’est pas la seule résultante d’une dérive soudaine. Elle peut l’être dans le cadre d’une manifestation et toucher un quantitatif d’individus restreint, elle ne l’est plus lorsqu’il s’agit d’un peuple ! Elle se construit alors pas à pas, la propagande s’appuyant sur l’ignorance en étant un des leviers. Elle peut toucher, si ce n’est tout un pays, du moins une majorité de ses concitoyens en marginalisant les autres.
Une époque chahutée à la merci de la désindividuation
Lorsque le terreau d’une époque se prête à cultiver et exacerber les nationalismes les plus exaltés : crise économique, terrorisme, migration de masse… la désindividuation peut rapidement contaminer toute une population. C’est une véritable pandémie qui peut s’abattre sur tout un peuple prêt à soutenir toutes les absurdités, toutes les folies, toutes les monstruosités, quitte, pour penser garder figure humaine à trouver une raison et des justifications à un déplacement collectif du curseur de la moralité.
Notons que lorsque j’évoque ce monstre à l’affût, il sera toujours un interlocuteur pour me qualifier de « bien-pensant ». J’anticipe sans me défausser : à tout prendre, n’est-il pas plus glorieux d’être « bien-pensant » que « mal-pensant » ?
Gardons à l’esprit que pour les gouvernances, l’opinion fait depuis des années office de vérité, fut-ce au prix des mensonges les plus éhontés !
Je rappellerai donc, à toutes fins utiles, que c’est bien le principe de désindividuation d’une majorité de citoyens qui est à l’origine de toutes les pires horreurs qu’a eues à affronter notre humanité. Le génocide orchestré par Hitler et ses sinistres sbires, des Juifs, des Tziganes, des Homosexuels, des Opposants… a été d’abord soutenu par une partie du peuple allemand ! Puis l’extermination méthodique sera soutenue par la suite par une partie de la population des pays conquis. Combien de monstres, combien de complices, hier comme aujourd’hui ou comme demain, justifieront leur inhumanité par des phrases ineptes comme : « Après tout ne l’avaient-ils pas bien cherché ? »
Le cautionnement de ces atrocités relève dans l’exemple du génocide hitlérien de ce principe de désindividuation poussé à son paroxysme.
Combattre la désindividuation : de la différence entre hier et aujourd’hui
Une particularité notable de l’époque sera pour de nombreux Allemands, leur impossibilité de manifester et d’exprimer leur non-adhésion à cette immonde folie, si ce n’est par leur tentative de soustraction à la participation à cette responsabilité (irresponsabilité) collective qui leur était infligée. Pour nombre d’entre eux, dès lors qu’ils se retrouvaient contraints, ils choisissaient… la mort. Tout sauf la vie, plutôt que de porter le reste de leur vie leur fardeau insurmontable que d’avoir contribué à l’horreur, d’avoir aidé d’une quelconque façon cette sombre plongée en inhumanité. Se donner la mort alors plutôt que de ne prendre une seule vie innocente.
Les seuls en mesure d’exprimer leur refus à adhérer seront des figures de l’époque, des gens illustres pouvant le faire avec les moyens de l’époque, journaux, films, ouvrages… parce qu’à l’abri et hors de portée de toute forme de répression. Certains le feront parfois avec une profonde tristesse, non pas de s’exprimer, non pas de dénoncer, mais d’être « glorifiés » tout en étant à l’abri de l’horreur en action. C’est une situation que vivra, de mon point de vue, avec douleur un écrivain comme Stephan Zweig
Hacktivisme : l’opposant planétaire et salvateur à la désindividuation
Voilà pourquoi l’hacktivisme éthique, les « mèmes Internet » que j’ai pu évoquer sont des garde-fous qui laissent la possibilité à toutes et à tous de s’opposer à ces processus de désindividuation lorsqu’ils s’enclenchent. C’est une ligne de vie et de survie salvatrice de notre humanité qu’il est impérieux de préserver.
« Aime le peuple, évite la foule ». (Franz Liszt)
A suivre