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Cerveau et encéphalographie chez un patient épileptique pendant une crise
L’épilepsie se caractéristique principalement par la présence apparemment spontanée et récurrente de crises, souvent déclenchées par le stress ou un stimuli visuel. (Shutterstock)

Ce que l’épilepsie nous enseigne sur la diversité et la résilience

De nos jours, on reconnaît de plus en plus l’importance de l’équité, de la diversité et de l’inclusion au sein de la société et de ses institutions. Les organisations de pointe les plus progressistes considèrent que la diversité des personnes est essentielle au succès, à la croissance, à la capacité d’innovation et au développement d’une société.

Les avantages liés à la diversité sont toutefois bien loin d’être exclusifs aux organisations humaines ; l’hétérogénéité et la variabilité sont les principes de conception centraux à tous les systèmes naturels complexes, qu’il s’agisse de réseaux écologiques, cellulaires ou génétiques.

Qu’on parle d’un écosystème, de la société ou du cerveau, quel est le lien qui relie cette diversité au fonctionnement et à la stabilité d’un système complexe ?

En tant que chercheurs en neurosciences, nos recherches interdisciplinaires et nos travaux cliniques nous ont poussés vers l’incroyable complexité et la richesse du cerveau humain et des systèmes naturels. Nous cherchons non seulement à mieux comprendre le fonctionnement des circuits du cerveau, mais aussi à développer de nouveaux traitements pour les maladies neurologiques telles que l’épilepsie.

Diversité rime avec résilience

Ayant d’abord été élaboré par Darwin, le concept à l’effet que la diversité engendre la stabilité et la survie a été débattu par des scientifiques issus de nombreuses disciplines depuis plus d’un siècle. La capacité des systèmes naturels à résister face aux changements est une caractéristique que l’on appelle la résilience. Cette caractéristique fondamentale émerge des interactions entre les membres d’un même système (par exemple, les espèces d’un écosystème, les individus d’un groupe, les cellules d’un organisme) et lui permet de maintenir ses fonctions au fil du temps.

Le changement met à l’épreuve la résilience. Certains écosystèmes peuvent s’adapter à l’extinction d’espèces spécifiques ou à la sécheresse. Certaines communautés virtuelles ou réseaux sociaux peuvent résister à des cyberattaques. Certaines organisations peuvent poursuivre leurs activités à la suite de conflits, guerres, révolutions politiques ou… pandémies. À la lumière de ces exemples courants et de nombreux autres liés aux sciences sociales ou naturelles, il est aujourd’hui plus important que jamais de comprendre le rôle joué par la diversité dans le maintien de la résilience des systèmes complexes.

Et si des pistes de réponse se trouvaient dans les circuits du cerveau, plus spécifiquement dans un cerveau atteint d’épilepsie ?

Basculer dans une tempête électrique

Afin de mieux comprendre, remontons un peu en arrière… Depuis plusieurs années, notre équipe interdisciplinaire étudie l’épilepsie, le désordre neurologique grave le plus fréquent. L’épilepsie se caractéristique principalement par la présence apparemment spontanée et récurrente de crises, souvent déclenchées par le stress ou un stimulus visuel (comme des lumières clignotantes ou des images spécifiques). Des recherches récentes ont aussi démontré que la fréquence de ces crises pouvait varier avec le moment du jour ou du mois, en fonction du rythme circadien (cycle éveil-sommeil), par exemple.

femme se tient contre un mur d’une main et se tient la tête de l’autre alors qu’elle semble avoir un malaise
L’épilepsie représente le désordre neurologique grave le plus fréquent. (Shutterstock)

Sous cet angle, un cerveau atteint d’épilepsie peut être vu comme fragile et peu résilient, basculant régulièrement dans une tempête électrique. Ainsi, plutôt que de s’adapter normalement aux changements, les neurones deviennent disproportionnellement actifs et synchrones, et l’activité électrique intense qui en résulte se propage en perturbant les fonctions cérébrales.

Des neurones moins diversifiés

En raison des conséquences importantes de ces crises sur les patients et leurs familles, notre équipe a étudié sans relâche les circuits responsables de leur déclenchement et explore des moyens susceptibles de les prévenir.

Quel rapport y a-t-il entre la diversité et l’épilepsie ? Notre équipe a récemment mesuré l’activité des neurones chez des personnes souffrant d’épilepsie. Nous avons alors remarqué que les neurones situés dans les régions du cerveau responsables du déclenchement des crises d’épilepsie étaient beaucoup moins diversifiés que ceux des régions non responsables de celles-ci. Ces neurones étaient étrangement similaires les uns aux autres, présentant des caractéristiques et des réponses hautement semblables.

Cette absence de diversité pourrait-elle expliquer pourquoi les cerveaux sujets aux crises sont moins résilients ?

Des modèles mathématiques à la rescousse

Afin de répondre à cette question complexe, nous nous sommes tournés vers les mathématiques. Et si, par l’entremise de modèles mathématiques des circuits cérébraux, nous pouvions comprendre comment la diversité des neurones (ou l’absence de celle-ci) prédispose le cerveau aux crises ? Pourrions-nous déterminer si la diversité neuronale accroît la résilience dans le cerveau ? Ces modèles de réseaux de neurones nous permettent non seulement de simuler des crises et étudier leur fonctionnement, mais aussi de varier le niveau de diversité exprimé par nos neurones simulés. Ces équations représentent donc un outil irremplaçable pour mieux comprendre le rôle le la diversité cellulaire dans le fonctionnement du cerveau.

Ces équations ont révélé que lorsque la diversité est trop faible ou absente, une forme d’activité rappelant des crises d’épilepsie apparaît spontanément, sujette à des changements soudains de synchronisation, rappelant ce que l’on observe lors de crises. Ces résultats sont sans équivoque : un niveau réduit de diversité fragilise ces circuits neuronaux, les rendant peu résilients et incapables de maintenir le type d’activité nécessaire au maintien des fonctions cérébrales.

Que peut-on conclure de ces résultats ? Ils aident à clarifier le rôle joué par la diversité et les différents types de neurones dans le maintien des fonctions cérébrales. Ils nous apportent un regard nouveau sur les maladies neurologiques telles que l’épilepsie, pavant potentiellement la voie à de nouvelles avenues de traitement de ces maladies.

L’utilisation des mathématiques nous permet aussi d’approfondir certaines questions demeurant sans réponse : y a-t-il un niveau optimal de diversité ? Quels sont les différents types de diversité (types de neurones, pluralité d’agencements parmi les connexions qui les relient) et quel est leur rôle dans l’activité du cerveau ? Pourrions-nous augmenter la résilience du cerveau en promouvant la diversité cellulaire, au moyen de la neurostimulation, par exemple ?

Avant tout, nos résultats constituent un rappel frappant du rôle primordial que joue la diversité dans la solidité des systèmes naturels face au changement ; cette vérité ne s’applique pas qu’aux neurones et aux circuits neuronaux, mais aussi aux humains et aux collectivités.

Comme quoi, la diversité est le sel de la vie.


Nous remercions Catherine Barrette pour la traduction de l’article.

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