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Le juge Paul Rouleau publie son rapport sur l'utilisation de la Loi sur les mesures d'urgences par le gouvernement libéral, à Ottawa, le 17 février 2023. La Presse canadienne/Adrian Wyld

Ce que nous apprennent les conclusions de la Commission Rouleau sur les risques à la sécurité nationale

Le juge Paul Rouleau a déposé son rapport sur la décision du premier ministre Justin Trudeau d’invoquer l’état d’urgence, afin de mettre fin à l’occupation du centre-ville d’Ottawa en février 2022.

La rédaction d’un tel rapport était obligatoire en vertu de l’article 63 de la Loi sur les mesures d’urgence. Cette mesure exceptionnelle accorde temporairement au gouvernement fédéral, aux forces de l’ordre et aux institutions financières des pouvoirs auxquels ils ne pourraient recourir normalement. Contrairement à l’ancienne Loi sur les mesures de guerre, la Loi sur les mesures d’urgence est encadrée par des mécanismes démocratiques, spécifiée dans les articles 58 à 63, dont l’obligation de justifier la motion auprès de la Chambre des communes et du Sénat.

En tant que chercheurs qui travaillent sur les dynamiques politiques au Québec et au Canada, nous nous intéressons à l’évolution et aux transformations des nationalismes et des populismes de droite dans ces espaces politiques.


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Retour sur les événements

Le « Convoi des camionneurs », ou « Convoi de la liberté » est un mouvement de protestation qui s’est déroulé de la fin janvier à fin février 2022. D’abord en réaction à l’annonce de la vaccination obligatoire des camionneurs traversant la frontière canado-américaine, les manifestations dénonçaient plus largement les mesures sanitaires visant à contrôler la pandémie de Covid-19.

Au-delà de l’occupation du centre-ville d’Ottawa, des manifestations se sont déroulées à Windsor avec le blocage du pont Ambassador et ailleurs au pays.

Des manifestants tiennent des drapeaux pour marquer le premier anniversaire du convoi de la liberté sur la colline du Parlement à Ottawa, le 29 janvier 2023. La Presse canadienne/Justin Tang

Sur les origines et la composition du convoi

Dès février 2022, il était clair que le convoi comportait des factions anti-gouvernementales allant au-delà d’une organisation de camionneurs. Plusieurs organisateurs appartenaient à des formations de la droite populiste albertaine, fortement inspirées des idéaux libertariens, anti-gouvernement, nativiste et en faveur de la séparation de l’ouest du Canada du reste du pays.

Depuis l’assaut sur le Capitol aux États-Unis, la République fédérale d’Allemagne, le Brésil et le Canada ont été l’objet de mouvements similaires contestant la légitimité d’un gouvernement élu.


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L’étude des circonstances est essentielle pour comprendre le mouvement. Si la mesure obligeant les camionneurs à être vaccinés pour traverser la frontière — et plus largement l’ensemble de celles mises en place pour contrer la Covid-19 —, sont considérés comme des éléments déclencheurs, elles ne représentent pas à elles seules les causes profondes du mouvement. Le juge Rouleau énonce plusieurs phénomènes et évènements antérieurs à la pandémie ayant joué un rôle, dont l’augmentation du populisme se traduisant par une méfiance à l’égard des institutions publiques et scientifiques, les fausses nouvelles et les médias sociaux.

Un des éléments les plus complexes pour la Commission était de déterminer si la situation constituait une menace à la sécurité nationale au sens où l’entend la Loi sur les mesures d’urgence. Plus précisément, c’est dans la Loi sur le service canadien du renseignement et de sécurité qu’est définie ce qu’est une menace envers la sécurité du Canada et notamment les articles concernant « le terrorisme, l’extrémisme violent et les actes de violence graves » et les actes de subversion. La loi sur le SCRS précise clairement que les simples manifestations ne font pas partie de ce qui est couvert par la loi, mais qu’il doit y avoir actes de violence graves accompagnés d’une volonté de renverser le gouvernement.

Critiques de la police d’Ottawa et du gouvernement fédéral

À la suite d’une somme colossale de présentations et de rapports, le commissaire Rouleau conclut que le recours à l’état d’urgence était justifié. Il écorche cependant au passage la gestion de l’évènement par le service de police de la ville d’Ottawa et le gouvernement fédéral.

