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Chine : le ralentissement économique menace-t-il la présence des entreprises moyennes allemandes ?

Drapeaux de la Chine et de l'Allemagne
En 2016, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Allemagne devant la France et les États-Unis. Shutterstock

Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), l’Allemagne et la Chine figurent parmi les pays les plus touchés par le ralentissement économique en 2023 : l’Allemagne devrait être la seule économie européenne en récession (-0,5 %) et la Chine devrait connaître une faible croissance économique (+5 %) accompagnée d’une crise immobilière qui comporte des risques importants pour le secteur bancaire. Ces signes inquiétants peuvent-ils menacer la présence des entreprises de taille intermédiaire (les ETI, qui désignent les organisations qui comptent entre 250 et 4 999 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 1,5 milliard d’euros) allemandes particulièrement présentes sur le marché chinois ?

L’Allemagne compte aujourd’hui 12 500 ETI (contre 5 500 pour la France) et ce fameux « Mittelstand » est au cœur du système industriel allemand. Ces entreprises familiales sont souvent spécialisées dans le domaine « business-to-business » (B-2-B) et se distinguent par leur compétitivité à l’échelle internationale. Elles ont mis en place des stratégies ambitieuses sur le marché chinois pour suivre leurs clients multinationaux et pour développer de nouvelles opportunités d’affaires. La Chine constitue ainsi le premier partenaire commercial de l’Allemagne depuis 2016 (devant la France et les États-Unis).

Dans ce contexte, nous avons réalisé un travail de recherche visant à comprendre les trajectoires d’internationalisation des ETI familiales allemandes en Chine. Ce travail a pris la forme d’une étude qualitative longitudinale qui est fondée sur des entretiens semi-directifs avec des dirigeants de 26 ETI familiales allemandes et des données secondaires (sites web, communiqués de presse, articles de presse, etc.).

L’analyse des données collectées montre que les ETI familiales allemandes poursuivent des stratégies ambitieuses en Chine, mais qu’elles font face à de multiples défis sur ce marché complexe et éloigné. Elles éprouvent ainsi des difficultés pour comprendre le contexte culturel et institutionnel chinois et pour accéder aux réseaux d’affaires locaux (« guanxi ») qui sont fondés sur la confiance et la réciprocité.

Trajectoires disparates

Notre étude met également en relief la disparité des trajectoires suivies par les ETI familiales allemandes en Chine, qui sont marquées par des étapes d’internationalisation (augmentation des investissements), de désinternationalisation (retrait ou diminution des investissements) et de réinternationalisation (réalisation de nouveaux investissements). Deux groupes d’entreprises peuvent être identifiés.

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D’abord, les ETI qui suivent plusieurs vagues pour augmenter progressivement leurs investissements sur le marché chinois (16 entreprises sur 26). Les entreprises familiales allemandes qui suivent cette trajectoire linéaire commencent souvent par des activités d’exportation en Chine avant d’y implanter des bureaux de vente, des sociétés communes ou des filiales. Ces entreprises peuvent ainsi bénéficier d’effets d’apprentissage sur les spécificités du marché chinois et accéder aux réseaux d’affaires locaux.

Par exemple, Kern-Liebers, un fournisseur de bandes et de fils d’assemblage, a choisi d’exporter ses produits avant de créer une filiale dans la ville de Taicang, à 50 km de Shanghai. L’entreprise a été suivie par d’autres ETI familiales qui ont également implanté des filiales à Taicang, une ville qui accueille aujourd’hui plus de 400 entreprises allemandes. En 2023, Kern-Liebers fête le 30e anniversaire de sa présence sur place où elle a établi plusieurs filiales et sociétés communes.

Ensuite, on observe des ETI qui suivent plusieurs vagues pour internationaliser, désinternationaliser et réinternationaliser leurs activités en Chine (10 entreprises dans notre échantillon). Ces entreprises familiales allemandes qui suivent une trajectoire non linéaire s’établissent par des sociétés communes avec des partenaires chinois sans avoir acquis une expérience préalable par des activités d’exportation. Leur première expansion en Chine se traduit souvent par un échec, notamment en raison des différences culturelles, des difficultés pour accéder aux réseaux d’affaires et des divergences entre les objectifs des dirigeants familiaux et de leurs partenaires chinois.

Par exemple, Hawe Hydraulics, un fournisseur de composants et de systèmes hydrauliques, a choisi de coopérer avec une entreprise chinoise avant de se désengager du partenariat et d’établir par la suite plusieurs filiales en Chine. Face aux tensions géopolitiques, cette ETI familiale cherche aujourd’hui à diversifier la localisation de ses investissements afin de diminuer sa dépendance du marché chinois.

Les étapes d’internationalisation peuvent être expliquées par des exigences stratégiques (stratégie de croissance), financières (rentabilité, coûts de production) et opérationnelles (adaptation de produits), mais aussi par des objectifs de la famille fondatrice, en particulier par son intérêt de préserver la réputation de l’entreprise familiale, les cultures locales et l’héritage familial.

Les étapes d’internationalisation peuvent aussi être déclenchées par la demande d’approvisionnement des clients multinationaux, les perspectives de croissance du marché chinois, la réglementation concernant les investissements étrangers (obligation de former des « joint ventures », c’est-à-dire des accords de coopération avec des partenaires locaux), la nécessité de développer des réseaux locaux et les difficultés rencontrées avec les partenaires des sociétés communes, incitant les ETI familiales à établir des filiales possédées à 100 %.

À l’inverse, les étapes de désinternationalisation peuvent s’expliquer par les ressources limitées des ETI familiales, les tensions organisationnelles et le manque d’adaptation aux exigences locales. Les décisions peuvent aussi être déclenchées par des contraintes institutionnelles (droits de douane, changement de réglementation, etc.), des différences culturelles et linguistiques, la concurrence internationale et locale de même que des difficultés avec les partenaires des sociétés communes. Ces difficultés sont exacerbées pour des entreprises familiales qui opèrent sur des marchés de niche et qui cherchent à protéger leurs avantages concurrentiels et leur réputation internationale.

Valeur créée par l’attachement

Les étapes de réinternationalisation sont elles principalement déclenchées par des facteurs externes. On peut notamment mentionner de nouvelles opportunités d’affaires en Chine, les perspectives de croissance du marché et la rencontre de nouveaux partenaires chinois. Mais la réinternationalisation des activités peut aussi être motivée par l’implication de nouvelles générations dans le management des ETI familiales.

Le ralentissement économique en Allemagne et en Chine remet aujourd’hui en cause les trajectoires d’internationalisation des ETI familiales. Dans ce contexte, les phases de désinternationalisation ont tendance à se multiplier et on peut s’interroger sur les opportunités de réinternationalisation sur un marché complexe et éloigné comme la Chine.

Notre étude montre que les ETI familiales allemandes suivent des trajectoires d’internationalisation qui sont liées à leurs structures de gouvernance et à leur volonté de préserver leur richesse socioémotionnelle. Il s’agit de la valeur créée par l’attachement de la famille aux entreprises familiales.

Ces facteurs expliquent pourquoi leurs décisions d’internationalisation ne sont pas uniquement motivées par des objectifs financiers. Dans un contexte de ralentissement économique, les ETI allemandes pourraient ainsi limiter la diminution ou le retrait de leurs investissements en Chine, mais elles devraient privilégier d’autres localisations pour réduire leur dépendance du marché chinois.

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