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Changement climatique, quand la société civile multiplie les actions en justice

Quelques-uns des 900 citoyens qui, avec l’ONG Urgenda, ont porté plainte en 2015 contre le gouvernement néerlandais pour ses manquements face au réchauffement climatique. Urgenda/Chantal Bekker

Ce mercredi 3 février 2021, c’est une victoire qualifiée d’« historique » qui a été acquise par plusieurs ONG de défense du climat : le tribunal administratif de Paris leur a en effet donné raison en condamnant l’État français pour « carences fautives » dans la lutte contre le réchauffement climatique et la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Avec cette décision, l’inaction climatique devient illégale.

Depuis 2015, des actions en justice climatique ont fleuri un peu partout dans le monde : du Pakistan aux Philippines, en passant par les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, la Belgique ou l’Allemagne.

Porter la « cause climatique » devant les juges n’a rien de nouveau. C’est le cas aux États-Unis depuis une dizaine d’années avec des actions remarquables comme Massachusetts v. Environmental Protection Agency (2007) ou American Electric Power v. Connecticut (2011). Ces actions avaient pour principal objectif de faire appliquer la réglementation existante en matière de pollution de l’air et de l’élargir au changement climatique.

Mais ces dernières années, la nouveauté consiste à réclamer à l’État de prendre ses responsabilités climatiques. Au nom de ses devoirs de protection des populations, celui-ci doit répondre pour son inaction ou ses actions inefficaces dans le domaine. Si elles sont nouvelles, ces réclamations ne supposent pourtant pas d’inventer de nouveaux droits ; elles s’appuient sur les constitutions et les lois fondamentales de chaque pays.

Affaire du siècle : l’État « responsable » de manquements dans la lutte contre le réchauffement. (France24/Youtube, février 2021)

Des actions citoyennes

La question du dérèglement climatique n’est aujourd’hui plus confinée aux seuls experts scientifiques, ni aux négociations internationales au sein des Nations unies. Elle dépasse également les diverses réglementations nationales sur le climat ou la pollution de l’air. La question climatique est désormais reprise par la société civile : elle sort du cadre onusien et se transfère devant les tribunaux nationaux, devenant une cause citoyenne, susceptible d’intéresser à la fois les juges et les associations.

On peut citer à titre d’exemple deux décisions emblématiques où les plaignants ont obtenu gain face à un État jugé responsable. Il y a d’abord l’affaire Léghari, en septembre 2015 au Pakistan, qui a vu un paysan saisir la justice pour demander aux autorités de le protéger, lui et tous les citoyens, des effets du changement climatique. Simultanément, aux Pays-Bas , 900 citoyens se sont unis aux côtés de l’ONG Urgenda pour réclamer à l’État, au nom de son devoir de diligence inscrit dans la constitution néerlandaise, de prendre soin d’eux et de faire le nécessaire pour assurer leur survie.

Vers un mouvement global

Viennent s’ajouter à ces initiatives d’autres actions menées en 2016 et 2015 qui, si elles n’ont pas toujours abouti, ont lancé un signal fort. Ce fut notamment le cas de ce paysan péruvien ayant entrepris une action devant un tribunal allemand contre RWE, le géant de l’électricité outre-Rhin. Il réclamait à la firme des dommages et intérêts pour avoir dû engager les frais indispensables à son adaptation face à la montée des eaux dans son pays.

En Belgique, l’ONG Klimaatzaak a demandé aux juges que les autorités respectent leurs engagements : à savoir la réduction d’ici 2020 de 40 % des émissions de gaz à effet de serre dans le pays. En Nouvelle-Zélande, une étudiante en droit, Sarah Thomson, a réclamé devant le prétoire que le gouvernement assume ses responsabilités du fait de sa politique « déraisonnable et irrationnelle » en matière climatique.

Aux États-Unis, c’est la jeunesse qui s’est mobilisée autour de l’ONG Our Children’s Trust, au nom des générations présentes et futures, contre le gouvernement fédéral pour lui réclamer des comptes.

Aux Philippines, Greenpeace a annoncé qu’il poursuivrait le gouvernement norvégien pour avoir permis l’extraction offshore de pétrole, soulignant que ces extractions et leurs impacts sur l’environnement violaient les droits inscrits dans la Constitution norvégienne. La même ONG a également encouragé la Commission des Droits de l’Homme de Philippines à adresser une plainte à plusieurs entreprises responsables de pollutions pour leur contribution au dérèglement climatique.

Une innovation du point de vue du droit

Aller au prétoire au niveau national pour résoudre un problème planétaire non réglé par le droit international, voilà qui est novateur. Et les associations mobilisent pour ce faire des droits jusqu’ici peu ou pas mobilisés pour le climat. Les juges font également preuve d’innovation en acceptant d’entendre ce type d’actions et en estimant qu’elles sont recevables.

Sur le plan des arguments mis en avant dans ces affaires, les associations mobilisent des droits qui existent déjà dans les différents pays, que ce soit au niveau de la loi, de la jurisprudence (comme le devoir de diligence, duty of care) ou des constitutions (comme le droit à un environnement sain). Ces différents droits, jamais mobilisés jusqu’ici pour se prémunir des effets du changement climatique, témoignent d’une grande audace et d’une certaine habilité juridique de la part des associations impliquées.

Pour une société soutenable

On le voit, la société civile a amorcé un mouvement dont le retentissement mondial se propage, des connexions évidentes existant entre les différentes ONG à l’origine de ces actions. Ces dernières s’inscrivent en effet dans un mouvement global qui cherche à améliorer les voies d’action et les stratégies judiciaires, en faisant appel à des avocats militants pour défendre ces affaires.

L’avocat néerlandais Roger Cox pour qui la justice peut jouer un rôle déterminant dans la lutte contre les changements climatiques (TEDx Talks, 2014).

L’un des arguments les plus innovants et les plus emblématiques utilisés dans l’affaire Urgenda au Pays-Bas – et repris dans d’autres affaires (Kelsey Cascadia et coll. aux États-Unis) – est celui de la construction d’une « société soutenable » à laquelle tout État devrait tendre. Les associations défendent ainsi un intérêt qui dépasse nécessairement les nations (les effets des émissions franchissent les frontières) et qui transcende les générations (la difficulté de s’adapter dans la durée à l’irréversibilité climatique). Cet intérêt à la fois transnational et transgénérationnel de ces actions explique en grande partie la sympathie qu’elles suscitent chez les juges et dans l’opinion publique.

Ce mouvement réclamant justice pour le climat auprès de juridictions nationales devrait s’intensifier dans les mois et les années à venir. Et pour cause, les juges semblent particulièrement indulgents dans les exigences de preuves du changement climatique : ils ne bloquent plus les actions en exigeant la preuve d’un lien fort entre la cause et l’effet, entre le phénomène de dégradation climatique et les actions ou inactions des États.

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