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Comment interpréter la générosité des personnalités en cette période de crise ?

Le collectif “Et demain” sur Youtube. Capture d'écran Youtube

La crise du coronavirus touche un très grand nombre d’activités, certaines parfois sévèrement, et suscite de nombreuses manifestations de soutien de la part d’entreprises, de citoyens anonymes ou de célébrités. À titre d’exemple, l’actrice Angelina Jolie aurait donné 1 million de dollars à l’association américaine No Kid Hungry. Cette prolifération d’actes de générosité de la part des stars nous invite à nous poser un certain nombre de questions :

  • Est-ce un phénomène nouveau et si non, quelle est la spécificité du coronavirus en comparaison des autres crises ?

  • Quelles sont les différentes formes d’engagement ?

  • Comment interpréter ces actions, entre philanthropie ? Don désintéressé ou opportunisme, pragmatisme ?

En premier lieu, précisons qu’il ne s’agit pas d’une problématique nouvelle. La générosité ou la philanthropie sont très largement répandues depuis des siècles auprès des personnalités. Sans remonter forcément trop loin dans l’histoire, nous avons tous en mémoire l’importante mobilisation de stars américaines en faveur de la lutte contre la famine en Éthiopie avec USA for Africa (et la chanson « We are the World ») ou encore l’extraordinaire Live Aid organisé par Bob Geldof, et la création par Coluche des Restos du Cœur en France, relayée par le collectif des Enfoirés (encore d’actualité et d’utilité plus de 30 ans après !).

Les spécificités de la crise actuelle

La spécificité de cette crise réside en son caractère universel même si certains territoires sont davantage touchés que d’autres. Aucun statut ne permet d’y échapper et de nombreuses célébrités, souvent considérées comme des nantis, ont été infectées par le virus (Tom Hanks, Boris Johnson, le Prince Charles), certaines ayant perdu la vie (Manu Dibango, Pape Diouf, Patrick Devedjian), la majorité subissant (certes dans des conditions éloignées de celles du commun des mortels) une situation de confinement.

Le mouvement de mobilisation auquel nous sommes en train d’assister est sans précédent, et fortement relayé par la caisse de résonance de l’ensemble des réseaux sociaux et des médias.

Différentes modalités d’engagement

La palette des actions apparaît extrêmement large, d’un simple message de partage du quotidien, à un soutien militant, en passant par une création artistique, éducative ou sportive et des dons financiers. De manière simple et de façon apparemment sincère, de nombreuses personnalités communiquent sur leur quotidien durant le confinement, ce qui peut certes être considéré comme une simple occupation tout comme un moyen de montrer qu’elles sont des personnes comme les autres. Il s’agit de revenir à une forme de normalité et de proximité dans des sphères souvent jugées inaccessibles et privilégiées.

Certaines personnalités donnent de leur temps en proposant de communiquer directement avec des populations particulièrement touchées. Des stars du monde du cinéma comme Claude Lelouch, Elsa Zylberstein ou Gad Elmaleh vont appeler, en soutien de la soixantaine d’agents de la ville de Paris déjà mobilisés, des personnes âgées isolées.

D’autres, souvent des artistes, des sportifs ou des influenceurs, partagent humour et créativité par l’intermédiaire de « posts » créatifs, ludiques ou à des fins de sensibilisation (en montrant les bons gestes). De nombreux challenges, parfois simplistes, parfois très originaux, sont lancés par les célébrités à leurs communautés sur leurs réseaux sociaux : un bon moyen également pour booster les affiliations en engageant leurs communautés.

De nombreux artistes donnent des concerts privés ou improvisent des chansons afin de soutenir notamment le personnel soignant, comme Jean‑Jacques Goldman réinterprétant son « Changez la vie » en « Ils sauvent des vies ». L’impact a été d’autant plus fort que l’artiste se fait rare dans les médias.

De multiples dons financiers ont été constatés. Sans en faire une liste exhaustive, des montants allant de quelques milliers d’euros à plusieurs millions (jusqu’au milliard pour Jack Dorsey, le directeur de Twitter), au bénéfice d’associations ou de fondations luttant directement ou indirectement contre le coronavirus, ont été communiqués depuis le début de la crise.

Autre mécanisme assez classique, les participations à des levées de fonds pour lesquelles les personnalités peuvent mobiliser leurs réseaux et user de leur influence. À leurs échelles respectives, Lady Gaga a aidé à lever 35 millions de dollars tandis qu’en France les youtubeurs Mcfly et Carlito ont réussi à récolter 400 000 euros en une journée au bénéfice du Fonds d’aide d’urgence Covid-19.

Les appels au don, enfin, autour de collectifs de célébrités ou à l’initiative d’association comme Impulsion 75 (ayant reçu le soutien de 200 personnalités du monde sportif, artistique et médiatique au bénéfice de la Fondation de France) fleurissent également.

Citons aussi la collaboration artistique entre 350 chanteurs, acteurs, journalistes, sportifs, animateurs réunis pour un titre « Et demain » destiné à relayer un appel au don en faveur de la Fondation des Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France. Il s’agit d’une mosaïque, rappelant sur la forme les situations de confinement ou de communication via des outils visio comme Skype ou Zoom et rendant un vibrant hommage sur le fond aux personnels soignants tout en posant la question de l’après.

Jugements et critiques

« La responsabilité est le prix à payer du succès » disait Churchill.

À une époque où les notions de développement durable et de responsabilité mobilisent l’ensemble des acteurs de la société civile, il apparaît légitime de s’interroger quant à l’engagement de ces personnalités publiques. L’engagement étant devenu une sorte de norme, il est même rare aujourd’hui de constater l’absence d’implication d’une célébrité en faveur d’une thématique responsable. La générosité est devenue une valeur très actuelle alors qu’inversement l’absence de générosité peut être rapidement dénoncée par l’opinion publique.

En ce qui concerne la crise du coronavirus, les actes de générosité, très largement appréciés par l’ensemble des parties prenantes, suscitent néanmoins quelques critiques quant à leurs montants jugés parfois faibles au regard des revenus colossaux des stars, quant au fait qu’ils soient en partie défiscalisés (Florent Pagny a dû se fendre d’un message sur Instagram afin d’expliquer qu’il paye bien 80 % de ses impôts en France), par rapport à des dons pouvant être interprétés comme des investissements futurs (Jack Dorsey, le directeur de Twitter qui vient d’annoncer qu’il donnerait 1 milliard de dollars pour la lutte contre le coronavirus est accusé par certains observateurs d’investir plutôt que de donner), car ces actions valorisent l’image de marque en participant à un personal branding – Nabilla se filmant et partageant sa conversation avec Brigitte Macron la remerciant pour sa générosité – ou bien parce que ces personnalités viennent couvrir des défaillances de l’appareil d’état et des choix politiques dont on paierait aujourd’hui les conséquences.

Soit.

Mais sans rentrer dans chacune de ces problématiques, l’ensemble de ces contributions vont bien permettre concrètement d’acheter du matériel utile au personnel soignant (donc de sauver des vies comme le chantait Goldman), d’aider les associations et fondations à financer des programmes afin de lutter au-delà de la crise de manière durable pour des causes universelles ou d’apporter plus simplement un moment de bonheur et de partage à des personnes isolées.

Tout cela compte et il faudra s’en souvenir au moment où l’on pointera du doigt des comportements « irresponsables » des stars, et notamment ceux des sportifs et plus particulièrement des footballeurs.

Ils auront agi quand d’autres auront parlé, critiqué et commenté. Cela fait toute la différence.

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