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Ce que les molécules d’eau nous apprennent des cyclones tropicaux

Une personne traversant la rue sous la pluie battante
Le 30 septembre 2022 à Charleston (États-Unis), les piétons affrontent les pluies provoquées par l’ouragan Ian. SCOTT OLSON/Getty Images via AFP

Les cyclones sont des exemples spectaculaires d’orages regroupés et organisés sur plusieurs centaines de kilomètres. Ils possèdent une structure spécifique avec généralement au centre du système une zone de très basse pression, relativement calme et dépourvue de pluie, qu’on appelle l’œil du cyclone. Ce dernier est entouré par des masses nuageuses – le mur de l’œil – où le vent et la pluie sont à leur apogée. Au-delà, des bandes nuageuses s’enroulent en spirale autour du centre.

Les cyclones se forment au-dessus des océans tropicaux entre 5° et 20° de latitude environ pour profiter d’une force de Coriolis assez forte, nécessaire à leur développement. Plusieurs conditions météorologiques doivent aussi être réunies : une température de la mer supérieure à 26 °C sur près de 60 mètres de profondeur, la préexistence d’une dépression atmosphérique, et des conditions de vent, de température et d’humidité en altitude propices.

C’est seulement depuis les années 1980, quand s’est ouverte l’ère des satellites, que l’on peut regarder correctement les cyclones. Une période d’observations statistiquement courte pour parler avec un niveau de confiance élevé de l’évolution des cyclones dans un climat qui se réchauffe – d’autant qu’il s’agit de phénomènes qui restent rares (quelques dizaines par an).

Dans un climat plus chaud, se pose alors la question de savoir comment ces phénomènes météorologiques extrêmes vont évoluer et avec quels risques associés pour les territoires concernés.

Un risque cyclonique en progression

Sur les quarante dernières années, le nombre de cyclones observés à la surface des océans est stable, sauf dans l’Atlantique Nord où une légère augmentation est à mettre en relation avec la variabilité naturelle de notre climat.

Un homme porte un sac contenant de la nourriture à Batabano, dans la province de Mayabeque à Cuba, le 26 septembre 2022, avant l’arrivée de l’ouragan Ian. AFP

Les projections climatiques réalisées par les modèles numériques couplés océan-atmosphère à haute résolution (50 kilomètres) indiquent que le nombre global de tempêtes et de cyclones devraient rester constant dans un climat plus chaud mais qu’il devrait y avoir davantage de cyclones plus violents de catégorie 4 à 5 – et donc moins de cyclones de catégorie 1 à 2. Apparaît aussi un possible élargissement – de quelques degrés en latitude – vers les pôles des zones de genèse des cyclones.

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Ce qui est certain, c’est l’augmentation des quantités de pluie lors de tels événements, du fait de la capacité d’une atmosphère plus chaude à stocker davantage d’eau (pour 1 °C de réchauffement, notre atmosphère peut stocker 7 % d’eau en plus).

Plusieurs facteurs de vulnérabilité

Plusieurs raisons expliquent l’augmentation à venir de notre exposition et de notre vulnérabilité au risque cyclonique.

Les populations et les biens situés en zones exposées sont tout d’abord en croissance, en particulier sur les littoraux (les projections socioéconomiques réalisées pour les études de l’impact du changement climatique montrent une progression de la population mondiale vivant dans des zones côtières de basses altitudes d’ici 2050).

Ensuite, la hausse globale du niveau des mers va venir renforcer le phénomène de surcote (montée brutale du niveau de la mer à cause de l’effet dépressionnaire des cyclones) et provoquer des submersions marines majeures (par exemple, plus de 3 mètres de surcote ont été observés au nord de Saint-Martin pendant le cyclone Irma en septembre 2017).

Des personnes fuyant leur domicile, à Beira au Mozambique, après le passage du cyclone tropical Idai. Denis Onyodi/IFRC, Author provided

S’ajoute à cela la dégradation des milieux naturels comme les mangroves et les cordons littoraux, lesquels ont un effet protecteur sur les petites îles en limitant par exemple la forte pénétration des vagues.

En parallèle, les quantités de pluie augmentent alors que leur gestion est aujourd’hui inexistante dans beaucoup de régions.

