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Cinq fruits et légumes par jour : une habitude encore trop rare en France

Faungg/Flickr, CC BY-ND

Les Français mangent rarement cinq fruits et légumes par jour… mais ils savent qu’ils ont tort. Telle pourrait être la conclusion, en forme de boutade, de l’étude que notre équipe vient de mener sur la perception de nos concitoyens quant à leurs habitudes alimentaires. La question que nous nous sommes posée est la suivante : au bout de quinze années de slogans « manger, bouger » à la télévision et sur les ondes, jusqu’à quel point les Français sont-ils devenus compétents en nutrition ?

La conclusion, que nous publions dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire, la revue scientifique de Santé publique France (ex Institut de veille sanitaire), est encourageante. Pas de doute, nos concitoyens sont calés sur les protéines animales, les graisses ajoutées ou les féculents. Ceux qui respectent moins que d’autres les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) – comme les cinq fruits et légumes par jour – estiment, à juste titre, leur alimentation moins équilibrée.

La première génération née avec le PNNS, en 2001, approche maintenant de l’âge adulte. Ce programme a été mis en place pour promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé. Il émet des recommandations basées sur les connaissances scientifiques actuelles, formulées de manière à être comprises par tout un chacun. Ces conseils sont réunis sous un même slogan, « manger, bouger ». Depuis 2007, ils apparaissent, par obligation du législateur, dans toutes les publicités pour les aliments et les boissons. À force, difficile d’ignorer ces refrains : « Pour votre santé mangez au moins cinq fruits et légumes par jour », « Pour votre santé, limitez les aliments trop gras, trop salés, trop sucrés », « Pour votre santé, pratiquez au moins 30 minutes d’activité physique par jour »…

Greggavedon.com/Flickr, CC BY-ND

Au quotidien, les citoyens jonglent entre ces recommandations et les multiples contraintes pesant sur leur manière de s’alimenter. L’un des entretiens menés par des sociologues dans le cadre d’un projet de recherche porté par Sophie Dubuisson-Quellier, Gouverner les conduites, l’illustre bien. Les propos sont tenus par un homme de 47 ans, employé, vivant seul :

« Si moi je cuisine, explique-t-il, je fais, par exemple, des pâtes bien entendu, des pizzas, des soupes, et parfois, j’essaie d’intercaler, une fois par semaine des légumes. Histoire de prendre un peu ma dose hebdomadaire, ou bi-hebdomadaire. Je me dis, j’en mange pas tous les jours, je sais que normalement il faudrait en manger tous les jours mais j’ai la flemme… Il y a un moment je me suis fait des choux-fleurs, et j’ai mangé que ça, je sais pas ce qu’il y a comme vitamines ou minéraux dans le chou-fleur, mais je me suis dit comme ça, t’es tranquille pour un moment ! En ce qui concerne le chou-fleur ! »

Cet homme, qui a une position sociale modeste, sait que les légumes sont importants et qu’idéalement, il devrait en manger davantage. Sauf que dans la réalité, c’est compliqué.

« Excellent » sur la théorie, « passable » en travaux pratiques

Si les Français devaient être notés sur la nutrition, ils décrocheraient sans aucun doute une mention « excellent » sur la théorie, mais un « passable » en travaux pratiques. Ce décalage entre les connaissances et les actes est manifeste dans les résultats tirés de notre analyse statistique auprès d’un échantillon de 38 000 individus appartenant à la cohorte Constances. Ces personnes ont été tirées au sort parmi les assurés de la Sécurité sociale et invitées à répondre au questionnaire ainsi qu’à passer un examen de santé gratuit. Pour notre étude, nous avons comparé d’une part l’équilibre alimentaire tel qu’il était perçu par les individus et de l’autre, l’adéquation de leurs pratiques aux recommandations nutritionnelles françaises.

Nous avons d’abord demandé à ces personnes de juger le bon équilibre de leur alimentation sur une échelle de 1 à 8. Puis nous leur avons demandé combien de fois par semaine, ou par jour, elles consommaient habituellement de divers groupes d’aliments, comme lait et laitages, produits de la mer, produits sucrés. Nous avons constaté que la proportion de personnes respectant les recommandations du PNNS varie fortement selon les aliments. Ainsi, seuls 8 % de nos enquêtés atteignent cinq fruits et légumes par jour… À vrai dire, cette recommandation est, parmi toutes, celle qui recueille le pire score. On peut s’en étonner, s’agissant du slogan qui a sans doute été le plus matraqué. On peut surtout penser que le PNNS a dû insister sur cette recommandation plus que sur les autres, constatant que les Français restaient loin du compte.

Comme l’employé de 47 ans cité précédemment, les personnes qui, dans notre échantillon, respectent moins les recommandations estiment que leur alimentation est moins équilibrée. Les hommes, en particulier, ont des habitudes moins conformes au PNNS que les femmes, et se donnent aussi une moins bonne note en terme d’équilibre alimentaire. C’est la bonne nouvelle des résultats que nous présentons : les Français ne sont ni dans l’ignorance ni dans le déni vis-à-vis des bonnes pratiques nutritionnelles.