Ce qui a rendu nécessaire le recours à l’état d’urgence serait en partie une série d’échecs de contrôle du Convoi, ce que d’autres politiciens n’ont pas tardé à relever. L’échec est aussi celui d’une gouvernance trop lousse, où des acteurs clés se renvoyaient la balle, d’autres se défilaient, et d’autres ne partageaient pas leurs informations.

L’évaluation des risques liés au convoi a également été déficiente. Malgré les informations récoltées, le service de police d’Ottawa et le gouvernement fédéral ne semblaient pas envisager que le Convoi se maintienne plus que quelques jours. Quarante-huit heures avant l’arrivée du convoi, Justin Trudeau qualifiait les manifestants de « minorité marginale » (fringe minority) propos qu’il affirme regretter aujourd’hui.

Un groupe d’agents de la GRC en tenue tactique se tient derrière une file d’agents de la police municipale en gilet fluorescent
Des agents tactiques de la GRC se préparent à dégager les manifestants d’un barrage de véhicules sur la rue Rideau lors d’une manifestation contre les mesures sanitaires à Ottawa, en février 2022. La Presse canadienne/Justin Tang

L’évaluation des risques à la sécurité nationale

Les facteurs les plus déterminants ayant mené à l’état d’urgence sont les risques pour la vie, la santé et la sécurité des Canadiens.

Une preuve en cinq volets a été mise de l’avant en vertu de l’article 58 de la Loi. Trois d’entre eux référaient aux risques pour la sécurité économique, deux autres à l’usage de violence grave pour motifs idéologiques et aux risques qu’elle augmente. Outre les impacts économiques, le risque de dérives violentes était réel. Certains résidents et policiers ont témoigné du ton de plus en plus hostile des occupants : intimidation, menaces, présence d’armes, risque de confrontations.

Le commissaire réitère fréquemment dans son rapport que le « Convoi de la liberté » est constitué de groupes et individus ayant des griefs, des objectifs et des stratégies différentes.

Des « extrémistes motivés par une idéologie »

Parmi les organisateurs et les manifestants se trouvaient des figures de la droite libertarienne et de l’extrême droite, comme Patrick King ou le groupe Canada Unity. Le rapport se réserve de désigner les positions politiques, les catégorisant comme des « extrémistes motivés par une idéologie ». La présence d’anciens membres des forces de l’ordre et militaires soulevait également des craintes.

Pour certains, l’objectif était ni plus ni moins de renverser le gouvernement. Selon le rapport, plusieurs figures politiques étaient visées par des menaces, notamment le premier ministre Justin Trudeau et d’autres ministres de son cabinet, le premier ministre de l’Ontario et le chef du service de police de l’Ontario.

Le groupe Canada Unity avait préparé un « protocole d’entente » qu’il souhaitait remettre à la gouverneure générale et au Sénat afin de forcer la démission du gouvernement du Canada. Il ne s’agit pas d’une tentative isolée. Le président de ce groupe, James Bauder, a participé au convoi « United We Roll » en 2019 et à l’« opération Bearhug » en 2021, où une première version du « protocole d’entente » a tenté d’être déposée. D’autres déclarations insurectionnistes ont été faites sur les réseaux sociaux, notamment par Patrick King qui appelait à prendre le pouvoir.

De la manifestation légale aux risques à la sécurité nationale

La saisie d’armes survenue lors des manifestations à Coutts, en Alberta, a renforcé le sentiment « légitime » d’un risque.

Le 14 février 2022, la GRC a en effet saisi des armes à feu, des munitions, une machette et des gilets pare-balles détenus par des manifestants. Cet arsenal appartenait à l’organisation Diagolon, une milice néofasciste et accélérationniste, dont le chef Jeremy Mackenzie participait aux manifestations à Ottawa. Selon le commissaire Rouleau :

Cet évènement survenu à Coutts était une illustration concrète du risque que le Cabinet avait décrit : une manifestation très perturbatrice, mais essentiellement pacifique, qui comprenait un petit groupe d’acteurs qui avaient prétendument l’intention de commettre des actes de violence grave dans un but politique.

La présence de ces divers groupes aux manifestations du « Convoi des camionneurs » est un indicateur d’un phénomène plus profond. La groupuscularisation de l’extrême droite ne doit pas être perçue comme un ensemble de petits mouvements indépendants, mais plutôt comme un réseau basé sur une idéologie extrémiste dangereuse pour la démocratie. Préoccupante également est la capacité de ses organisations à se fondre dans des manifestations qui sont, quant à elles, tout à fait légales au sens de la loi, que l’on soit favorables ou non aux revendications qu’elles portent.

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