Enfin, la probabilité d’événements plus intenses et donc de vents plus violents progresse : la dernière mesure enregistrée pendant le cyclone Irma avant l’arrêt de la station de mesures à St Barthélémy est de 244 km/h, 30 à 45 min avant l’arrivée du mur de l’œil où les vents sont maximum (source : bilan Météo-France d’Irma sur les Antilles). Cela rend vraisemblable l’occurrence de rafales au-delà de 300 km/h.

Des phénomènes tropicaux mal compris

Les cyclones ont donc des effets dévastateurs sur les territoires : le coût des dégâts d’un cyclone peut atteindre quelques dizaines à quelques centaines de milliards d’euros.

Des projets farfelus se sont attachés à tenter de les détruire mais sans succès. Rappelons que les cyclones ont une utilité, puisqu’ils transportent un peu de la chaleur accumulée par les océans tropicaux pendant l’été vers les pôles, participant ainsi à la redistribution de la chaleur à la surface de la Terre entre les régions tropicales excédentaires en énergie et les pôles déficitaires. Il est donc important de bien les comprendre pour mieux s’en protéger et être plus résilient face à leur intensification future.

Une large communauté regroupant des météorologues, des physiciens de l’atmosphère, des hydrologues, des cartographes, des géographes, des économistes et des urbanistes travaillent sur les cyclones et leurs effets sur les territoires. Avec l’objectif de mieux prévoir la trajectoire, l’intensité et l’impact d’un cyclone sur les sociétés, les écosystèmes et les paysages.

Pour le climatologue, il s’agit notamment de mieux appréhender la physique de ces phénomènes : outre le manque d’observations sur les océans et la limitation des modèles numériques, il reste un manque de connaissance sur les processus physiques clés en jeu dans la formation, la propagation et l’intensification de ces phénomènes. Nos recherches abordent cette problématique de manière originale, en étudiant les petites différences qui peuvent exister entre les molécules d’eau dans la pluie et la vapeur d’eau atmosphérique.

Faire parler les molécules d’eau

La molécule d’eau se constitue d’un atome d’oxygène et de deux atomes d’hydrogène. Les éléments oxygène et hydrogène possèdent naturellement des formes qui diffèrent (dites isotopes) par le nombre de particules neutres dans leur noyau (appelées neutron). Le noyau de l’atome d’oxygène contient 16 neutrons, mais certaines formes rares vont avoir 18 neutrons.

Similairement, certains atomes d’hydrogène vont en posséder 2 – ils sont alors appelés deutérium – au lieu d’un seul dans la forme la plus répandue. Il en résulte des formes différentes des molécules d’eau : certaines seront plus lourdes si elles détiennent un atome d’oxygène 18 ou de deutérium, d’autres deviendront asymétriques si un atome de deutérium se substitue à un atome d’hydrogène.

Ces molécules vont avoir des comportements distincts lors de processus tels que la formation des gouttes de pluie, l’apparition de cristaux de glace au sommet des nuages, ou l’évaporation partielle de la pluie lors de sa chute. Les molécules lourdes auront ainsi tendance à résister à l’évaporation et à rester dans la goutte de pluie.

Cela permet donc d’étudier ces processus qui participent au maintien, à l’intensification et à la propagation des cyclones en regardant comment évolue la proportion relative de toutes ces molécules dans la pluie et dans la vapeur d’eau lorsqu’un cyclone passe.

Pluie et vapeur d’eau sur l’île de La Réunion

Nous avons ainsi suivi la composition isotopique des pluies et de la vapeur d’eau sur l’île de la Réunion à l’Observatoire de physique de l’atmosphère de La Réunion (OPAR) depuis la fin de l’année 2014. Une petite vingtaine de cyclones a été échantillonnée.

Instrument mesurant en continu le contenu isotopique de la vapeur d’eau atmosphérique à La Réunion. F. Vimeux/IRD

L’analyse de ces observations isotopiques nous renseigne sur les processus nuageux à l’œuvre et sur les interactions entre le cyclone et son environnement. Par exemple, nous avons détecté la très forte présence du phénomène d’évaporation partielle des gouttelettes de pluies formées dans les bandes nuageuses spiralées. Ce processus est connu pour intervenir dans le maintien et l’intensification des phénomènes orageux convectifs.

L’apport de ces recherches est de pointer l’importance de représenter très correctement ces processus physiques dans les modèles numériques de prévision. Ces travaux apportent ainsi des informations complémentaires aux observations de grandes échelles ou à celles in situ dans les cyclones via des drones ou des avions.


Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition aura pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.

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