Vous avez dit « sciences participatives » ? L’expression résonne différemment selon la personne qui l’entend ou l’utilise. Elle n’est pas la seule à décrire les collaborations entre chercheurs et citoyens : recherche participative, sciences citoyennes, science avec et pour la société, public engagement. Autant de termes que d’objectifs liés : sensibiliser les citoyens à la culture scientifique et technique, acquérir des connaissances scientifiques, démultiplier les capacités d’acquisition ou d’analyse des données, co-construire un projet scientifique de A à Z…
Le rapport Houllier, remis en février 2016, définit les sciences participatives plus largement, comme des « formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée ». On retient donc deux notions clés : la production de connaissances scientifiques et la participation active et volontaire de la société civile.
Des sujets variés
À l’origine, au XVIe siècle, les sciences participatives étaient naturalistes… et élitistes. Elles s’ouvrirent au cours du XXe siècle jusqu’à concerner aujourd’hui toutes les disciplines et tous les publics.
Les motivations des participants sont diverses et leurs niveaux d’implication varient selon les projets : certains s’engagent par curiosité, par passion, pour défendre des idées ou partager des savoirs d’expérience (dans les domaines de l’environnement, de l’astronomie ou du numérique notamment), d’autres pour trouver des solutions aux problèmes qu’ils rencontrent à titre personnel ou professionnel (dans les champs de la santé ou de l’agronomie par exemple), tandis que d’autres encore y voient un moyen d’exprimer leurs craintes vis-à-vis de certains sujets scientifiques et sociétaux ou de prendre part à une controverse.
Les sciences participatives font évoluer le rapport sciences-société et interrogent l’intégration de l’ensemble des composantes de la société civile dans la production des savoirs et dans l’orientation de la recherche.
L’Amérique du Nord et l’Europe dominent
Sur les 40 dernières années, la production scientifique dans son ensemble provient à parts égales des États-Unis, de l’Europe et du reste du monde, ce qui n’est pas le cas pour les sciences participatives : 58 % pour les États-Unis, 27 % pour l’Europe, et seulement 5 % pour le reste du monde. La France se situe aujourd’hui dans le top 3 européen derrière le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Chaque région du globe a ses thèmes de prédilection : les sciences participatives concernent surtout la santé en Amérique du Nord, et l’environnement en Europe. Mais il existe des domaines actifs et mal documentés, comme l’astronomie pour laquelle passionnés et professionnels collaborent depuis très longtemps sans nécessairement le préciser dans les publications scientifiques, donc sans que celles-ci puissent être comptabilisées au titre des sciences participatives.
Les pays du Sud ne sont pas en reste et des projets participatifs s’y développent, qui ont souvent pour objectif de mieux répondre aux besoins de développement exprimés par les acteurs locaux et de favoriser l’appropriation des résultats sur le terrain pour améliorer des conditions de vie difficiles.
Les Français souhaitent contribuer
Le baromètre annuel Les Français et la science montre qu’en 2016, un tiers des Français a entendu parler des sciences participatives et qu’une majorité d’entre eux est prête à contribuer à leur développement. Avant même la rémunération, l’échange avec le chercheur ou la formation, la réponse aux problèmes de santé et d’environnement est leur premier moteur. L’enquête menée pour le rapport Houllier montre que 85 % des répondants considèrent que les sciences participatives sont « en augmentation », et l’expliquent par le boom du numérique (outils, smartphones, big data) et la sensibilité croissante des citoyens aux problématiques environnementales et de santé.
Le poids des sciences participatives reste faible par rapport à l’ensemble de la production scientifique mondiale (de l’ordre de 1 pour 10 000) mais leur croissance est exponentielle et durable. Elle est le fruit d’une volonté politique des instances européennes et françaises et des citoyens eux-mêmes, qui souhaitent prendre part activement à la recherche, suivant le mouvement de la démocratie participative et de la remise en cause des hiérarchies traditionnelles.
Bénéfices et risques à maîtriser
Les bénéfices des sciences participatives sont à la fois scientifiques et sociétaux. Elles servent la recherche en favorisant la production de connaissances (avantages en coûts, en temps, en diversité de compétences et de données) et en tirant profit de nouveaux tiers-lieux (hackathons, fab labs, living labs, laboratoires de recherche ouverts au public). Elles optimisent l’impact des recherches, qui se traduit par de nouvelles compétences chez les parties prenantes et par l’adaptation des productions au plus près des besoins exprimés. Elles permettent enfin des avancées pédagogiques avérées pour les élèves (sensibilisation, ouverture, manipulations, méthode).
Des risques sont aussi pointés, au sein même de la communauté scientifique : perte de qualité des données, remise en cause de l’autonomie des chercheurs, instrumentalisation des citoyens. Ils rappellent la nécessité de bonnes pratiques pour garantir une approche scientifique rigoureuse et ouverte, une gestion opportune et efficace des ressources, et pour assurer le respect et la reconnaissance mutuels des acteurs.
Plus d’idées dans 1 000 cerveaux que dans un seul
Les succès s’enchaînent pour les projets de sciences participatives : le jeu sérieux Foldit a permis à des centaines de milliers de joueurs de trouver en quelques semaines la structure tridimensionnelle d’un enzyme impliqué dans la transmission du VIH, après dix ans de travaux infructueux. Reverse the odds du Cancer Research UK suit le même modèle pour accélérer la recherche contre le cancer.
En France, Vigie-Nature est un projet pionnier et un succès, fondé il y a 20 ans par le Muséum national d’Histoire naturelle et porté par un réseau d’associations. Le Groupe de réflexion avec les associations de malades réunit chercheurs et patients pour interagir autrement, interroger les hypothèses et les moyens de la recherche médicale. Le LHC peine à utiliser toute la puissance de calcul bénévole proposée aux physiciens pour répondre aux questions que pose l’univers.
La science « avec et pour tous »
Pour favoriser les sciences participatives en France, le rapport Houllier propose 17 actions sous forme de recommandations aux institutions concernées (organismes de recherche, universités et écoles, agences de financement, associations, collectivités territoriales et pouvoirs publics). Le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a annoncé en avril 2016 la 38e mesure de son plan de simplification qui vise à les mettre partiellement en œuvre à travers une charte, une « conférence de ses signataires » et un portail Internet dédié. De nombreux acteurs scientifiques et associatifs ont exprimé leur souhait de prendre part à cette réflexion et d’aller même au-delà.
Quel avenir pour les sciences participatives ? Si leur essor est aujourd’hui une réalité, les innovations numériques et sociales à venir seront déterminantes pour parvenir à impliquer le plus grand nombre de citoyens dans le respect de l’éthique et de la déontologie. Relever le défi de la science « avec et pour tous » pourra ainsi contribuer à une société plus unie, plus confiante et plus ambitieuse.
Julie Adam (Université de Lorraine) et Jean-Baptiste Merilhou-Goudard (Inra) ont participé à la rédaction de cet article.