Passer du temps aux fourneaux

Autre enseignement de notre étude, les Français ont intégré spontanément des normes qui ne figurent pas dans le PNNS. Ainsi, il est considéré meilleur de faire de vrais repas, plutôt que de grignoter. De passer du temps aux fourneaux, plutôt que de sortir du frigo des plats préparés ou de manger au fast food. Dans le PNNS, il n’y a pas de jugement porté sur les modes de préparation : tous les moyens sont bons pour intégrer davantage de légumes à l’alimentation, qu’ils soient frais, surgelés, ou en conserve. En fait, les aliments y sont évalués uniquement sur leur contenu nutritionnel (une carotte surgelée est alors identique à une carotte fraîche du jardin du voisin).

Pour les Français, par contre, préparer à manger fait partie de l’attention que l’on témoigne à ses proches. C’est une pratique fortement valorisée, par opposition à la « facilité » des produits tout prêts. On le devine dans les réflexions de l’employé qui a « la flemme » de faire la cuisine pour lui tout seul. Attention, toutefois : le « fait maison » n’est pas toujours synonyme d’équilibre, et la cuisine gastronomique ne rime pas forcément avec diététique.

Ceci nous rappelle que l’alimentation au quotidien répond à une multitude d’exigences et de contraintes dont la qualité nutritionnelle n’est qu’une dimension. Citons pêle-mêle la norme sociale des repas à heure fixe structurés autour d’un plat principal contenant de la viande ou du poisson, les contraintes de budget et de temps qui pèsent sur chacun de nous, la nécessité de tenir compte des goûts de tous les membres du ménage, nos compétences en cuisine parfois limitées, et bien sûr l’offre en aliments effectivement accessibles.

Les femmes plus attentives à leur alimentation

Qui sont les meilleurs élèves du PNNS ? Ceux qui respectent le plus ses recommandations sont les femmes, les plus diplômés et les plus âgés. Plusieurs facteurs sont probablement en jeu. Beaucoup des repères du PNNS se rapprochent des goûts alimentaires des catégories sociales supérieures tels qu’ils ont été constatés depuis longtemps, dès les travaux du sociologue Pierre Bourdieu dans les années 1970 et 1980. L’appétence pour le poisson, les fruits et légumes, les plats « légers », sont aussi des tendances plus marquées chez les femmes.

La prépondérance des plus âgés chez les adeptes du PNNS peut surprendre. On aurait pu penser qu’avec des habitudes prises dans l’enfance, donc bien avant les campagnes du PNNS, ils seraient plus difficiles à convaincre. À ce paradoxe, deux explications possibles. Ces générations sont peut-être restées fidèles à des plats et aliments traditionnels, plus sains. Ou bien il s’agit d’un effet du cycle de vie. Nos sujets les plus âgés ont moins de 70 ans : ce sont donc de relativement jeunes retraités qui peuvent consacrer du temps à cuisiner, à se rendre au marché, éventuellement à cultiver un potager. L’âge, en tout cas, n’est pas neutre. L’enquête citée dans l’ouvrage de Sophie Dubuisson-Quellier montre que les habitudes alimentaires des jeunes adultes deviennent plus conformes aux recommandations nutritionnelles à mesure qu’ils s’installent dans la vie, en particulier quand ils décident de vivre en couple.

Les individus ayant conscience que leur alimentation est décalée par rapport aux recommandations vont-ils réussir à la changer ? Cette question nous intéresse beaucoup. Nous pourrons y répondre dans quelques années, car les individus qui participent à la cohorte Constances, invités à compléter un questionnaire chaque année, recevront bientôt le deuxième formulaire sur l’alimentation. En attendant, force est de constater qu’on ne peut pas attribuer l’écart entre les pratiques et les recommandations à un déficit d’information : dans l’ensemble, les Français savent qu’ils ne font pas (tout) ce qu’ils devraient faire.

Des logos nutritionnels sur les boîtes d’emballage

Actuellement, 40 supermarchés en France testent différents modes d’étiquetage nutritionnel simplifié sur les produits alimentaires, avec des codes visuels faciles à repérer comme le logo 5 couleurs. L’expérimentation se poursuit jusqu’au 4 décembre, toujours dans le même but : une meilleure information des citoyens. Ce dispositif constituera un progrès quand il sera adopté. Toutefois, son efficacité suppose que les gens accordent de l’attention aux propriétés nutritionnelles des produits dans un moment qui n’est pas forcément propice – quand ils remplissent leur caddie au plus vite pour les courses de la semaine.

De fait, toutes les campagnes nationales réunies n’ont pas réglé le problème du surpoids, qui concerne aujourd’hui près d’un Français sur deux entre 30 et 69 ans – un autre résultat de la cohorte Constances. La prise de conscience des citoyens des enjeux de nutrition était nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Leur seule bonne volonté ne suffit pas, c’est sur leur environnement qu’il faut désormais agir.

Dite autrement, la mise à disposition des informations ne peut pas servir d’alibi aux industriels, aux distributeurs et aux autorités, et reporter l’entière responsabilité d’une bonne alimentation sur le citoyen. D’autres mesures prenant en compte toutes les dimensions de nos habitudes en matière de repas doivent être prises. L’amélioration de la composition des produits agroalimentaires en est une. Le PNNS incite déjà les industriels à prendre des engagements à ce sujet. Mais sans un encadrement suivi dans le temps de cette politique, le risque existe que la qualité nutritionnelle reste un luxe. Avec des gammes saines et chères d’un côté, et de l’autre, des gammes bon marché sans aucun engagement d’équilibre nutritionnel.

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