Menu Close

Comment Donald Trump hante les séries américaines

James van der Beek dans la série _Pose_.
James van der Beek dans la série Pose.

La carrière de Donald Trump (1946-), héritier d’un groupe immobilier, président actuel des États-Unis, est intimement liée aux médias. Dès les balbutiements de sa première campagne présidentielle, il s’est montré suractif sur Twitter – et indirectement sur Facebook.

Mais sa visibilité médiatique est bien plus ancienne et dessine un composite de magnat démagogue omniprésent : crédité comme auteur de livres à succès sur la conduite des affaires (The Art of the Deal, paru en 1987 a figuré dans la liste des bestsellers du New York Times), il a été le co-producteur et le présentateur vedette de l’émission de télé-réalité The Apprentice diffusée sur NBC à partir de 2004.

Consacrée au monde des affaires, l’émission enchaîne une série d’épreuves permettant de distinguer le candidat le plus performant qui remporte un contrat d’un an, d’une valeur de 250 000 $, dans une entreprise du groupe de Trump.


Read more: De guest-star à président : comment la fiction télévisée a forgé le mythe Trump


Au fil des ans, l’homme a aussi accumulé les apparitions dans diverses émissions et séries télévisées où il apparaît en tant que Trump, notamment dans Le Prince de Bel-Air sur NBC ou Sex and the City sur HBO. Il est présent de la même façon au cinéma, de Zoolander (2001) à Wall Street (2010) en passant par Maman, j’ai raté l’avion 2 (1992).

The Good Fight ou l’implosion des identités

Dans un tel contexte qui voit un homme d’affaires et homme politique utiliser les médias de façon surabondante, il semble intéressant d’examiner ce que la fiction fait de Trump. Au tout début des années 1990, Trump est utilisé comme une figure référentielle, métaphore de l’hybris propre au monde des affaires. De façon à peine voilée, il est un des personnages de Gremlins 2 dont l’action, centrée sur les excès de la télévision, est située dans le gratte-ciel appartenant à un magnat des médias nommé Daniel Clamp. L’interprète de Clamp (l’acteur John Glover) est au plus près de la personnalité publique de Trump et de sa rhétorique. De façon explicite et itérative, Trump est le modèle du yuppie assassin d’American psycho, roman de Brett Easton Ellis paru en 1991. Il est l’horizon à atteindre pour ce protagoniste, lecteur assidu de the Art of the deal. Inspirateur, Trump offre au cadre ambitieux un vade-mecum selon lequel agir et conformer sa personnalité.

Plus récemment, deux séries télévisées en ont fait un personnage omniprésent bien qu’invisible. Il s’agit de The Good Fight et de Pose, diffusées depuis 2018. Dans ces deux œuvres de fiction, Trump devient l’élément de narration qui met en cause l’identité même des personnages.

La première fiction, diffusée sur CBS, est une série juridico-politique issue d’une précédente série du même type, The Good Wife, créée elle aussi par les scénaristes Michelle King et Robert King.

La saison 2 – 13 épisodes diffusés de mars à mai 2018 – s’apparente au réveil incrédule et groggy des personnages plus d’un an après un événement impensable, l’élection de Trump. Nous sommes à Chicago. Les signes de la destruction de l’identité des protagonistes par l’élément Trump s’affichent dès le générique qui déploie l’ensemble des attributs d’une avocate d’affaires, sac à main Kelly, téléphones, bureau précieux, vase de fleurs, ordinateurs portables, bouteille de vin et verre à pied, lampe, garde-robe, ouvrages de droit, téléviseur faisant défiler à l’écran Poutine et Trump, pour les faire imploser sur fond de musique de chambre.

Le titre de chaque épisode, jamais justifié dans la saison, est le décompte des jours de la présidence Trump au moment de la diffusion de l’épisode : « Day 408 », « Day 415 », etc. jusqu’au « Day 492 ». Le récit est porté par la remise en question de la raison d’être des différents protagonistes dans une société qui vient de changer intégralement et pour laquelle les règles et références passées ne s’appliquent plus et où il faut apprendre à agir sans cadre. Trump représente ce changement radical d’un monde sur lequel les personnages n’ont plus de prise de la même manière que le port du masque, par tous, partout, tout le temps, s’impose comme un nouvel état du monde. Les personnages comme les personnes réelles masquées, tentent d’équilibrer des certitudes flageolantes issues du monde d’avant (ce que sont la vie, la conduite des affaires, le fonctionnement de la justice) avec un actuel qui contredit cela, n’apporte aucune règle, ni de certitudes nouvelles. Ce nouvel état du monde, les personnages le voudraient une parenthèse, un moment transitoire, mais le décompte des jours rend chancelante cette espérance. L’installation dans ce monde d’après pousse les personnages à interroger la consistance de leur identité.

Pose ou le bal comme miroir du pouvoir

Pose est diffusée sur FX depuis juin 2018. L’action se passe à New York en 1987. Le récit décrit deux mondes parallèles, celui des affaires et des cadres ambitieux qui œuvrent au sein de la Trump Tower et celui des balls, ces soirées de compétition de danse ritualisée propres à une communauté queer, trans et gay. Aussi éloignés soient-ils, ces deux univers ont des points communs : le goût de la compétition, l’évaluation permanente, le travestissement, la surenchère. La rencontre entre ces deux mondes, l’un blanc, l’autre noir, génère des remises en question identitaires pour les protagonistes. Pose fait de Trump le référentiel explicite des personnages appartenant au monde des affaires, qui trouve son analogon dans le maître de cérémonie des balls.

Ces deux séries abordent l’objet Trump comme un événement insurpassable et déclinent ses effets sur la vie des personnages en tant qu’élément scénaristique et levier de la perte d’identité. La première saison de Pose se conclut sur une impasse. Si quelques individus parviennent à de brèves rencontres – le cadre aspirant et la travailleuse du sexe, interprète sur la scène des ballrooms par exemple –, la conversation entre ces deux mondes en miroir ne se noue pas. Ils restent hermétiques l’un à l’autre.

Si, en anglais une trump card est un atout, la carrière promise au sein de la Trump Tower finit par ressembler à un leurre aux yeux du jeune cadre. Les rares moments de contact permettent tout juste au cadre de reconsidérer, par effet de comparaison, l’univers dans lequel il baigne.

Pour les personnages de The Good Fight, Trump fournit tout à la fois les leviers de la perte d’identité et ceux de la tentative de sa reconquête. Trump, aujourd’hui, demain, lors de son second mandat, signe l’entrée dans un monde où les arguments n’ont pas d’impact, où les faits n’existent pas. Ainsi toute possibilité de conversation est exclue. Et pourtant se noue une nouvelle conversation : au sein du cabinet d’avocats où œuvrent les protagonistes, les associés se mettent à entendre les jeunes juristes, les avocates WASP perçoivent qu’il y a une expérience du monde propre à la communauté noire, quand bien même ses membres appartiennent aux classes favorisées. Le contexte permet aux personnages de réévaluer qui sont leurs interlocuteurs. Cette évolution les amène à trouver une justification identitaire dans la lutte.

Au travers de ces deux séries télévisées, le rôle de la fiction apparaît comme un instrument d’une terrible efficacité pour faire face à un état du monde qui contrevient à tout ce qui est connu des personnages. La dynamique instaurée alors est de l’ordre de la revanche et de la jubilation, peut-être aussi une échappatoire. Le miroir que la scène des balls offre au monde des affaires est une cinglante mise en abyme. Les modes de résistance que privilégient les avocats sont la seule réponse déjantée possible à un monde déréglé.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,000 academics and researchers from 4,921 institutions.

Register now