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Ce que nous apprend le débat sur la fermeture des librairies

Une librairie fermée, à Paris, novembre 2020. AFP

A la suite du second confinement, annoncé sans grande surprise le 30 octobre dernier, la fermeture des commerces dits « non essentiels » a engendré de nombreuses levées de boucliers, aussi bien de la part les libraires, menés par le Syndicat de la Librairie Française, que de la part des Français.

L’enjeu de la discorde : les librairies, commerces non essentiels, doivent fermer leurs portes quand les grandes surfaces et les grands magasins spécialisés comme la Fnac restent ouverts, mettant ainsi en évidence une inégalité de traitement à l’égard des petits commerces.

L’annonce, quelques jours plus tard, de la fermeture de l’ensemble des rayons livres (y compris dans les grandes surfaces) n’a pas apaisé les débats, bien au contraire. Les réseaux sociaux croulent depuis sous les photos de librairies fermées et de rayons livres bâchés et vidés, symboles d’une censure de la Culture.

Comment expliquer l’ampleur de ces réactions passionnées ?

Le livre, une singularité à la française

Le livre est-il un bien essentiel ? Avec l’appui du Syndicat de la Librairie Française, de nombreux auteurs défendent cette idée.

Des personnalités telles que Joann Sfar, David Foenkinos, François Busnel ou Riad Sattouf se sont engagées en postant de nombreux messages sur les réseaux sociaux, en signant des tribunes et une pétition pour le maintien de l’ouverture des librairies.

La Belgique, elle, a inscrit le livre dans la liste des biens essentiels et les librairies échappent à la fermeture à l’occasion de ce deuxième confinement. La France surprend en s’éloignant ainsi par cette décision de son habituel soutien marqué pour le secteur de la culture.

En effet, l’idée d’exception culturelle à la française, soutenue par des subventions, rend d’autant plus tangible ce lien privilégié à la Culture en général et au livre en particulier.

Le livre tient il est vrai une place privilégiée dans les représentations culturelles, il suscite un attachement spécifique. Certains cornent les pages et les annotent avec allégresse, d’autres protègent les livres comme des trésors, ne les feuilletant qu’avec délicatesse. Chacun possède un rapport personnel au livre, mais tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un objet « à part ». Les livres sont des objets avec lesquels les consommateurs nouent un lien particulier.

Pourtant, au-delà du fantasme du grand lecteur croulant sous des piles d’ouvrages, la réalité est plus prosaïque. Les lecteurs ne sont qu’une frange de la population, et parmi eux, on lit souvent moins qu’on ne le pense et bien moins qu’on ne le dit. Ce débat sur la fermeture des librairies est le symptôme d’autre chose que d’un manque de livres à bouquiner pendant le confinement. On comprend que se joue ici pour certains autant la défense des petits commerçants que l’identité culturelle française tout entière.

Les librairies, plus encore que le livre lui-même, bénéficient d’un statut particulier en France. En 1981, la loi sur le prix unique du livre vient affirmer ce statut de commerce précieux, à protéger, en faisant de l’éditeur le décisionnaire quant au prix des ouvrages. Ainsi, les prix sont les mêmes dans les petites librairies indépendantes et dans les grandes surfaces (avec tout de même un rabais autorisé de 5 % maximum).

Cette loi permet d’assurer l’égalité des Français devant le livre, vendu partout en France au même prix, et permet surtout de sauvegarder les petites librairies indépendantes face à la menace que représentent pour elles les grandes surfaces. Si des lois similaires existent dans de nombreux pays européens, la France est cependant précurseur en la matière.

Amazon pour le livre, Spotify pour la musique…

La crise sanitaire actuelle nous en dit en réalité probablement davantage sur les usages et les modes de consommation des biens culturels face à la plateformisation de la culture que sur le rôle du livre dans la société. À ce titre, c’est l’ensemble des acteurs culturels indépendants qui se mobilise actuellement pour la défense d’un modèle économique. L’« Appel des indépendants » lancé le 11 mars 2020 et signé par 1600 structures françaises interpellent sur la nécessité d’« un débat sur les enjeux profonds d’une refondation du secteur de la culture et des médias » suite, notamment, aux conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19.

Prendre en compte la spécificité des indépendants, c’est garantir des critères d’égalité et de justice face à la plateformisation de la production culturelle. Ces dernières semaines ont vu émerger de nombreuses critiques des secteurs culturels vis-à-vis des géants du numérique : Spotify pour la musique, Netflix pour le cinéma, Amazon pour le livre

Penser et comprendre la consommation et la diffusion des productions culturelles des acteurs indépendants et leurs valeurs permet d’envisager des stratégies pour la liberté artistique que réclament les créateurs, de développer des modèles économiques assurant une rémunération raisonnable aux artistes et de considérer la diversité des formes de production culturelle. L’indépendance constitue une ressource symbolique essentielle pour les acteurs des marchés de l’art et de la culture. Soumis à une concurrence importante, les plus petits producteurs culturels ont su valoriser et développer cette appellation qui constitue aujourd’hui un enjeu de lutte.

Pour de nombreux consommateurs et amateurs, la préférence pour les créations indépendantes constitue une forme de consommation engagée. Choisir d’acheter un vinyle chez le disquaire, un livre chez le libraire de quartier ou directement auprès des éditeurs, labels, artistes et écrivains eux-mêmes c’est choisir des réseaux de vente qui assurent une meilleure rémunération aux artistes créateurs et aux plus petits producteurs. Ce type de comportement correspond à un facteur déterminant de la consommation socialement responsable : la volonté d’aider les petits commerces.

« Petits » commerces et proximité

Le confinement intervient dans un contexte déjà délicat pour les centres-villes qui depuis plusieurs années font face à la concurrence accrue des zones commerciales périurbaines et qui ont été récemment mis à mal par la crise des « gilets jaunes ». Dès lors, il en va de leur survie de maintenir le lien avec les consommateurs. Le Click and Collect est ainsi devenu la planche de salut des commerces de proximité en proposant un système d’achat à distance et de retrait sur place.

Cependant, il ne s’agit pas uniquement de le considérer comme un acte marchand mais plus largement comme une pratique relationnelle. Continuer à consommer dans ces commerces indépendants s’est ainsi révélé le moyen d’apporter un soutien financier aux commerçants mais également une possibilité de maintenir une certaine proximité et des relations interpersonnelles largement mises à mal par ce confinement. On assiste alors à l’émergence de nombreuses initiatives citoyennes avec par exemple la création de sites de recensement de librairies (Je Soutiens Ma Librairie), de mise en relation des producteurs et des consommateurs (Faire mes courses) ou encore d’achat de bons d’achats (Sauvons nos commerces, Petits Commerces). On observe également un renforcement de l’engagement émotionnel de certains consommateurs qui n’hésitent pas à témoigner leur soutien sur les réseaux sociaux (#jesoutiensmalibrairie) ou directement sur les vitrines de leurs commerces de proximité.

Photo de Marc Leemans publiée sur la page Facebook « les perles de la librairie » le 7 novembre 2020. Les perles de la librairie/Facebook

Le débat sur la « non essentialité » du livre n’est donc qu’un symbole d’un mouvement bien plus profond d’attachement à certaines valeurs de consommation responsable et à une recherche de proximité qui s’est réaffirmée dans le contexte sanitaire actuel. On peut alors s’interroger sur la persistance à long terme de ces phénomènes à l’issue de cette crise.

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